Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
15 mai 1817

T'exprimer à quel point j'ai été triste hier mon cher enfant est impossible, et ce matin même, je ne sais pas trop ce que je dis car j'ai passé ma nuit à pleurer. Ce jour de ma naissance où tu me chantais, où tu étais si gai, où j'étais si heureuse, je l'ai passé si tristement que je ne pouvais ni respirer, ni parler, je ne m'en remettrai pas de longtemps. Que de petits bonheurs qui nous échappent mon enfant et cependant tous ces jours nous seront comptés... Enfin je ne veux pas te dire toutes les pensées tristes qui m'oppressent. Puisses-tu être heureux mon bon ami, l'être autant que mon coeur le désire et puissai-je voir encore mes petits-enfants.
Frecki m'a écrit une lettre charmante, il s'offre à parier qu'avant très peu de temps lord K. bénira le choix de sa fille. Dieu l'entende.
Le petit Moreau vient d'être bien mal d'un crachement de sang, l'accident est diminué, mais pas cessé, on est très inquiet de lui, c'est un véritable ami que nous perdrions. Et de plus un très bon médecin.
Lord Romeley est venu me voir, je l'ai beaucoup connu autrefois. Son changement de nom m'empêchait de me le rappeler. Gabriel veut me donner un grand dîner chez Robert le jour de ton mariage. Alex... Girardin est le seul qui ne soit pas venu me féliciter. C'est encore de ces amis précieux dont la présence est comme l'arc en ciel qui se montre après l'orage, peut-être fais-tu une exception dans son coeur, mais je l'ai trouvé bien changé, enfin je ne l'ai pas vu quatre fois depuis ton départ, du reste, je ne dis cela qu'à toi, se plaindre des gens est s'abaisser soi-même et les empêcher de s'amender.
J'ai encore relu ta lettre ; papa dit qu'il faut que je commande les robes, et c'est ce que je vais faire ; elles partiront la semaine prochaine ; pourvu que Mme C... sache l'adresse, sinon renvoie-moi une.
Mlle Jollivet est partie hier. Bien timide et si pauvre que j'ai été obligée d'engager M. de Vaux à lui prêter 200 francs pour qu'elle put avancer les frais du voyage, j'en ai ajouté 50 pour qu'elle s'achète une robe. Cette pauvre femme restait dans la chambre qu'Henriette lui avait laissée à pleurer toute la journée sans aller demander d'appui, ni parler de ses peines à personne. On l'y auait trouvée morte un matin ; la misère est à son comble ici, le pain renchérit tous les jours.
On dit que M. d'Osmont va aller à Vienne, car M de Caraman est nommé ministre de la maison du Roi. Du reste les ultras sont plus méchants que jamais. Ton mariage a renouvelé toute leur rage contre nous. Sais-tu que je m'avise d'être comme le valet du pauvre chou et que je suis affligée que tu ne l'aies pas vu, quoique papa dise que tu as très bien fait. Moi qui voudrais que tu joignis aux avantages de la prudence tous les honneurs du courage, j'aime les impossibles, quand il est question du Roi.
Mon pauvre enfant, mon cher ami, comme je t'aime ! Tu es ma vie ! Parle de moi à Mlle M...
Le mariage de la petite Detilles (?) paraît sûr. Elle sera malheureuse !
Auguste a échappé un malheur qui l'a frisé de si près que c'est un miracle. Un jour qu'il faisait grand vent, il est rentré et tenait encore la porte de l'escalier du perron, lorsqu'il est tombé du toit une des corniches de la maison qui lui a presque rasé le nez, une demi seconde, une demi ligne de plus il était écrasé. Cela m'a ébranlé tous les nerfs.
On pourra ôter l'alcove de ta chambre quand tu l'ordonneras et faire un tambour sur l'escalier pour entrer dans le salon.

retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité