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L'armistice, comme moyen de faire gagner du temps aux coalisés
et de lui en faire perdre à lui-même, ne lui convenait
certainement pas, car il voulait au contraire les joindre au plus
vite, pour leur livrer une bataille décisive. Mais cet armistice
lui convenait comme moyen de négocier plus directement, plus
près de lui, et sous l'impression des coups qu'il portait chaque
jour. Il avait donc consenti à envoyer l'un de ses aides de
camp aux avant-postes, et avait confié cette mission à
M le comte de Flahaut. Il lui avait donné pour instructions
(Ces instructions existent à la secrétairerie d'Etat,
et n'étaient pas, comme on l'a dit, purement verbales. Le sens
en est donc connu d'une manière tout à fait certaine.)
de repousser toute suspension d'armes pendant ces pourparlers, ne
voulant pas pour un échange de propos, peut-être insignifiant,
laisser échapper le prince de Schwarzenberg ; d'exiger un préambule
dans lequel on commencerait par déclarer qu'on allait traiter
de la paix sur les bases de Francfort, et de tracer enfin la ligne
de séparation entre les armées belligérantes
de manière à impliquer la conservation pour la France
de Mayence et d'Anvers. Si ces conditions étaient admises,
Napoléon pouvait en effet déposer les armes, car il
n'aurait probablement plus à les reprendre, ayant l'intention
bien formelle de ne pas poursuivre la lutte si on lui laissait la
ligne du Rhin et des Alpes. Mais déposer les armes sans avoir
la garantie des bases de Francfort, c'était à ses yeux
perdre tous les avantages acquis, la fortune, comme il le croyait,
étant alors prononcée pour lui.
M de Flahaut partit de Troyes le 24, jour même où Napoléon
y entrait, se rendit au village de Lusigny, situé à
trois lieues au delà, y trouva MM de Schouvaloff pour la Russie,
de Rauch pour la Prusse, et de Langenau pour l'Autriche. En ce moment
le maréchal Oudinot poussant l'arrière-garde ennemie
sur Vandoeuvres, criblait de balles le lieu même où allaient
se réunir les négociateurs. Sur la demande de M de Flahaut
il fit porter ailleurs le combat, et le village de Lusigny fut neutralisé.
Les envoyés des puissances alliées paraissaient désirer
une prompte solution : M de Flahaut énonça donc sans
différer les conditions dont il était porteur, et il
proposa deux choses, premièrement la continuation des hostilités
pendant les pourparlers, et secondement l'insertion d'un préambule
qui consacrerait les bases de Francfort. Ces deux points n'étaient
pas de nature à plaire aux commissaires ennemis, car le premier
ôtait à l'armistice son principal intérêt,
et le second lui donnait une portée contraire à tous
les desseins de la coalition. Visiblement mécontents, les trois
commissaires répondirent qu'ils n'avaient aucun pouvoir pour
toucher aux questions diplomatiques. Suspendre momentanément
les hostilités, et fixer la limite temporaire sur laquelle
s'arrêteraient les armées belligérantes, constituait,
dirent-ils, leur unique mission. Ils voulaient partir sur-le-champ,
mais M de Flahaut les retint, en les engageant à demander de
nouvelles instructions, et en promettant d'en demander lui-même.
Ils consentirent à rester à Lusigny à condition
qu'on écrirait immédiatement aux deux quartiers généraux
pour réclamer ces nouvelles instructions.
Napoléon, bien qu'il fût fermement résolu à
ne pas se désister des frontières naturelles, et que
dans cette vue il ne voulût pas interrompre le cours de ses
succès à moins d'être assuré des bases
de Francfort, n'était pas indifférent toutefois à
l'avantage de conclure un armistice, qui équivaudrait à
la signature des préliminaires de paix, et qui amènerait
un apaisement momentané des vives passions soulevées
contre lui. Il renonça donc à ce préambule, qu'il
était difficile d'insérer dans un simple armistice,
et il consentit à la continuation des pourparlers, s'il pouvait
par un détour revenir à son but. Ainsi, par exemple,
si en déterminant les limites qui devaient séparer les
armées, il obtenait que les coalisés lui laissassent
Anvers du côté des Pays-Bas, Chambéry du côté
de la Savoie, il tirerait de cette concession une présomption
des plus fortes pour le réglement définitif des frontières.
En conséquence il autorisa M de Flahaut à poursuivre
la négociation entamée à Lusigny, sans que la
mention des bases de Francfort dans le préambule fût
accordée, mais à condition que les armées ennemies
rétrograderaient dans les Pays-Bas jusqu'au delà d'Anvers,
et qu'en Savoie elles se tiendraient en dehors de Chambéry,
dont elles étaient fort rapprochées. Si les commissaires
ennemis acceptaient cette ligne de démarcation, c'était
une présomption en faveur des frontières naturelles,
qui sans équivaloir à la mention des bases de Francfort,
en était pour ainsi dire l'acceptation de fait.
