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Tome I
p.344-345
M le Baron de Vincent se refusa d'abord à toute espèce
de communication et de pourparlers ; mais il consentit ensuite à
se trouver avec M de Vicence dans une maison tierce. Ils eurent ensemble
une conférence chez Mme de Souza. M de Vincent ne dissimula point
la résolution des alliés de s'opposer à ce que
Napoléon conservât son trône. mais il fit entrevoir
qu'il pensait que son fils n'inspirerait point la même répugnance.
Il s'engagea néanmoins à faire connaître à
l'Empereur d'Autriche les sentimens de Napoléon ; et consentit
à se charger d'une lettre pour l'impératrice Marie-Louise.
Tome 2
p.72
Il tenta d'abord, par pusieurs lettres pleines de sentimens et de dignité,
d'émouvoir la justice et la sensibilité de l'Empereur
d'Autriche. Les réclamations, les prières étant
restées sans effet, il résolut de charger un officier
de la couronne de se rendre à Vienne, pour négocier ou
requérir publiquement, au nom de la nature et du droit des gens,
la délivrance de l'Impératrice et de son fils. Il confia
cette mission à M le comte de Flahaut l'un de ses aides-de-camp.
Personne n'était plus en état que cet officier, de la
remplir dignement. C'était un véritable Français
: spirituel, aimable et brave, il était aussi brillant sur un
champ de bataille, que dans une conférence diplomatique ou dans
un salon, et savait plaire en tous lieux par l'agrément et la
fermeté de son caractère.
M de Flahaut partit, et ne put dépasser Stuttgard. Cette disgrâce
convertit en regret douloureux la joie qu'avait déjà fait
naître l'espérance de revoir le jeune prince et son auguste
mère.
p.184
Il les fait former en carré, et s'avance à leur tête
au devant de l'ennemi ; tous ses généraux, Ney, Soult,
Bertrand, Drouot, Corbineau, de Flahaut, Labédoyère, Gourgaud,
etc., mettent l'épée à la main et deviennent soldats.
Les vieux grenadiers, incapables de trembler pour leur vie, s'effrayent
du danger qui menace celle de l'Empereur...
p.193-194
La suite de l'Empereur fut refermée dans deux autres calèches
; l'une, dans laquelle je me trouvais, contenait M de Bassano, le général
Drouot, le général Dejean et M de Canisy, premier écuyer
; l'autre était occupée par MM de Flahaut, Labédoyère,
Corbineau, et de Bissi, aides-de-camp.
L'Empereur s'arrêta au delà de Rocroi pour prendre quelque
nourriture. Nous étions tous dans un état à faire
pitié ; nos yeux gonflés par les larmes, nos figures décomposées,
nos habits couverts de sang et de poussière nous rendaient pour
nous-mêmes un objet de compassion et d'horreur. Nous nous entretînmes
de la crise où allait se trouver l'Empereur et la France. Labédoyère,
plein de la candeur que donne un coeur jeune et inexpérimenté,
se persuadait que nos dangers rallieraient tous les partis, et que les
chambres déploieraient une grande et bienfaisante énergie.
"Il faut, disait-il, que l'Empereur, sans s'arrêter en route,
se rende directement dans le sein de la représentation nationale,
qu'il avoue franchement ses malheurs, et que (comme Philippe-Auguste)
il offre de mourir en soldat et de remettre la couronne au plus digne.
Les deux chambres se révolteront à l'idée d'abandonner
Napoléon, et se réuniront à lui, pour sauver la
France." - Ne croyez point, lui répondis-je, que nous soyons
encore dans ces tems où le malheur était sacré.
La chambre, loin de plaindre Napoléon et de venir généreusement
à son secours, l'accusera d'avoir perdu la France, et voudra
la sauver en la sacrifiant." - "Que Dieu nous préseve
d'un semblable malheur ! s'écria Labédoyère ; si
les chambres s'isolent de l'Empereur, tout est perdu. Les ennemis, sous
huit jours, seront à Paris. Le neuvième nous reverrons
les Bourbons ; alors que deviendra la liberté et tous ceux qui
ont embrassé la cause nationale ? Quant à moi, mon sort
ne sera point douteux. Je serai fusillé le premier."
