Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
21 janvier 1821

Quelle bonne lettre je viens de recevoir de vous deux mes chers amis. Que je vous en remercie ! Elle m'a fait du bien et si cela peut vous causer quelque satisfaction, dites-vous que je vous ai bénis tous deux de toute mon âme et que si les prières demandées peuvent être exaucées par le ciel, vous serez constamment et mutuellement heureux.
Je suis étonnée de la raison d'Emilie, je n'ai jamais rien entendu de pareil, je vous ai toujours dit que c'était un prodige, et vous pouvez m'en croire, car aimant beaucoup les enfants, je les ai observés avec attention, et je n'en ai jamais vu qui ressemblent à Emilie : elle est charmante, et puis tant d'intelligence, une si jolie figure, cette petite taille si droite, sa tête si bien placée, enfin c'est une perfection de tous points, et élevée par vous deux, je ne sais pas jusqu'où elle pourra atteindre. Si monsieur son frère lui ressemble ce sera un grand homme ! Papa trouve aussi que son petit raisonnement sur Mme Henry est incroyable. Que je serais heureuse de la revoir et vous deux. J'envie pauvre tante Mary d'avoir passé quelques jours à la campagne avec vous. Mon âge et le sien se conviendraient très bien, car lorsqu'une fois on a passé 50 ans l'on ne doit plus compter.
Je vous remercie bien ma très chère fille de la robe que vous m'annoncez, je la porterai avec un grand plaisir comme un souvenir de vous et de cette bonne lettre que j'ai déjà relue bien des fois. Les bas de Charles m'arriveront très à propos tant pour moi que pour Auguste. Il vous remercie beaucoup mais il lui faut une petite lettre de son ami Charles car il dit que ce sont les meilleures étrennes qu'il puisse recevoir. Je remettrai à Mme de Lavalette les bas pour elle. Elle est dans ce moment dans le désespoir, et aussi dans les plus grandes espérances.
Voici les faits : son mari a joué et a perdu presque tout ce qui leur restait. Je ne puis comprendre ce qu'ils deviendraient avec leurs 6 enfants sans la grande espérance, et la voici : Boyer a envoyé ici un de ses amis, noir comme jais, et que l'indépendance fut reconnue, pour traiter avec la France. Ce M. Georges connaît M. de La Fayette, et l'abbé Grégoire ; Boyer a tant de respect pour eux qu'il n'a demandé de France que le portrait de ces deux personnages pour orner la salle du conseil. Revenons à ma pauvre mère, un de ses amis l'a mise en rapport avec ce Georges qui est venu la voir, et lui a dit : Votre habitation n'est point vendue, elle est en meilleur rapport qu'elle n'a jamais été. Comme chancelier de la République tous vos papiers ont passé par mes mains, et j'ai même à la chancellerie les extraits mortuaires de votre père et de votre mère. Si vous voulez venir à Saint-Domingue avec moi, je vous logerai chez moi, et si vous pouvez obtenir de M. de La Fayette et Grégoire des lettres pour le président, ce sera tout pour lui. M de La Fayette en a donné une, est venu dîner chez Mme de Lavalette avec ce Georges ; Grégoire n'a point voulu écrire. Cependant, il a parlé très vivement à ce Georges, mais il a été si persécuté que l'on n'a pu obtenir qu'il signe même son nom.

L'habitation de M. de Lavalette, à la mort de son père en 1786, était estimée 7 millions, il faut ôter le prix des nègres ; mais enfin, quand ils ne remporteraient qu'un million, ce serait toujours beaucoup. Achille part samedi avec le nègre. Mme de Lavalette partira dans deux mois parce qu'il faut qu'elle case ses enfants ici, qu'elle y finisse ses afaires. Il vient un autre nègre, ami de Georges et qui doit arriver ici dans trois semaines, elle partira avec lui. Toute cette affaire a été si prompte qu'il lui a été impossible d'être prête pour samedi, car enfin on ne va pas là comme à Saint-Denis. Je suis fâchée que ce ne soit pas elle qui traite d'abord avec Boyer car le mari a une de ces bêtises légères et gracieuses qui me font bouillir le sang. Imagine qu'il me dit ce matin : "Nonore viendra avec moi jusqu'au Havre - Et pourquoi cette nouvelle dépense ? lui dis-je vivement - Ah ! ma tante, c'est fort nécessaire, comment voulez-vous que je fasse arranger mes malles dans ce vaisseau ? Moi je n'entends rien à tout cela !" Je crois à cette belle réponse que voilà un homme jugé.
Nous voudrions bien, ma très chère fille, si Lord Holland et M. Wil... (comme ami des noirs) ont jamais reçu quelques lettres d'actions de grâces de Boyer, que l'un et l'autre écrivissent à ce président pour lui recommander M. de Lavalette ruiné ici par les persécutions qu'il a éprouvées de ce régime, et qui va à Saint-Domingue pour refaire sa fortune en y portant des marchandises, lui demander toute protection, tout appui, enfin montrer un véritable intérêt pour cet étourneau votre cousin, dont les fautes ne se font sentir que dans sa famille, mais qui d'ailleurs a été un receveur général de la première destruction. Vous feriez partir ces lettres de Londres, adressées à Boyer, et en arrivant, Achille serait mieux reçu. S'il y a quelqu'autre ami des noirs qui soit plus en relation avec l'île et avec le président, nous voudrions bien aussi des lettres. Enfin, tachez de savoir ce qu'il y a sur ce pays et ce qu'il est possible de faire pour eux, car leur...
(lettre incomplète)

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dernière modification : 26 décembre 2019
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