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avec l'aide de
CHAPITRE III
Monsieur le comte de Morny.
(Avant de raconter ce que
je sais de particulier et de secret sur tous les événements
du 2 décembre, j'ai tenu à faire par anticipation une
étude intime de M. le comte de Morny, qui fut appelé
à jouer un si grand rôle dans ces événements.)
Madame de Souza.
- Le comte de Flahaut
et le comte de Souza. - Mme de Souza en Suisse.
- Adèle de Sénange et Eugène
de Rothelin. - Le prince de Talleyrand et le
jeune de Morny. - M le comte de Morny, sous-lieutenant
au 1er régiment de lanciers. - Le coup
d'Etat du 2 décembre 1851
p. 168
De tendres et incessants conseils, de sages
leçons, de bons exemples, en un mot, l'éducation du foyer,
ont surtout le pouvoir de faire tourner à bien, de faire s'épanouir
avec bonheur ces rudiments, ces germes héréditaires des
goûts, de l'intelligence, des penchants naturels, des entraînements
de caractère que le père ou la mère et quelquefois
un aïeul transmettent à l'enfant comme défauts, vices
ou vertus de famille. On recueille toujours clartés nouvelles et
renseignements utiles à tenir compte du milieu dans lequel a d'abord
vécu le personnage dont on veut reproduire fidèlement les
traits particuliers, l'expression vivante. Prenons donc dès l'âge
le plus tendre M. le comte de Morny.
Né le 23
octobre 1811, il fut élevé par sa grand'mère, madame
de Souza. Etudions d'abord madame de Souza.
Avant la révolution
de 89, madame de Souza était la comtesse de Flahaut. Le comte
de Flahaut, beaucoup plus âgé qu'elle, l'avait épousée
toute jeune, très agréable, sortant d'un couvent de Paris.
Il portait alors les titres de maréchal de camp, d'intendant
des jardins et du cabinet du roi ; il logeait au Louvre.
Dans les années qui précédèrent
92, la comtesse de Flahaut recevait la meilleure compagnie ; l'évêque
d'Autun (le prince de Talleyrand) tenait souvent chez elle le dé
de la conversation. Elle racontait avec charme, dans sa vieillesse,
que la politique l'avait toujours ennuyée, et qu'elle s'était
de tout temps fait, dans un des coins de son salon, comme une retraite
idéale avec son piano, sa harpe et quelques livres. Elle y rêvait
sans doute à ces personnages d'élite auxquels elle sut
donner la vie dans ses romans. Elle composait alors ce petit chef d'oeuvre, Adèle de Senange, qui ne fut publié qu'en 1794.
La révolution ne pouvait épargner
cette famille honorable, ayant charge à la cour et logeant au
Louvre : le comte de Flahaut, jeté dans les prisons, périt
sur l'échafaud en 1792.
La comtesse, réfugiée
d'abord en Angleterre avec son jeune fils, passe bientôt en Suisse.
Elle y rencontre, vers 1794, le jeune duc d'Orléans, gagne son
amitié et devient la confidente de la brouille du jeune prince
avec madame de Genlis.
Elle écrivait de Bremgarten (Suisse)
à M Gouverneur Morris, (Mémorial de Gouverneur
Morris, homme d'Etat américain, ministre plénipotentiaire
des Etas-Unis en France, de 1792 à 1794 : traduit en français
; 2 vol. in-8è, 1842), ministre américain :
"J'ai vu, en Suisse, le jeune duc d'Orléans. Il a eu une
qurelle sérieuse avec Mme de Sillery (madame de Genlis), dont
il avait tant à se plaindre. Mais ne répétez pas
cela ; car si elle savait qu'il en a parlé, elle le persécuterait
jusque dans sa retraite. Il est maintenant complètement étranger
à cette dame et à ses principes, et il a même retiré
sa soeur de ses mains, et l'a confiée à le princesse de
Conti, sa tante."
Il s'est dit de plus à cette époque,
que le jeune prince n'avait pas été insensible à
la grâce, à l'amabilité de la comtesse de Flahaut,
qui, plus âgée que lui, unissait alors à toutes
les séductions de l'esprit les charmes non moins sûrs de
la seconde jeunesse.
Rentrée en France, madame de Flahaut
épouse le comte de Souza Bothello, noble portugais, à
qui l'on doit la plus belle édition du Camoëns, publie
de gracieux romans, dans lesquels elle peignait, d'une touche très-fine,
tantôt les moeurs de l'ancienne société, tantôt
celles de l'émigration, associant toujours dans ses oeuvres l'intérêt,
une certaine passion et la convenance parfaite de ton et de langage.