- "L'Empereur est un homme perdu, s'il met le pied à Paris
: il n'a qu'un seul moyen de se sauver, lui et la France, reprit M de
Flahaut ; c'est de traiter avec les alliés et de céder
la couronne à son fils. Mais pour pouvoir traiter, il faut qu'il
ait une armée ; et peut-être au moment où nous parlons,
la plupart des généraux songent-ils déjà
à envoyer leurs soumissions au Roi." (M de Flahaut voyait
juste, car il paraît certain que le maréchal Grouchy avait
eu des pour-parlers avec les alliés, et qu'un arrangement, à
la manière du duc de Raguse, allait être signé,
lorsque le général Excelmans fit arrêter le colonel
Prussien envoyé au maréchal pour conclure le traité
déjà convenu.) - "Raison de plus, dit Labédoyère,
pour se hâter de faire cause commune avec les chambres et la nation,
et pour se mettre en route sans perdre de tems." - "Et moi,
répliquais-je, je soutiens, comme M de Flahaut, que si l'Empereur
met le pied à Paris, il es perdu. On ne lui a jamais pardonné
d'avoir abandonné son armée en Egypte, en Espagne, à
Moscow. On lui pardonnera bien moins encore de l'avoir laissée
là, au centre de la France?"
Ces diverses opinions, approuvées ou condamnées, servaient
d'aliment à nos discussions, lorsqu'on vint nous avertir que
les Anglais étaient à la Capelle (Cet avis était
faux), à quatre ou cinq lieues de nous. On en prévint
sur-le-champ le général Bertrand. Mais l'Empereur continua
de causer avec le duc de Bassano, et nous eûmes mille peines à lui faire reprendre la route.
Nous arrivâmes à Laon ; l'Empereur descendit au pied de
la ville. On connaissait déjà notre défaite. Un
détachement de la garde nationale vint au-devant de l'Empereur.
"Nos frère et nos enfans, lui dit l'officier-commandant,
sont dans les places fortes, mais disposez de nous, Sire ; nous sommes
prêts à mourir pour la patrie et pour vous." L'Empereur
le remercia vivement. Quelques paysans nous entouraient et nous regardaient
stupidement ; souvent ils criaient vive l'Empereur ! ces cris
nous faisaient mal. Ils plaisent dans la prospérité ;
après une bataille perdue, ils déchirent le coeur.
p.200
Je lus ce nouveau vingt-neuvième bulletin ; quelques légers
changemens, proposés par le général Drouot, furent
agréés par l'Empereur ; mais, je ne sais par quelle bizarrerie,
il ne voulait point avouer que ses voitures étaient tombées
au pouvoir de l'ennemi : "Quand vous traverserez Paris, lui dit
M de Flahaut, on s'apercevra bien que vos voitures ont été
prises. Si vous le cachez, on vous accusera de déguiser des vérités
plus importantes ; et il faut ne rien dire, ou dire tout." L'Empereur,
après quelques façons, finit par accéder à cet avis.
je fis alors une seconde lecture du bulletin,
et tout le monde étant d'accord de son exactitude, M de Bassano
l'expédia au prince Joseph, par un courrier extraordinaire.
p.266
Napoléon était donc resté presque seul, à la Malmaison. (Sa cour, jadis si nombreuse, n'était plus habituellement
composée que du duc de Bassano, du comte de Lavalette, du général
Flahaut, et des personnes qui devaient partir avec lui, telles que ses
officiers d'ordonnance, le général Gourgaud, les comtes
de Montholon, de Lascases, et le duc de Rovigo.)
p.270
La proposition de Napoléon
fut bientôt connue de tout Paris ; on commença par publier
qu'il avait voulu reprendre le commandement ; on finit par annoncer
qu'il l'avait repris. Napoléon en effet, aussitôt le départ
du général Beker, fit seller ses chevaux de bataille ;
et pendant trois heures, on crut qu'il allait se rendre à l'armée.
