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La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
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lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 21 décembre 1817
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[Nous recevons à l'instant votre lettre du 5 décembre, ma très
chère amie, et je suis charmée que vous soyez contente
de notre Camoëns. A mon avie, la plus belle gravure, comme travail,
est celle d'un nommé Toschi, de Parme. (D'abord : Milanois,
effacé ensuite.)
Si vous pouviez
imaginer ce qu'il en a coûté à mon mari de peines
et d'argent depuis cinq ans, vous estimeriez plus encore cete entreprise.
Que de fois il est resté cinq, six et sept heures chez M Didot.
Car, ni l'imprimeur ni le prot ne connaissaient la langue, et l'on imprimoit
l'ouvrage comme un tableau de mozaïque. Enfin j'ai cru souvent
que la santé de M de Souza y succomberoit. Nous ne nous vantons
point de ce qu'il a coûté. Ce seroit une folie sérieuse
aux yeux des hommes froids, qui ne sentent point l'extrême satisfaction
qu'une âme noble et généreuse trouve à élever
un monument à élever à celui qui a chanté
et illustré les tems de gloire de son pays. Pour moi, je n'ai
eu d'autre mérite que de promettre à mon mari de diminuer
toutes les dépenses de la maison le plus possible, afin que son
fils ne trouvât point cette somme de moins dans sa fortune et
qu'elle fût prise tout entière dans nos ecconomies si nous
vivons quelques années.]
Je ne puis pas
comprendre, ma chère amie, ce que vous voulez dire par
mes confidences à L.H. (Souligné dans l'original. Ces
initiales désignent Lady Holland), et je vais y répondre
d'une manière tryomphante une fois pour toutes : c'est qu'il
est positif que le hasard a fait que ni avant le voyage
où elle vous a vue à Florence, ni dans le dernier qu'elle
a fait à Paris, je ne l'ai vüe seule une minute. Vous voyés, d'après cela, que je n'ai pu lui faire aucune
espèce de confidence d'aucun genre. Je me suis même si
peu livrée à causer que je sais qu'elle a dit à
un de mes amis qu'elle ne comprenoit pas ma réputation d'esprit
ou pourquoi je me plaisois à m'éteindre, comme je le faisois.
Enfin (et ceci pour vous seule, parce que jamais il ne sortira un mot
de ma bouche, contre elle, d'abord à cause de son mari que j'aimes
beaucoup, et puis, à cause de leurs bontés
pour Charles), enfin je ne me crois pas du tout dans ses bonnes
grâces, et cela depuis vingt ans ; jugés si j'aurais été
disposée à lui faire des confidences. Mais vous qui m'avés
si souvent écrit sur elle ; vous qui me mandiez qu'elle était
menteuse, intrigante, immorale, enfin tout ce qu'il y a de mauvois et
de dangereux au monde, comment avez-vous pu croire que je me livrerois
à des confidences qui, dites-vous encore aujourd'huy, m'ont
fait le plus grand tort dans votre esprit ? Ne pouviés-vous
pas penser qu'elle me fesoit parler pour vous impatienter ? Ne pouviez-vous
au moins douter, ce qui est déjà assez fort en amitié
; je vous assure que si quelqu'un osoit venir me dire du mal de vous,
je n'en croiroit pas un mot, et que si même je vous avois vu tomber
dans une erreur, je soutiendrois mordicus que cela n'est pas vrai à
ceux même qui l'aurois vu comme moi et oseroient en médire.
Et tenez, un homme de beaucoup d'esprit a bien voulu me donner une fois
un éloge qui m'a été tellement au coeur que je
ne l'ai jamais oublié. Il me disait : "Je sais qu'on est
chés vous en sûreté, et que vous ne livrés
jamais un ami, ni par un mot, ni même par un sourire." Si
l'émotion trop vive des passions d'alors n'avoit pas entrainné
votre excellent coeur avant que ces prétendues confidences m'eussent
fait tort dans votre esprit, vous vous seriez dit : Sachons d'abord
si elle a fait des confidences. Hé bien ! je vous le repette,
je ne l'ai pas vue SEULE une minute de ma vie. Le hasard a fait cela,
mais je lui rends grâce puisque il doit si bien vous détromper.
Quand nous nous reverrons, nous causerons, et vous m'apprendrez, j'espère,
qu'elles ont été ces étranges confidences.
Charles est
très heureux, mais fort triste dans ce moment. Sa femme, qui
étoit grosse de trois mois, a été si saisie de
la mort de la princesse Charlotte, qu'elle en a fait une fausse couche. (Cette
nouvelle officielle montre que miss Knight se trompait (Voir lettre
suivante) en ne croyant pas cette triste nouvelle exacte.) C'est un grand malheur que la
première grossesse termine comme cela, mais je préfère
encore que cet accident soit la suite d'un saisissement que si c'étoit
foiblesse de santé.
Je n'ai pas vu
Madame votre soeur depuis longtemps, parce que je souffre de mon côté
comme il m'arrive tous les hivers. Avec l'italien tachez de lire le
dernier paragraphe de l'avertissement du Camoëns : je trouves qu'il
est bien honorable pour mon mari. Adieu ma bonne, ma très chère
amie, je serai bien heureuse quand l'heure de midi ne se passera pas
sans que je vous voye arriver. Mandez-moi, je vous prie, ce que le grand-duc
dira de notre Camoëns. Si vous ne venés pas ici, nous irons, mon mari et
moi avec Charles, vous voir.
Cette pauvre maréchale
Ney est bien malheureuse avec quatre garçons. Vous
vous trompez fort si vous la croyez une des passions de Charles. Il
n'y a jamais eu entre eux qu'une pure et bonne amitié.
Cela, vous pouvez en jurer. Mille complimens à M Fabre. Que dit-il
de nos gravures ?
[Gérard
vient de faire un portrait de Mme de Staël qui est vraiment admirable.
C'est elle sans être trop flattée, et cependant sans aucun
des défauts de sa figure, mais c'est toute son expression. Vous
le verrés ici et vous serez étonnée. Adieu encore,
ma bien chère amie, croyés à l'attachement bien
profond, bien sincère de votre
ADELE
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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