C'est d'après ces données que M de Flahaut dut continuer
à parlementer à Lusigny. Le général Langenau,
tombé malade, avait été remplacé par le
général Ducca, porteur des assurances et des conseils
les plus pacifiques de l'empereur François. Le nouveau parlementaire
était chargé d'insister secrètement auprès
de M de Flahaut, pour que Napoléon ne s'obstinât point
à poursuivre la guerre, car l'occasion actuelle était
la dernière où il pourrait, sous l'influence de ses
récents succès, traiter avantageusement. Le conseil
était excellent, si moyennant certains sacrifices on pouvait
obtenir mieux que les frontières de 1790, si par exemple en
abandonnant Anvers et Bruxelles, on pouvait conserver Mayence et Cologne.
Mais si cette insistance signifiait qu'il fallait pour sauver la dynastie
abandonner toutes les acquisitions de la France depuis 1790, le conseil,
bon de la part d'un beau-père, ne valait rien pour Napoléon,
et sa résolution de périr, même en faisant tuer
encore bien des milliers d'hommes, convenait mieux à sa gloire
et aux véritables intérêts de la France.
Dans les conférences officielles, MM de Schouvaloff, de Rauch,
Ducca, déclarèrent, comme il était facile de
le prévoir, qu'ils étaient réunis pour une simple
convention militaire, que toute stipulation relative au fond des choses
devait leur rester étrangère, qu'ils avaient reçu
l'instruction formelle de s'en abstenir, que par conséquent
le préambule demandé était inadmissible.
Cette déclaration n'ayant pas provoqué de la part de
M de Flahaut la rupture des conférences, on en vint à
la discussion de la ligne de démarcation. Le commissaire français
proposa la sienne, conforme aux vues que nous venons d'exposer ; les
commissaires alliés proposèrent la leur, conforme aux
résolutions politiques de leurs cours. Ils voulaient au nord
s'avancer jusqu'à Lille, ils consentaient à rétrograder
de quelques pas en Champagne et en Bourgogne, admettant la discussion
sur la possesssion de Vitry, de Chaumont, de Langres, mais ils tenaient
obstinément à Chambéry, et reproduisaient ainsi,
à l'exemple de Napoléon, les prétentions fondamentales
de leurs cours par la voie indirecte de l'armistice. On disputa, et
on eut encore recours à de nouvelles instructions, ce qui devait
prolonger de quelques jours la négociation.
On pouvait rompre à cette occasion, car il était facile
de voir qu'on ne s'entendrait pas, à moins de nouveaux et graves
événements militaires. mais il ne convenait à
aucune des parties de rompre sur-le-champ, car les pourparlers ne
suspendant pas les hostilités ne nuisaient à personne,
et le prince de Schwarzenberg espérait que peut-être
il en résulterait quelque ralentissement dans les opérations
de Napoléon. Napoléon de son côté, quoique
bien décidé à continuer la lutte, sentant pourtant
le besoin d'une paix prochaine, ne voulait pas fermer la nouvelle
voie de négociation qui venait de s'ouvrir à ses côtés.
Il pouvait toujours la clore d'un seul mot, et en la laissant ouverte
il avait une ressource pour un cas pressé...
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... Les commissaires pour l'armistice, réunis depuis le 24
à Lusigny, n'avaient pas cessé de disputer sur la limite
qui séparerait les armées belligérantes. Napoléon
en partant enjoignit M de Flahaut de continuer les pourparler, et
de céder même sur divers points, moyennant que la place
d'Anvers et la ville de Chambéry fussent comprises dans la
ligne de démarcation. Quoiqu'il n'attendît rien de ces
pourparlers, il ne voulait se fermer aucune voie de négociation.
M de Caulaincourt lui conseillait toujours l'abandon dune partie des
bases de Francfort, et lui demandait un contre-projet, que les plénipotentiaires
à Châtillon réclamaient avec insistance, conformément
aux ordres venus de Chaumont. Napoléon dicta une réponse
pour ces plénipotentiaires. M de Caulaincourt devait dire qu'on
élaborait au quartier général le contre-projet
désiré, mais qu'au milieu de mouvements militaires si
multipliés, il n'était pas étonnant que l'Empereur
des Français, qui était à la fois chef de gouvernement
et chef d'armée, n'eût pas trouvé le temps d'achever
un semblable travail...
p.492
Les conférences de Lusigny avaient été définitivement
abandonnées, le prince de Schwarzenberg n'en ayant plus besoin
pour se débarrasser de la poursuite de Napoléon, et
Napoléon s'obstinant à cacher une question de frontières
sous une question d'amistice.