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La défection
de Marmont (1814)
avec l'aide de
Nous donnons ci-après cette lettre
du comte Charles de Flahaut, qui a été publiée
dans le Moniteur du 9 avril 1857
Londres, ce 6 avril 1857
Monsieur le Directeur,
Déjà plusieurs réclamations soulevées par
les Mémoires du Maréchal duc de Raguse, ont été
publiées dans le Moniteur, et j'espère que vous voudrez
bien accorder la même faveur à celle que j'ai l'honneur
de vous adresser.
Recevez, monsieur le directeur, l'assurance de ma parfaite considération,
Comte de Flahault.
Le Maréchal Marmont dit à la
page 121 du tome VII, en rendant compte de la bataille de Waterloo :
" Pendant le cours de la journée, Napoléon s'était
trouvé si éloigné du champ de bataille, qu'il n'avait
pu modifier l'exécution de ses projets, et particulièrement
faire soutenir à temps ce mouvement de cavalerie qui aurait pu
produire un effet si utile et si décisif ; prématuré
et exécuté d'une manière isolée, il devint
inutile ; et cependant si, quand il commença, on eût fait
donner la garde, on aurait remédié au mal.
" Au moment du désordre, la terreur s'empara de l'Esprit
de Napoléon, il se retira au galop à plusieurs lieues,
et à chaque instant (il était nuit), il croyait voir sur
sa route ou sur son flanc, de la cavalerie ennemie, il l'envoyait reconnaître. "
Il est impossible de ne pas remarquer la haine qui perce dans tout ce
récit, que le maréchal prétend tenir du général
Bernard ; ce qui est impossible, car le général Bernard
était un brave et honnête homme, et par conséquent
incapable de lui avoir raconté un tel tissu de faussetés.
L'Empereur s'est placé, pendant la bataille, sur un mamelon,
au centre de la position d'où son regard embrassait l'ensemble
des opérations et d'où il aperçut le mouvement
de la cavalerie qu'avait ordonné le maréchal Ney, qui
lui parut en effet prématuré et intempestif ; aussi s'écria-t-il
: " Voilà Ney qui d'une affaire sûre en fait une affaire
incertaine ; mais maintenant, puisque le mouvement est commencé,
il n'y a plus autre chose à faire qu'à l'appuyer ".
Et il m'ordonna de porter l'ordre à toute la cavalerie de soutenir
et de suivre celle qui avait déjà passé le ravin
qui la séparait de la position occupée par l'ennemi. Ce
qui fut fait. Malheureusement le moment n'était pas arrivé
pour qu'un tel mouvement pût réussir, et l'Empereur l'avait
bien senti ; mais on ne pouvait pas arrêter et rappeler les corps
déjà engagés, et il y a à la guerre des
fautes qu'il n'y a moyen de réparer qu'en y persévérant.
Je laisse au Maréchal Marmont, sans le lui envier, l'honneur
du parallèle (voyez page 125) qu'il cherche à établir
entre les chefs des deux armées et la part qu'il fait à
chacun dans le résultat de la bataille ; il se complaît
à faire le panégyrique du général anglais
aux dépens de l'Empereur, mais au lieu de prendre tant de peine
pour l'accuser de fautes auxquelles il attribue l'issue funeste de cette
journée, il aurait pu sentir que l'arrivée inattendue
sur notre flanc d'un corps de 30000 Prussiens, dont l'artillerie traversait
et labourait de ses boulets notre ligne d'opérations, a été
la véritable cause de la perte de la bataille et de ses suites
désastreuses. Dans son rapport à son gouvernement, le
duc de Wellington a la justice d'en convenir.
Quant à la terreur que le maréchal prétend s'être
emparée de l'esprit de l'Empereur au moment du désordre,
je ne puis mieux faire pour réfuter cette assertion mensongère,
que de raconter les faits tels qu'ils se sont passés sous mes
yeux, et par conséquent personne n'est plus en état de
le faire que moi.
Après avoir assisté à l'attaque de la cavalerie
et à celle de la garde, et lorsque le mouvement de retraite se
fut prononcé, je suis revenu chercher l'Empereur. Il était
nuit ; je l'ai retrouvé dans un carré et je ne l'ai plus
quitté ; après y être resté quelque temps,
et la bataille étant perdue sans ressource, il en est sorti pour
se porter sur la route de Charleroi.
Nous avons suivi cette direction, non pas au galop, comme on a l'infamie
de le dire dans ces Mémoires, mais au pas, et aucune poursuite
de l'ennemi n'a pu inspirer à l'Empereur les craintes que le
maréchal, dans sa haine, voudrait lui attribuer. Loin d'avoir
l'esprit troublé d'aucune crainte personnelle, et bien que la
situation ne fût pas de nature à lui inspirer une grande
quiétude, il était tellement accablé par la fatigue
et le travail des jours précédents, qu'il n'a pu s'empêcher
plusieurs fois de céder au sommeil qui s'emparait de lui, et
il serait tombé de cheval si je ne l'avais pas soutenu.
Nous sommes arrivés le lendemain matin à Charleroi, où
nous avons pris la poste pour nous rendre à Laon ; il s'y est
arrêté pour écrire le bulletin dans lequel il rend
compte de cette fatale journée, et s'est ensuite mis en route
pour Paris ; voilà la vérité. Qu'on la compare
avec le récit haineux et mensonger du Maréchal Marmont,
et qu'on juge.
Mais quel sentiment d'indignation et de dégoût n'éprouve-t-on
pas en voyant un homme, dont tous les efforts auraient dû tendre
à se faire oublier ou au moins pardonner, venir ainsi attaquer
celui qui avait été son bienfaiteur, et, après
l'avoir trahi vivant, le calomnier après sa mort !
Cte de Flahault.
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