Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
4 juin 1819

Je ne puis pas comprendre ma chère fille comment mes lettres ne vous arrivent pas. J'écris sans cesse et je soupçonne que mes lettres restent à Foreign Office. Je vous envoie les deux mémoires de M. Berryer pour moi et une copie du jugement. C'est au tribunal de 1ère instance et j'en ai appelé à la Cour Royale : ce qui suspend le jugement. Je vous ai déjà mandé que cette affaire ne serait reprise au plus tôt qu'en janvier et d'ici là j'espère l'avoir arrangée.
Je vous envoie une petite garniture de mon ouvrage. J'espère que vous voudrez bien la porter sur une robe du matin. Il faudra mettre une torsade bleue et blanche en haut de la troisième garniture ; celle d'en bas est plus grande, la 2ème moindre et la troisième encore moins, il faudra donc les mesurer avant de les appliquer.
Sur une de vos jolies mousselines de couleur, il me semble que cela ferait bien. La seule attention à avoir est de la repasser à l'envers. J'ai cousu du lacet pour les bandes sur les manches, mais cela n'est pas fini, je vous les enverrai par la première occasion. En attendant, portez ma robe et vous me ferez un vrai plaisir.
Si vous voulez que l'enfant ne soit pas constipé, faites boire à la nourrice de l'eau et du lait sucré avec du miel. Il prendra de la magnésie anglaise ; c'est que son lait est trop fort et trop bon pour notre petite, il faut le rendre moins succulent et peut-être aussi est-elle mieux nourrie chez vous qu'elle ne l'était chez elle. Souvent cela produit cet effet.
Emilie est un très joli nom, et je respecte comme vous celui de Jane, ainsi ma chère fille, quel que soit celui de ces deux noms à quoi ma petite fille répond, j'en serais également contente.
Dieu merci, je ne quitte pas mes roses ni mon saule ; ce dernier est fort admiré par les Ecossais ; moi je l'admire aussi, mais je ne l'aime pas, il me cache mes roses ; en tout, il est mal placé et trop proche de la maison.
Je ne vous ai pas écrit, ni par Mme Burrell ni par M. Flemming parce qu'une fois pour toutes M. Charles m'a défendu d'écrire par des occasions. Ah ! mon Dieu, oui j'ai bien plaint cet excellent M. Burrell et jugez que je venais d'apprendre la mort de son enfant lorsqu'il est entré dans ma chambre tout joyeux me féliciter sur votre heureuse délivrance. Sa joie, ses rires, son" shake and to me" me brisaient le coeur, je n'ai pas eu le courage de lui apprendre son malheur car ma lettre qui m'apprenait la naissance de ma petite, et la mort de son fils, m'étant arrivé par la poste, et lui, m'ayant dit qu'il n'avait pas de lettres, j'ai pensé que peut-être on lui envoyait quelqu'un des siens pour lui annoncer, et lui adoucir ce cruel malheur. D'ailleurs on ne me chargeait pas de le lui apprendre et je sentais bien dans mon coeur que je les aimais assez pour partager profondément leur peine, mais je ne me trouvais pas assez ancienne comme son ami pour espérer la lui rendre moins amère. J'ai pensé ensuite que j'avais mal fait et que j'aurais mieux valu qu'un Sir William Conningham qui ne connaissait pas du tout M. Burrell a cru de son devoir de venir tout courant lui apprendre la mort de son fils. Il se serait fait scrupule de lui accorder un quart d'heure de grâce. Que je déteste cet officieux qui, se caressait le col pour venir plutôt annoncer à quelqu'un son malheur.

