|
La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
|
|
lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 15 mai 1811
|
|
C'est hier, ma très bonne
amie, que votre meilleure amie est née. (Madame de Souza
est née le 14 mai 1761) Je ne compte pas les années,
mais le jour vous sera cher, j'en suis bien sûre, et, en vérité,
je ne désirerois pas être plus jeune ; revenez, et ma vie
sera si doucement arrangée, que je bénirai le ciel à tous les instants.
Charles, se
trouvant un peu remplumé, a imaginé de faire faire son
portrait en buste et de me le donner ; nous réservons le bel
uniforme et les mains pour celui que M Fabre m'a promis. Mais, dans
ce moment, où l'on parloit encore de départ (bruit qui
s'affaiblit tous les jours, graces au ciel), il a voulu me laisser sa
figure : c'est Mlle Godefroid (Je ne trouve pas ce nom dans le catalogue
des artistes français du temps de l'Empire dressé par
M Benoît, op. cit) qui l'a peint et fort ressemblant. cependant,
la duchesse de Courlande dit : "La figure de Charles est de la
poésie, le portrait est de la prose." Vous en jugerez.
[Je vois, ma très chère,
que vous remettez votre voyage au moins pour six mois, et alors voudrez-vous
voyager l'hiver ! Ce sera donc seulement au printemps que je puis vous
espérer. Enfin, vous promettez de venir, mais tiendrez-vous votre
promesse ? Le 1er de juin que j'attendais avec tant d'impatience ! Le
petit jardin est plein de roses, et je pensais que vous le verriez dans
toute sa parure, que M Fabre y trouverait de belles fleurs pour ses
portraits, et tout cela passera sans vous voir. C'est bien, bien triste,
je vous assure.]
Je puis encore moins aller vous
chercher ; la voiture me fait mal, et Doyen a manqué. Nous y
perdons beaucoup, mais on dit qu'avec le tems, nous retrouverons quelque
chose ; en attendant, nous ne sommes sûrs que de 35 pour 100.
Mon mari a supporté cette perte avec bien plus de courage que
je n'aurois osé l'espérer. J'ai diminué ma dépense
; et qu'il ne m'arrive pas pire, je suis encore une des plus heureuses.
Que vous êtes bonne d'avoir
fait un portrait de moi si touchant à Madame votre soeur ! (Madame
d'Arberg) Oh ! Je n'y disputerai rien, je suis trop heureuse
que vous me croyez digne de votre amitié, ma bonne, bonne amie.
Oui, revenez, et la casa aura encore de bonnes petites
journées.
[Je conçois vos raisons,
mais je vous en aimerai un peu moins (de raison).] Et
je suis toujours persuadée que de dépenser là ou
dépenser ici était tout juste la même chose, hors
l'époque du voyage qui peut bien vous gêner davantage dans
cet instant que plus tard. Et puis, je vois que ce voyage (d'Italie
et de Suisse) que vous proposez pour moi vous tente pour vous,
et j'ai peur qu'il ne retarde encore votre retour. Je voudrais être
un peu plus riche et je partirais avec un grand plaisir, mais il me faudrait Charles, et on ne me le laisserait pas
pour si longtemps. (Charles de Flahaut, colonel après Wagram,
était de l'état-major de Berthier) Je vous avoue aussi
que je ne pourrais me résoudre à perdre un seul des momens
qu'il peut passer avec moi.
[Mandez-moi donc, dans votre première
lettre, un jour que je puisse placer dans mon coeur à la place
de ce premier de juin, attendu avec tant d'impatience ; donnez-moi un
jour, un mois sur lequel je m'appuie ; si vous saviez, mon excellente
amie, combien je me réjouissais de ce premier de juin ! Il m'arrivait
de m'en frotter les mains toute seule dans ma chambre, de m'en réjouir.
Ah ! ma bonne amie, j'en aime un peu moins la raison. Cette dame et
ses amis, le courage, la patience, sont de grandes vertus dont je voudrais
n'avoir jamais besoin.]
Vous dites donc
que Charles et moi nous n'entendons rien aux tableaux. Il se pourrait
; cependant, je sens
que je m'y connais mieux. Du reste, les brocanteurs à six liards
sont tous faufilés avec moi. Vous en ririez. Adieu encore, ma
bonne, bonne et chère amie, je vous aime de toute mon âme
et comme ce qu'il y a de meilleur au monde.
[Les voleurs sont entrés
cette nuit dans mon jardin par chez la voisine Minette (Cette
Minette est-elle la même baronne d'Armandariz que Madame d'Albany
appelait ainsi à Florence, et qui fut quelque temps célèbre
dans la société de la comtesse par son amour pour Canova
?), qu'ils ont volée ; moi, j'imagine qu'ils voulaient
seulement admirer mes roses. Cependant, j'aurai bien un peu d'inquiétude
pendant quelques nuits, et puis, je redormirai tranquille. C'est comme
cela de toutes choses...]
[Mille et mille complimens à
M Fabre. Je lui sais bien gré d'avoir pleuré à
Eugénie ; je le remercie de son petit mot dans
votre lettre, et je voudrais bien qu'il ne fit pas si grand cas de votre
raison. Ma bonne amie, que ce premier juin sera triste et je croyais
qu'il serait si heureux pour moi.]
Cependant j'approuve les eaux (Les
eaux des Dagni di Lucca) puisqu'elles doivent vous guerrir et
vous empêcher de souffrir cet hiver. Mais j'aurais voulu que de
là vous fussiez revenue ici.
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
|