Madame de Souza avait une charmante manière de dire, l'esprit
prompt et l'à-propos. A son retour de l'émigration, elle
vit le général Bonaparte. Un jour, celui-ci lui demanda
avec une certaine brusquerie : "Eh bien, madame, vous venez d'Allemagne
: comment nous traite-t-on là-bas ? on ne nous aime guère
?
- Sire, répondit madame de Souza, on nous aime comme les vieilles
femmes aiment les jeunes."
Madame de Souza montra toujours une fidèle
affection pour Madame Bonaparte, après le divorce comme lorsque
Joséphine était impératrice.
Bien des femmes, à le fin du dix-huitième siècle et au commencement
du dix-neuvième, ont su conquérir, dans la société
de leur temps, plus de réputation, faire plus de bruit, exercer
un plus grand empire que madame de Souza ; mais aucune, pas même
madame de Staël, dans ces jours peu littéraires, ne composa
de romans plus dignes d'un succès durable qu'Adèle
de Senange et Eugène de Rothelin ; ce sont deux perles
qui doivent prendre place à côté de la Princesse
de Clèves.
Eugène de Rothelin est le jeune homme
accompli tel que le voudraient toutes les mères. On peut penser
que madame de Souza, en écrivant ce roman, songeait à
son fils et lui proposait un modèle dans ce touchant tableau.
Toutefois, lorsque le jeune M de Flahaut entra dans le monde et dans
l'armée, il est à croire que sa spirituelle et tendre
mère, si au courant des choses de la vie, lui fit surtout confidence,
à propos des femmes, de quelques vérités pratiques
contrastant peut-être avec les sentiments de ce monde idéal
qu'elle se créait. Pour le jeune homme qui entre dans le monde,
il y a beaucoup à rabattre du Télémaque !
Le jeune comte de Flahaut, brillant officier,
combla tous les voeux de sa mère. C'est certainement à lui qu'elle pensait lorsque, dans Eugénie et Mathilde (1811), elle écrivait :
"Il part pour l'armée ! douleur
inexprimable ! inquiétude sans repos ! sans relâche ! inquiétude
qui s'attache au coeur et le déchire !... Cependant, si, après
sa première campagne, il revient du tumulte des camps, avide
de gloire et pourtant satisfait, dans votre paisible demeure ; s'il
est encore doux pour vos anciens domestiques, soigneux et gai avec vos
vieux amis ; si son regard serein, son sourire encore enfant, sa tendresse
attentive et soumise, vous font sentir qu'il se plaît près
de vous... ah ! heureuse, heureuse mère !"
M le comte de Flahaut, remarqué de
bonne heure par Napoléon, pour sa bravoure, pour sa jeunesse,
pour cette bonne grâce élégante et cette allure
décidée qui se ressentaient des deux régimes, de
l'ancien et du nouveau, devint bientôt général de
division et aide de camp de l'empereur. A la mort de Duroc, en 1813,
Napoléon pensa d'abord à M de Flahaut pour le nommer grand
maréchal du palais. C'était le temps où l'empereur
pensait aussi à M Molé, ministre de la justice, jeune
et du meilleur monde, pour remplacer Cambacérès, qui se
faisait vieux, scrupuleux et dévot. Un peu de faveur, dont témoignait
une si rapide élévation, se justifiait de reste par les
qualités brillantes de ces deux hommes distingués, qui,
dans l'ordre civil comme dans l'armée, ne dataient que de l'empire,
et que Napoléon pouvait se vanter d'avoir seul formés.
Madame de Souza, veuve une seconde fois,
ne mourut qu'en 1836 (M le comte de Morny comptait alors vingt-cinq
ans). Depuis 1811, l'auteur d'Adèle de Senange ne cessa
d'entourer du plus tendre et du plus vif intérêt l'avenir
d'un jeune homme qui chaque année prenait de plus en plus, auprès
d'elle, cete bonne grâce, cette élégance fine de
manières alors déjà perdues et oubliées.
M de Morny, à son tour, était devenu l'Eugène de
Rothelin de la vieillesse de madame de Souza.
Admis très-jeune dans un monde sérieux,
aimable et lettré, il faisait de bonne heure, avec une spirituelle
facilité, beaucoup de pièces de vers qu'il n'eut jamais
la pensée de publier ; il composait plus tard des romances, paroles
et musiques, que dans l'intimité il chantait d'une voix de ténor
timbrée et légère ; enfin il montrait ces mêmes
penchants d'esprit auxquels s'abandonnait madame de Souza dans cette
retraite idéale d'un des coins de son salon.