Donnez-moi de leurs nouvelles, je vous en prie ma bien chère fille, que je vous sais bon gré de m'avoir écrit ; que votre écriture est belle ! Qu'elle prouve votre force ! Mais votre lettre est trop longue, j'ai peur qu'elle ne vous ait fatiguée.
Un mauvais plaisant a dit : Voyez-vous ! toute l'histoire des deux règnes Napoléon et Louis 18, toute la situation de la patrie se trouve dans ces deux pièces de cent sols que j'ai dans la main. On se regarde, on s'étonnne, il joue avec, il montre l'effigie de Bonaparte, celle du Roi, oui messieurs, les voilà ; enfin il lit sur le cordon de l'écu de Bonaparte : Dieu protège la France, parce que la France était tout et brillait partout alors. Sur le cordon de l'écu actuel : Domine solisum fae regenc.. (?) parce que le Roi remplace tout et console de tout . Ne me réponds point sur cette belle histoire et jette-la au feu s'il vous plaît.
Mon Charles, quand je t'ai répondu sur la fierté, c'était bien à toi seul que je m'adressais ; néanmoins je te prie de me pardonner si je t'ai déplu. Ceci est une grande condescendence de ma part , et toi qui es un Romain, tu sais que les pères, et je veux croire les mères, avaient droit de vie et de mort sur leurs enfants.
J'enverrai à François son inscription s'il la veut ou j'attendrai le coupon de 7 livres., comme cela lui conviendra. Que ce nouveau donne ses ordres.
Un doux baiser à ma petite et vous mes chers enfants, recevez l'assurance de ma plus tendre affection.
Mon cher Charles, je ne veux pas finir cette lettre sans t'adresser un mot de plus d'affection et d'inquiétude sur ta faiblesse, ménage la bien. Mets du sucre candy dans ton lait d'ânesse. Dans le courant du jour, il n'y a rien de si bon au goût et de si sain que de faire , bien bouillant, chauffer un peu de lait ordinaire, d'en mettre le quart d'un gobelet sur du sucre candy en poudre, et quand il est bien fondu, verser dessus en le faisant mousser trois quart d'eau de seltz. C'est excellent au goût, rafraîchir et donner de la force. Essaies-en je t'en prie. Je crois que sous bien peu de jours, papa perdra ses dents, alors il sera réellement un peu défiguré et le 1er moment où il se verra m'inquiète fort pour lui. Ne réponds pas à cela.

Lobau, sa femme, le duc de Vicence, sa femme, Excelmanns la sienne, et Fay de même, les deux Carbonnel, Gabriel, Fata ; enfin, tous les vrais amis ont été ravis de joie sur l'heureuse délivrance de ma chère fille. Le duc de Vicence veut un garçon avant la fin de l'année. Vous sentez-vous capable ma chère fille de recommencer sitôt vos stations sur la chaise-longue ? Je vous prie de me rapporter un petit rosier mousseux blanc. Mes chers enfants je vous aime et vous embrasse de toutes les forces de mon âme. Sir Jonh d'Al... m'a amené M. Elphinstone . Ce dernier m'a dit qu'il avait passé 20 ans en ... qu'on l'y a envoyé en nourrice car il a l'air tout jaune quoiqu'il paraisse malade, il part pour la Suisse : reviendra dans 6 semaines et alors dînera chez moi. Il ne m'a point paru trop timide et a fort admiré ton portrait. L'ambassadeur et l'ambassadrice d'Angleterre sont venus se faire écrire chez moi pour le compliment de la naissance de ma petite. Lord et lady Marley et lady Hamilton ont été charmés mais surtout ce bon Sir John et sa femme ont été dans une joie comme s'ils étaient de la famille. Lord Marley m'a raconté que pendant qu'il était en Italie, l'empereur d'Autriche à Venise a été au spectacle ; lorsqu'il est entré dans sa loge, le plus profond silence ; de même aux révérences de l'impératrice son épouse ; mais lorsque Marie-Louise a paru, cela a été des applaudissements d'une telle rage tellement recommencés, qu'ils ont duré plus d'un quart d'heure. L'empereur offensé a fait dire à sa fille de s'esquiver au milieu du spectacle afin que pareille scène ne recommence point. En effet elle est sortie bien doucement, mais on ne la perdait point de vue et dès qu'elle a été partie, tout le monde a quitté le spectacle et voilà qu'en une minute la salle a été complètement vide sauf l'empereur et l'impératrice d'Autriche. Ce n'est pas qu'on aime Marie-Louise, mais c'est qu'on déteste les allemands. Pour Dieu, brûle cette lettre car elle sent le fagot, mais j'espère que Charles la trouvera assez longue.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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