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p.147-148
La première fois que je la vis (Eugénie de Montijo), c'est
dans le courant de l'été de 1842 ; elle avait alors seize
ans. J'avais dîné à Passy chez Benjamin Delessert
; après le repas, nous sortîmes pour fumer dans le vaste
jardin qui ressemblait à un parc ; il tomba quelques gouttes
d'eau et nous nous réfugiâmes dans la salle de billard.
Il y avait là Lord Howden, qui était le mari morganatique
de la vieille princesse Bagration, Prosper Mérimée, Antonin
de Noailles, tout jeune et beau comme Apollon, le duc de Mouchy, Albert
de Broglie, déjà sérieux et cherchant des attitudes
d'homme d'Etat, Charles de Rémusat, à la fois ironique
et bienveillant, Eugène Delacroix, assez gourmé, selon
son habitude, dans le monde, le comte de Flahaut (Flahaut de la Billarderie
(Auguste, comte de) 1785-1870. Ancien officier de l'Empire, diplomate
et membre de la Chambre des pairs sous la monarchie de Juillet, nommé
sénateur en 1853. Il était le père du duc de Morny.
(N. d. E.)) encore plein de séduction malgré ses cinquante-sept
ans et qui allait retourner à son ambassade de Vienne. Nous étions
en train de faire une partie dont je ne sais plus le nom, qui se joue
avec de petites quilles qu'il faut abattre d'une certaine manière,
lorsqu'une jeune fille entra en criant : "Pouah ! quelle tabagie
!"
p.229-230
Morny était le fils de la reine Hortense et du comte de Flahaut (Je trouve dans l'Histoire générale des émigrés,
par H. Forneron, un renseignement intéressant sur l'origine du
comte de Flahaut : "Une autre femme, à bel esprit trônait
en même temps à Hambourg : Adélaïde Filleul,
veuve du vieux Flahaut. Elle avait déjà écrit son
roman d'Adèle de Senanges, mais elle était dans la misère,
avec son fils, Auguste, le futur aide de camp du roi Louis Bonaparte.
La mère Filleul avait été une des gardiennes des
filles du Parc aux Cerfs ; c'était assez pour permettre à
Adélaïde de se dire fille de Louis XV ; Adélaïde
était une femme ardente qu'avait adorée, que haïssait
Talleyrand, et dont tomba épris un frêle Portugais, le
baron de Souza ; il l'épousa." (Edit. in-16, 1884, t.I,
p.382-383.) (Note de l'auteur.), qui avait été - cela
se voyait encore lorsque j'entrai en relation avec lui - un homme d'une
élégance et d'une beauté peu communes. Le comte
de Flahaut, général de division à vingt-quatre
ans, fut la coqueluche des grandes dames du Premier Empire ; on se le
disputait dans les alcôves de la famille impériale, où
il ne rencontra que des facilités, sinon des avances. Plus d'une
fois Napoléon se fâcha, toujours en vain. Il était
relativement pauvre, mais on lui avait donné un hôtel aux
Champs-Elysées ; il possédait les plus beaux équipages
de l'armée et trouvait cela tout simple. La reine Hortense ne
lui fut pas plus rebelle que les autres, d'où, le 21 octobre
1811, provint un Charles-Auguste-Louis-Joseph, qui fut comte et ensuite
duc de Morny.
Il est né à Paris, rue des Filles-du-Calvaire,
dans une maison entourée d'un jardin clos de murs et que l'on
avait louée pour la circonstance. des joueurs d'orgue postés
dans les environs n'auraient point permis d'entendre des cris et des
gémissements, précaution excessive qui fut inutile. (voir
d'autres versions sur sa naissance). Quoi que l'on en ait dit, l'enfant
eut un état civil régulier et le nom qu'il porta ne fut
point un nom de fantaisie. (Voir
son acte de naissance). On avait découvert à Villetaneuse
un vieil officier pauvre, fatigué de l'être, qui s'appelait
Demorny et qui, moyennant une rente de six mille francs qu'il toucha
jusqu'à sa mort, n'hésita pas à reconnaître
l'enfant qu'il ne connaissait pas. Auguste fut élevé par
la mère du comte de Flahaut, qui, en secondes noces, avait épousé
le baron de Souza. Il vécut, dès son adolescence, dans
la familiarité de Talleyrand, de Montrond, de Pozzo di Borgo,
de Metternich, d'Alexandre de Girardin ; ce n'est point en telle compagnie
qu'il se forgea des principes bien rigides, mais il y apprit la science
du monde à laquelle il excella. Il fut un des plus brillants
officiers de l'armée française. Il donna sa démission
en 1838, afin de ne pas s'éloigner de la comtesse Le Hon, qui
était alors dans tout l'éclat de sa beauté blonde
et un peu vulgaire.
Il avait dans sa chambre à coucher
un portrait de la reine Hortense et tirait vanité de son origine
; avant qu'il ne fût nommé duc et ne reçût
pour armes les armes des anciens dauphins d'Auvergne, il portait l'écusson
des Morny, au franc quartier d'or chargé d'une fleur d'hortensia
de gueules, avec la devise : tace et memento. Lorsqu'il fut choisi
pour présider le Corps législatif, le Punch publia une
de ces fortes charges que les Anglais savent si bien faire. On voyait
Morny assis au fauteuil de la présidence et tombé en rêverie
; il se disait : "Ma mère, c'est la reine Hortense ; mon
père, c'est le comte de Flahaut ; l'empereur Napoléon
III est mon frère, la princesse Louise Poniatowska est ma fille
; tout cela est naturel."
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