Cependant le jeune de Morny, bientôt
mis en pension chez M Muron, y suit les classes du collège Bourbon
; il reçoit de M Casimir Bonjour des leçons particulières
de grec ; il apprend l'anglais, qu'il parle et prononce aujourd'hui
comme un membre de la chambre des lords.
On conduisait assez
souvent l'élégant élève du collège
Bourbon en visite chez le prince de Talleyrand, qui prenait plaisir
à le faire causer. Un jour, M de Talleyrand dit à M Martin,
gouverneur des enfants de M de Dino : "N'avez-vous pas rencontré
dans l'escalier un petit bonhomme que M de Flahaut tenait par la main
? - Oui, prince. - Eh bien, souvenez-vous de ce que je vais vous dire
: cet enfant-là sera un jour ministre." M de Morny avait
alors douze ans.
Le futur ministre
sortait de l'école d'état-major en 1832, à vingt
et un ans, pour entrer, comme sous-lieutenant, dans le 1er régiment
de lanciers. M de Morny, en garnison à Fontainebleau, eut facilement
de M le comte de Montalivet l'autorisation de fréquenter la bibliothèque
de cette résidence royale. A ce sujet, madame de Souza disait
un jour à un de ces amis (M de Sainte-Beuve) en lui montrant
le portrait de son petit-fils qu'elle avait sous les yeux : "Vous
voyez bien ce jeune homme dont l'avenir me préoccupe et m'intéresse
: quels livres croyez-vous qu'il choisisse pour ses lectures ? Vous
pensez qu'il lit des romans, des poésies légères,
des mémoires agréables, des Contes de Voltaire
: à tout cela, il préfère des livres de métaphysique,
de théologie. Et savez-vous la raison qu'il m'en donne ? - J'étudie
d'abord les livres de religion, dit-il, parce que je veux tout de suite
couler à fond cette question-là."
Ces études ne firent pas que le sous-lieutenant
de lanciers entrât au séminaire ; mais il sollicita et
obtint la faveur de partir pour l'armée d'Afrique. Il prit part
à l'expédition de Mascara et au siège de Constantine.
A Mascara, officier d'ordonnance du général
Oudinot, il traverse avec le capitaine Adolphe de Caraman toute l'armée
d'Abd-el-Kader pour rejoindre l'avant-garde de l'armée française.
p.180
... Grâce à tout cela, et même aux conseils pratiques
de madame de Souza, qui savait si bien le train du monde et les tressaillements
les plus cachés du coeur humain, M le comte de Morny entre par
l'industrie dans la politique, et monte sur un nouveau théâtre
sans timidité comme sans présomption.
D'une gravité sympathique, d'une politesse
digne, froide, mais qui ne va pas jusqu'au dédain, M de Morny
s'est en tout temps fait remarquer par une certaine surveillance de
sa vie, par une certaine économie de soi-même. Dans toute
compagnie, il montre de l'aisance, du naturel ; mais il ne fréquente
guère que ce qu'on est convenu d'appeler le grand monde. C'est
là son milieu ; il y prit ses lettres de naturalisation dès
le salon de madame de Souza. Il est là tout à l'aise,
il y a ses coudées franches ; il s'y fait surtout remarquer par
son langage...
p.257 (coup
d'état du 2 décembre 1851 - Elysée)
... Le président de la république était accompagné
de ses aides de camp et officiers d'ordonnance, de MM Fleury et Edgar
Ney, du général Roguet, du lieutenant-colonel Béville,
du capitaine Lepic, des généraux Vast-Vimeux, le Pays
de Bourjolly, Flahaut, du colonel Murat, etc... le roi Jérôme
était à ses côtés...
p.261 (coup d'état du 2 décembre
1851 - Ministère de l'Intérieur)
M de Morny, réveillé dès cinq heures du matin,
se rend à six heures au ministère de l'intérieur.
Il était accompagné de M le comte de Flahaut, de M Léopold
Lehon et d'un secrétaire. Ces messieurs n'étaient suivis
que d'un seul domestique. Le bataillon de service pendant la nuit à
l'Assemblée nationale avait déjà été
relevé ; en passant devant la Chambre pour se rendre rue de Grenelle,
malgré l'obscurité, M de Morny put le constater...
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