Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
21 novembre 1815

Je te commence ma lettre aujourd'hui, mon cher enfant, quoiqu'elle ne partira que vendredi, mais tu aimes les longues lettres, et quoi que je n'aie pas grand chose à te dire, je veux te parler comme si tu étais dans ma chambre. Le gros greffenelle  est venu hier, il était en gaieté (il faut y avoir des dispositions aujourd'hui) et il m'a dit qu'il était persuadé qu'avant 3 mois tu aurais un procès for criminal conversation . J'espère bien que tu y feras attention, car cette pauvre Henriette est si malheureuse que c'est un roseau qui n'a plus que ton affection pour appui et pour abri.
Papa, à ce criminal conversation est sorti de ces méditations pour nous dire : j'avais pensé à tous les autres dangers, excepté à celui-là, et sans s'en apercevoir, les voilà qui (après le départ du greff.) me fait un long discours commençant à haute voix sur l'horreur de faire de la peine à Henriette et graduellement baisser de ton jusqu'à ce qu'il mâchonnât dans ses dents : à moins de faire un grand mariage. Moi, mon cher ami, je ne suis pas si prudente que lui , je marche à reculons vers l'avenir que ... de voir et ma bonne , ma chère petite Henriette me pèse tellement sur le cour que je sacrifie sans regret toute aisance lointaine à la seule crainte de lui faire un moment de peine.
Pauvre papa, c'était par affection pour toi qu'il pensait à un grand mariage, et je crois qu'il parlait tout bas pour ne pas s'entendre lui-même.
Le gros greff. dit que si tu veux être ouvert, franc, rond  (et surtout prévenant avec leur froid les anglais y sont fort sensibles) tu auras un grand succès en Angleterre, tandis que Sebastiani, avec son air un peu pincé, ne réussira pas si bien.
Je lui ai demandé ce qu'on donnait dans les châteaux aux domestiques ; il m'a dit qu'au bout de quinze jours on laissait deux guineas , c'est loin de ce que tu craignais
Je n'ai point écrit à Theodore ; depuis son retour, il n'a pas mis les pieds chez moi une fois ni pour nous remercier, ni pour avoir de tes nouvelles.
Oh ! mon pauvre enfant , mon cher ami, l'ingratitude, la bassesse de tous ces gens qui . m'ont toujours trouvée si disposée à les obliger me causent des nausées. Cependant je ne suis pas devenue tout à fait misanthrope car j'aime encore les gens que je ne connais pas. De même, je ne consens plus à m'adresser qu'à ceux que je n'ai jamais vu , alors je suis toute dégagée.
Ils ne me disent rien ; si je les trouve personnels, malveillants, je les quitte sans avoir à haïr ni à me plaindre mais ceux que j'ai comblés de bien, d'attentions si délicates, Mme Bertrand par exemple ! ah ! cela fait mal et c'est le monde qui dégoûte du monde.

Le maréchal Ney a écrit hier au Roi une lettre pleine de confessions, d'humiliation et de contritions. Il ne rachètera pas sa vie, et quand on a des enfants, il faut penser au nom qu'on leur laissera , en tout il faut laisser se pénétrer qu'en révolution, même dans un plaidoyer, on ne se défend qu'en attaquant. S'il eût dit : J'étais parti de Paris persuadé que j'allais défendre le Roi : mon ancien général a perdu, je n'ai plus senti que la gloire que nous avions acquise sous ses ordres, que l'humiliation où la France était tombée, son nom, sa présence ont été pour moi le tambour qui bat l'appel comme les soldats : j'ai marché, j'ai oublié le Roi, je n'ai vu que notre gloire passée. Si vous me condamnez : je dirai en mourant à mes enfants : Aimez la France , et servez-la comme je l'ai servie pendant vingt ans.
Au lieu de cela, sa femme lui fait tout employer pour sauver son reste d'années qu'il passerait dans les malheurs et l'humiliation si on les lui accordait.
Oh ! mon enfant, mon ami, toi, le seul bien de ma vie, jamais du moins je le crois, je ne te donnerai un conseil, faible et lâche si ta vie était compromise, je ne marcherais pas sans ... je mourrai avant toi mais je ne te demanderai pas de te dégrader à la face de ces étrangers qui viennent à un jugement comme à un spectacle, cependant, qui peut répondre de soi pour ce qu'il aime ! Ma main a tremblé en écrivant ces mots : Si ta vie était compromise !
Mon, mon cher ami, je te quitte pour te reprendre demain, je serai trop triste, j'ai le coeur trop serré dans ce moment ! Mon enfant, je te demanderai ... je crois que si tu étais en danger, je serai à genoux devant Dieu et les hommes.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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