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L'Empire libéral
(Emile Ollivier)
Louis-Napoléon et le Coup d'état
avec l'aide de
p.8-9
... Hortense était une svelte personne aux yeux bleus,
au teint éblouissant, à la voix vibrante, claire, douce,
insinuante ; toute séduction et agrément, quoique sans
beauté. D'un esprit gai, brillant, léger, d'une humeur
capricieuse, avide de mouvement, de distractions, aimant la peinture,
la musique, la toilette, le bel esprit des conversations, les parties
de plaisirs, les fêtes, d'une bonté pour tous qui ne se
défendait pas assez de dégénérer en préférence
pour quelques-uns, d'une amabilité cotoyant de si près
la coquetterie qu'il était souvent malaisé de l'en distinguer,
elle détonnait de toutes manières sur la morosité
grave et sentimentale de son tranquille mari. De semblable ils n'avaient
que l'opiniâtreté, agréable chez elle, grincheuse
chez lui : on l'appelait, elle, la douce entêtée. Ils eurent
de la peine à s'accorder à peu près. Cependant
de leur union naquirent trois fils, tous légitimes, quoi qu'en
ait dit la calomnieuse histoire de la haine. Hortense ne fut jamais
pour son beau-père qu'une fille tendre, dévouée,
respectée : si la douleur que l'Empereur ressentit de la mort
du premier des enfants de son frère (5 mai 1807) fut vive, c'est
parce que, sur la tête de ce jeune Napoléon, remarquable
pour sa beauté, sa précoce intelligence, il avait placé
ses espérances d'hérédité. Il est aussi
faux d'attribuer à l'amiral hollandais Verhuel la paternité
du troisième enfant, Louis-Napoléon (né le 28 avril
1808). L'amiral se trouva en effet aux Pyrénées dans les
mois qui précédèrent la naissance, mais à
Barèges et non à Cauterets, où il vint une seule
fois dîner avec la reine en courtisan cherchant la faveur, non
en favori qui en jouit, tandis que le roi Louis, réconcilié
avec sa femme à la suite de la mort de leur fils aîné,
vivait avec elle dans une complète intimité maritale. (Mémoires du maréchal de Castellane).
p.11-12
Restée seule à Paris, Hortense contracta avec le général
de Flahaut une liaison depuis longtemps dans les données publiques
de l'histoire. Le père de Flahaut, beaucoup plus âgé
que sa femme, emprisonné sous la Terreur, parvint à s'évader.
Dans la cachette sûre où il vivait, on raconta devant lui
que son avocat venait d'être arrêté comme soupçonné
de lui donner asile : il quitte sa retraite, se rend à la Commune,
justifie l'innocent, est envoyé à la guillotine. Sa femme,
restée veuve très jeune, se consacra à l'éducation
de son fils, et publia quelques romans, "qui n'offrent pas le développement
de grandes passions et pas davantage l'étude approfondie des
travers de l'espèce humaine, mais des aperçus très
fins sur la société, des tableaux vrais et bien terminés,
un style orné avec mesure procurent l'agrément d'un esprit
qui ne dit rien de trop". Pendant son émigration, la jeune
comtesse rencontra le duc d'Orléans, le futur roi des Français,
devint pour un temps son amie, sa conseillère influente et active.
En 1802, elle épousa M. de Souza.
"Flahaut, a écrit Hortense, avait l'air distingué,
l'esprit vif, agréable, brillant, mais léger, plus animé
du désir de plaire que pénétré du besoin
d'être aimé ; si son empressement était extrême
pour voir celle dont il fixait l'attention, il mettait les mêmes
feux pour tous les plaisirs qui l'en éloignaient, et s'il n'en
est pas un qu'il ne lui eût sacrifié, il n'en est pas un
qu'il ne recherchât." Hortense le pressait de s'y livrer,
"honteuse du mouvement caché qui l'eût portée
à le retenir, heureuse s'il lui eût désobéi,
tremblante de le trouver docile".
De cette liaison naquit un fils qui, sur le témoignage d'un coordonnier
et d'un tailleur d'habits, fut inscrit comme enfant légitime
d'un sieur Demorny, propriétaire à Saint-Domingue et de
son épouse Louis Fleury (23 octobre 1811). Plus tard, le Demorny
fut coupé en deux et devint de Morny. L'enfant, remis aux soins
de sa grand'mère paternelle, Mme de Souza, apprit d'elle le ton
exquis, la bienséance, le finesse de l'esprit, la grâce
des manières, le goût des délassements littéraires.
Secondée par l'abbé Bertrand, Hortense s'occupa elle-même
de l'éducation de ses enfants légitimes avec la passion
d'une mère, dont la prière de chaque matin était
: "Mon Dieu ! faites que mes enfants se portent bien et que je
meure avant eux."
p.56
... Un talisman plus précieux encore lui fut une lettre de sa
mère restée dans ses papiers et contenant une bénédiction
ardente : "Nous nous retrouverons, n'est-ce pas ? dans un meilleur
monde, où tu ne viendras me rejoindre que le plus tard possible,
et tu penseras qu'en quittant celui-ci, je ne regrette que toi et ta
bonne tendresse qui, seule, m'y a fait trouver quelque charme. Cela
sera une consolation pour toi, mon cher ami, de penser que par tes soins
tu as rendu ta mère heureuse autant qu'elle pouvait l'être
; tu penseras à toute mon affection pour toi, et tu auras du
courage." Mme Salvage, l'exécuteur testamentaire, lui communiqua
un papier destiné à Morny. Ainsi il apprit l'existence
de ce fils de sa mère.
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... S'il perdit ce concours utile, le Prince conquit celui bien précieux
de Morny. Morny, des mains de sa grand'mère Mme de Souza, avait
passé sur les bancs du collège Henri IV. Il s'y était
lié avec le jeune duc de Chartres, futur duc d'Orléans,
ce qui lui valut après 1830 d'être nommé d'emblée
officier de cavalerie, sans examen, en qualité de héros
de Juillet.
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