Mais il ne songea point à profiter lâchement de l'absence
de son gardien pour s'évader. Une telle pensée était
au-dessous de l'homme qui venait d'attaquer et d'envahir un royame avec
huit cents soldats.
Le général Beker revint à la Malmaison. L'Empereur
se saisit de la réponse de la commission, la parcourut rapidement,
et s'écria : "J'en étais sûr ; ces gens-là
n'ont point d'énergie ; eh bien, général, puisque
c'est ainsi, partons, partons." Il fit appeler M de Flahaut et
le chargea d'aller à Paris, sur-le-champ, concerter son départ
et son embarquement avec les membres de la commission.
Le prince d'Eckmuhl se trouvait aux Tuileries, au moment où M
de Flahaut s'y présenta. Il ne vit dans la mission de ce général
qu'un subterfuge de l'Empereur, pour différer son départ.
"Votre Bonaparte, lui dit-il avec le ton de la colère et
du mépris, ne veut point partir, mais il faudra bien qu'il nous
débarrasse de lui ; sa présence nous gêne, nous
importune ; elle nuit aux succès de nos négociations.
S'il espère que nous le reprendrons, il se trompe ; nous ne voulons
plus de lui. Dites-lui de ma part qu'il faut qu'il s'en aille, et que
s'il ne part à l'instant, je le ferai arrêter, que je
l'arrêterai moi-même." M de Flahaut, enflammé
d'indignation, lui répondit : "Je n'aurai jamais pu croire,
M le Maréchal, qu'un homme qui, il y a huit jours, était
aux genoux de Napoléon, pût tenir aujourd'hui un semblable
langage. Je me respecte trop, je respecte trop la personne et l'infortune
de l'Empereur, pour lui reporter vos paroles ; allez-y vous-même,
M le Maréchal ; cela vous convient mieux qu'à moi."
- Le prince d'Eckmuhl, irrité, lui rappela qu'il parlait au ministre
de la guerre, au général en chef de l'armée, et
lui prescrivit de se rendre à Fontainebleau où il recevrait
ses ordres. - "Non, monsieur, reprit vivement le comte de Flahaut,
je n'irai point ; je n'abandonnerai point l'Empereur ; je lui garderai
jusqu'au dernier moment la fidélité que tant d'autres
lui ont jurée." - "Je vous ferai punir de votre désobéissance
!" - "Vous n'en avez plus le droit. Dès ce moment je
donne ma démission. Je ne pourrais plus servir sous vos ordres
sans déshonorer mes épaulettes."
Il sortit. L'Empereur à son retour s'aperçut qu'il avait
l'âme blessée ; il le questionna, et parvint à lui
faire avouer ce qui s'était passé. Habitué, depuis
son abdication, à ne s'étonner de rien et à tout
souffrir sans se plaindre, Napoléon ne parut ni surpris ni mécontent
des insultes de son ancien ministre. "Qu'il vienne, répondit-il
froidement, je suis prêt, s'il le veut, à lui tendre
la gorge. Votre conduite, mon cher Flahaut, ajouta-t-il, me touche
; mais la patrie a besoin de vous : restez à l'armée ;
et oubliez, comme moi, le prince d'Eckmuhl et ses lâches menaces."
L'histoire plus sévère ne les oubliera point. Le respect
pour le malheur fut toujours placé au premier rang des vertus
militaires. Si le guerrier qui outrage son ennemi désarmé perd l'estime des braves, quel sentiment doit-il inspirer celui qui
maudit, insulte et menace son ami, son bienfaiteur, son prince malheureux
?
SORT DES PERSONNES QUI FIGURENT DANS CES
MEMOIRES.
M le Baron Quinette, banni, rappelé.
M Thibaudeau, proscrit.
Le général Béker, pair de France.
Le général Flahaut, naturalisé anglais.
M de Tromeling, maréchal de camp en activité.
L'auteur des mémoires, indépendant.
Fin du deuxième et dernier Volume.
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