Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
3 janvier 1816

Mon enfant, j'ai reçu hier ta lettre du 30, elle m'a consolée quand j'étais bien tourmentée. M de Souza avait eu un lumbago, il allait mieux, et le 1er janvier il s'est avisé, ne pouvant encore tirer ses bottes, de faire ses courses du matin en bas de soie ; le soir il a été pris d'une fièvre terrible, il a même un peu déliré ; je suis restée toute la journée dans sa chambre ; comme tu peux le croire aujourd'hui il est mieux ; et moi à force d'être monté et descendu , j'ai mal à mon côté, mais ce n'est rien. Tu juges donc comme ta lettre en est bien arrivée ! Mais Dieu sait comme elles arrivent toujours bien ! Elles diminuent mes peines, elles ajouteraient à mon bonheur (si j'en avais encore) enfin je te dirai comme Mme de Grignan à sa mère : "Vous m'êtes comme la santé, ce bien sans lequel il n'en est point d'autres". J'ai retrouvé ton cachet de saphir , je tâcherai de retrouver aussi le secret du secrétaire, mais je n'en suis pas encore venue à bout. J'ai retrouvé une petite médaille dont on n'avait frappé que 6 quand Mme Murat a été nommée reine de Naples, elle deviendra fort curieuse, je la mettrai dans la boîte. Il t'arrivera la coupe dont je t'ai parlé. Si on peut la passer sans payer des droits, bien ; si on ne la passe pas, on les payera et on tirera sur toi. Tu feras de la coupe ce qu'il te plaira.
Je suis bien fâchée de n'avoir pas su plus tôt que lady Holland avait une couturière ici, je lui aurai fait tailler ses robes. Enfin, j'ai fait faire une longue et large robe qu'elle puisse tailler , rogner à sa fantaisie.
Ne parle point trop de l'aticle 12 car les ministres anglais seraient fort mécontents de cette discussion et Dieu sait s'ils ne s'aviseraient pas de persécuter les français qu'ils soupçonneraient d'ajouter des raisons aux agitations déjà connues. D'ailleurs, en toute occasion, le duc de Wellington a été ton défenseur ici et il a dit toujours du bien de toi. Alors le silence est de devoir.
As-tu vu Baring ? Papa dans sa fièvre s'en tourmentait encore hier. On dit ici que les anglais ont promis à la France de lui remettre tous les condamnés qui se réfugieraient chez eux ; je ne puis le croire, il n'y avait jamais eu de pareil accord de puissances, qu'entre Pierre le cruel Roi de Castille et ce que l'histoire appelle Pierre le dur Roi de Portugal , ces deux gracieux s'étaient engagés par traité à se livrer tous les malheureux que les divisions politiques de ce temps forçaient à s'expatrier. C'est papa qui m'a fourni ce beau fait historique. Les titres de ces deux rois donnent encore plus de force aux applications que l'on en peut faire.
Je ferai tes compliments à Mme Adèle quand je la verrai. Je crois que ses espérances sont diminuées, car elle ne m'arrive guère que lorsqu'elle se flatte.
Voici une lettre de Mme Alexandre. Sois sûr que c'est une petite faussette, qui est la plus enragée du monde.
Dans son opinion, son mari est plus méprisé que tu ne peux l'imaginer. Je crois bien qu'ils te cultivent.

Il aura besoin de s'appuyer sur ton excellente réputation ! Il est positif, entends-tu, positif, que le mari et surtout la femme ont dit aux princes qu'il n'avait demandé de service que pour déjouer ici, de servir là-bas. Son ambition l'égare. Je suis fort contente de la ... que tu as pris... Voir M. de Romilly (?) , instruis-toi des lois du pays, et qu'on sache bien que tu n'es pas là pour te souvenir mais pour apprendre et admirer. Va revoir lord Garmouth, il a parlé de toi dans les meilleurs termes à Dominique. Lady Holland est une si parfaite amie que je suis persuadée que même contre son opinion, ou contre sa position politique, elle te donnera dans ta situation précaire les meilleurs conseils.
Lord ... est le meilleur ami du Prince Régent. Je voudrais qu'à droite comme à gauche il me revint des éloges de toi, ils me font tant de bien ! Elle est bien vraie l'expression vulgaire : "Fais couler du beaume dans le sang" Je n'aime, je n'ai jamais rien aimé comme toi, et quand on me fait ton éloge, le ciel est dans mon coeur. C'est de l'Angleterre que je veux qu'il s'établisse ici cette considération pour toi qui vient d'attitudes et d'une conduite qui peuvent être utiles aux hommes.
Tu me dois quelques dédommagements, j'ai tant souffert pour toi depuis que tu es au monde ! (jamais par toi il est vrai) mais enfin j'ai bien souffert, et mon enfant, mon ami, j'ai besoin que tu sois l'orgueil comme le bonheur de ta mère. Qu'il me revienne donc ici que tu t'... et que tu étudies ce commerce, ces lois, et que ta réputation d'homme d'état s'établisse ici de Londres ainsi que celle du duc de Richelieu nous est venue d'Odessa. D'ailleurs, tu ne seras pas toujours jeune et crois-moi si : Les hommes ne veulent pas qu'on veuille être leur maître, on a besoin sur ses vieux jours de faire le bien et d'avoir fait des heureux. Je pense que tu n'es encore qu'à la maxime de Confucius qui ne prescrit comme vraiment utile que de planter un arbre et de faire un enfant. Mais quand tu seras arrivé à un certain âge, des confusions dans la tête, tu trouveras que d'avoir soin même des vieillards est encore un petit bonheur.
A demain, je t'embrasse aujourd'hui.
Je te remercie des bas de coton, mais fais-les prendre de jeune homme car ils sont toujours trop courts des jambes.
Je crains tout pour le maître du S.. Cela me cause une tristesse que je ne puis dire. Mme de Coigny me charge de te dire d'aller chez lady Henriette et d'abord chez son mari.

Adieu, toi que j'aime plus que ma vie, ou plutôt qui est ma vie, mon bon, mon excellent fils.
Papa t'a écrit qu'il désire beaucoup l'édition du Camoëns qu'a lord Holland. Il a arrêté la somme jusqu'à ce qu'il l'ait. Ainsi juge de son impatience. J'ai écrit à lady Holland. Tâche de savoir si elle a reçu ma lettre. Je serais fâchée qu'elle fût perdue. Je ne puis pas trouver le secret de ton secrétaire, fais m'en une description que je puisse l'ouvrir. Papa dit que tu lui as remis ta grande cassette sans lui en donner la clef. Où est-elle ? Pourrais-je trouver là ce qui te conviendrait.
Papa est tout à fait bien ce soir 3 janvier.
Je t'aime de toute mon âme mon bien-aimé enfant.

retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité