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La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
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lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, fin 1814
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[Je vois, ma chère
et bien chère amie, que vous me reprochez mon petit papier, mais
il m'est plus commode, et que fait-il à la longueur des lettres,
si les lignes sont plus rapprochées et l'écriture plus
fine ? Vous me dites encore que j'écris sans confiance, mais
croyés-vous que l'on n'ouvre plus les lettres à la poste
? Je vous ouvrirois toute mon âme, si je vous voyois. A présent
je dis seulement que je vous aime de tout mon coeur. Vous le savés,
mais j'aime à vous le répetter, et si ce n'est pour votre
plaisir que ce soit pour le mien] que vous entendiés souvent
cette assurance que mon coeur vous repette chaque jour.
[D'ailleurs que
vous dire ? (Ce qui suit est un intéressant témoignage
sur l'esprit politique des émigrés et leur attitude au
début de la première restauration.) Le roi est
juste et bon, (Et surtout égoïste et sceptique),
mais ses entours sont implacables. Tout ce qui avoit un peu d'éclat
depuis dix ans est relégué dans sa tannière. On
ne s'embarrasse] point [ni du mérite qui vous avoit fait choisir,
ni de la conduite noble et courageuse que vous avés tenüe
: tout est oublié. Je puis dire devant Dieu n'avoir jamais mancqué
l'occasion d'obliger, hé bien ! il est des gens dont la reconnoissance
enthousiasmée me sembloit trop forte, tant que j'ai été
en position de les servir, et qui, du moment que le Roi a dû revenir,
n'ont pas plus pensé à moi que si je n'avais existé.
Le chapitre des ingratitudes fait mal au coeur. Qu'ai-je fait cependant
? moi, étrangère (Par son mariage seulement, mais
non par sa naissance), moi qui n'avait jamais été
à la cour de l'empereur, depuis neuf ans qu'il avait contribué
à faire perdre la place de mon mari ? (Le marquis de Souza
avait été bien accueilli à la cour consulaire,
mais le cabinet britanique s'irrita de ce qu'il blâmait les actes
de Drake, ministre anglais à Munich et demanda son rappel en
1805, que Napoléon accorda. Le gouvernement portugais offrit
en dédommagement l'ambassade de Pétersbourg, mais M de
Souza la refusa pour vivre à Paris dans une honorable retraite.)
Mais mon fils a été
son aide de camp ! Quel crime ! Comme si la ligne militaire n'étoit
pas de devoir, comme si cette place, qu'on ne demandoit jamais, n'étoit
pas toujours le prix de la bravoure, tandis que les places de cour]
qui sont de goût se démènent, arrivent, paiées
au moins d'une trahison, soit en prenant d'abord une place chez lui,
soit en le reniant à grands cris aujourd'hui.
J'ai éprouvé
un abandon, une ingratitude qui m'a peiné jusqu'au fond de l'âme
: c'est Bertrand, notre Bertrand ; dès que les Russes ont été
aux portes de Paris, il a cessé de mettre les pieds chez moi,
et vous savés cependant s'il n'avait pas toujours eu son libre-arbitre,
son franc-parler. [Vous savez si j'ai jamais eu des opinions, moi qui
ne vit que pour mes sentimens ! Oh ! celle-là m'a navrée
: je suis dégoûtée de la vie et du monde. Quand
vous arriverés, je vous dirai : "Aimez-moi, si vous pouvés
mais vous aurés affaire à une âme malade, à
un esprit ombrageux." Voilà mon état. Vous voyés,
ma chère amie, que j'aurois aussi bien fait de m'en tenir à
ma première page sans vous entr'ouvrir mon âme,
car, si je me laissais aller sur ce chapitre, j'en écrirais de
belles. je m'arrête donc, pour finir comme j'ai commencé
par vous assurer que je vous aime de toute mon âme. Mille choses
bien aimables] à M Fabre. Votre passion (Il s'agit toujours
d'Hortense de Beauharnais) est bien malheureuse.
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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