|
La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
|
|
lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 14 mai 1813
|
|
Ma chère
et bonne amie, il y a plus d'années que je ne veux le dire que
votre Adèle est née aujourd'huy. Si vous étiés
à Paris, je suis bien sure que vous seriés venue dîner
avec elle et que vous auriés bu à la santé de Charles.
C'est par lui qu'il faut me souhaiter du bonheur. Le voilà encore
bien exposé, et vous me voyez recommençant mes "Oh
mon Dieu, mon Dieu !" Sa santé est excellente, il reprend
de la force tous les jours, et il paroit que ce violent exercice lui
convient tout à fait. Enfin, j'espère que Dieu le protègeras
si la divinité écoute le cri des mères pour les
excellens fils.
J'ai vu hier Madame
votre soeur : elle est gaie, elle a repris de la force, enfin elle est à merveille. Mme Kleine, entre nous, est plus maigre (Et
a le teint plus jaune - effacé -) que jamais ; il me
paroit cependant qu'elle est toute heureuse d'être mère.
Mme de Leobo ne sort pas de son intérieur, elle se conduit comme
un petit ange.
[J'aime beaucoup
votre M Sismondi ; il est si naturel, si simple, au milieu de tant de
connoissances et d'ouvrages qui ont demandés tant de travail
et de lecture ! C'est une personne à qui je puis parlé
de mes roses, et qui sans s'en douter m'a fait une réponse l'autre
jour qui m'a été au coeur. Il se promenoit, regardoit
mes roses, et je lui disois : "C'est incroyable ce que je perds
de tems dans ce petit jardin. - Oh ! je connais bien cela, me répond-il,
car je vois ma mère passer bien du tems dans le sien..."
Ainsi, ma chère amie, ce que fait sa mère est bien fait.
J'ai laissé passer cela sans rien dire, mais je l'en ai mieux
aimé.
Tout son dernier
ouvrage est bien, est bon, est instructif, mais il y a des pages qui
vous feront bien plaisir ; celles sur la fin de cette littérature
arabe laissent une impression mélancolique que je préfère
à toutes les pages Chateaubriand] (sic).
En parlant de ce
dernier, croiriés-vous que l'on a fait la belle histoire qu'il
étoit à un dîner qui a eu lieu, le vendredi saint,
chez Verry, entre des demoiselles de joie (De joie en surcharge)
et des jou[eu]rs si honnêtes que pour des dés pipés,
il y a eu un duel et mort d'homme le lendemain ? cela n'est pas vrai,
cela ne peut être vrai, mais il faudrait jurer qu'on le croit,
en voyant les autorités qui l'affirment.
Vous saurez, Monsieur
Fabre, que je possède à moi trente-huit
tableaux, et plusieur de valeur considérable : que je brûle
de vous montrer mes trésors, sans compter le plaisir que je j'auroi (sic) à vous revoir. Mais le connaisseur Talleyrand
est toujours enchanté de mon Carlo Dolci ; vous, ma chère
amie, et tout ce qui me vient de vous, reste dans ma chambre ; c'est
là où en m'éveillant je me dis : "Ne reviendra-t-elle
donc jamais ?" Parlez-moi de ce retour que je désire presqu'à l'égal
de celui de Néné. Je dis presque parce
que la plus vraie des amies aime aussi la vérité avant
tout. Mais comme il est vrai aussi que je désire vous revoir
et comme le coeur me battra quand j'irai vous embrasser à votre
débotté !
Adieu, ma bonne,
ma chère amie, donnés-moi de vos nouvelles ; ne soyés
pas étonnée s'il est des tems où vous n'en receviés
pas des miennes ; les jours d'abbatement je pense encore à vous,
mais je ne pourrois vous le dire : Charles
exposé à tant de dangers est un si grand poids sur mon
coeur que je ne puis sortir de moi-même. Papa se porte bien. La
casa vous offre son hommage, et moi je vous aime de toute mon âme, ma bonne, mon excellente amie. Bertrand grognasse un peu
sur le soleil "qui est aussi dangereux que le froid", mais
je ne lui passe pas cela.
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
|