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CHAN 565 AP 9
Correspondance familiale
Lettres de Madame de Souza à son fils Charles de Flahaut
Dossier 10
douze lettres du 14 avril au 16 octobre 1823
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 176)
14 avril 1823
Nous sommes en pleine lune rousse mon cher enfant, et quoique les illustres disent que c'est un préjugé populaire, une idée de vieille femme, que cette lune n'est pas plus mauvaise qu'une autre, comme chaque année elle m'a fait un mal horrible au côté. Je ne l'appellerai pas moins lune rousse jusqu'à ma dernière heure, et je suis persuadée que les nègres la nomment la lune blanche.
Nous ne savons que des choses vagues de loin, de Londres, de Guerreiro
, écrit à papa ; qu'il est entré en Galice par delà retourner à Lisbonne. La comtesse d'Alva soeur de Thérèse écrit de Lisbonne le 20, il aura l'honneur d'avoir contribué à délivrer son pays de l'horrible faction qui nous gouverne depuis deux ans ; cependant il ne faut pas qu'il soit très compromis car on ne parle pas de lui, et toute la fureur de nos Cortès s'est portée seulement contre le comte d'Amarenté. Nous avons reçu cette lettre hier au soir, papa tremble de savoir son fils en Espagne dans ce moment ; enfin tout nous effraye, mais ce que je vois très bien, par toutes les lettres, c'est qu'on ne sait où est Louis ; et ce qui est encore plus clair, c'est qu'il y a une grande majorité contre les Cortès, mais que personne n'est d'accord sur ce qui doit y succéder, et comme les Cortès forment un corps qui a force active, je crains beaucoup pour tous ceux qui s'agitent contre eux. Le Roi regarde par la fenêtre de quel côté portera cette fusée ; mais voilà assez de politique.
Papa est moins triste. J'ai été bien fâchée de ne pouvoir lui montrer votre lettre d'hier qui était excellente, mais comme jamais il n'a laissé échapper de son coeur qu'il se reproche d'avoir conseillé à Louis de rester dans ses terres, il ne faut point répondre si directement que tu le fais à cette idée qui cependant le tourmente cruellement. La comtesse d'Alva dit encore que Rego étant à Villareal, a laissé fort tranquille Thérèse à Maltheus (?) qui est aussi près que ma maison l'est des Champs Elysées ; la lettre de Thérèse à sa soeur est du 12. En tout, cette situation de Louis est incompréhensible, et Thérèse ne parlant qu'à mots couverts, nous sommes dans les ténèbres.
Je vous embrasse, mes chers enfants de tout mon coeur. Avez-vous reçu bien des lettres de moi adressées à Edinburgh. Réclamez-les, car vous ne m'en dites pas un mot. Auguste est à merveille. J'aimerais bien à me trouver avec vous tous, et pauvre Louis à Meiklour, mais nous sommes trop vieux pour nous déplacer, nous souffrirons et mourrons là où nous sommes. Je n'en remercie pas moins Marguerite et vous de l'avoir désiré.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 177)
17 avril 1823
Mon cher enfant, me revoilà avec un de mes gros rhumes et les quintes de toux me font un mal au côté horrible. Ah ! quel temps que celui où la vieillesse commence avec tous ses agréments ! Il est vrai que nous avons eu un vent d'est qui a causé ici bien des maladies, voir même des morts de tout âge. Nous sommes toujours dans l'ignorance complète du sort de Louis. Sa personne et son nom semblent avoir sombré sans voile, et, entre nous, ses compatriotes qui sont ici réfugiés et cachés sous leurs coquilles, et leur intolérance commencent à s'en scandaliser. Papa l'ignore, mais un d'eux qui avait pris un ton dévôt pour en gémir devant moi, m'a inspiré de lui répondre aussi d'une voix douce et flattée : "Ah ! mon Dieu, que je voudrais le voir aussi tranquille, aussi en sûreté que vous l'êtes ici". Il est bien vrai que l'esprit a cela d'admirable, c'est que chacun voudrait que son voisin fût martyr. Enfin, nous ne savons rien de Louis, et tous les soirs quand papa me quitte pour courir au ... lire les gazettes, je tremble toujours de ce qu'il peut y trouver.
On distribue les prix du premier semestre du lycée, et l'on m'assure qu'Auguste aura le 6ème accessit, ce qui est beaucoup pour la première année qu'il y va. En parlant d'Auguste, vous saurez que nous vous avons ... à deux robes par an pour Mme Muron, une aux étrennes, vous avez donné celle-là, mais il en faut aussi une pour sa fête qui arrive au mois de mai. Celle-là nous la voulons rose, parce que Mme Muron est une jeune femme
prête d'accoucher, enfin, il nous faut le plus tôt que vous pouvez l'envoyer, une très jolie robe, et tous les ans nous nous remémorons cette demande en septembre et avril. Ces petites attentions font que l'on a plus de soin des enfants, et Auguste avec son caractère, ses étourderies, demande beaucoup plus de soins qu'un autre enfant. Il nous faut aussi un grand ... parce qu'en France on ne sait pas faire de robes à moins de 7 aunes et demie à 8 aunes de France. Vous enverrez votre paquet à M. Numann (?) qui l'enverra à M. de Vincent qui me le fera passer ! Je suis très contente de cette pension, et sous tous les rapports on est à merveille, quoiqu'un peu sévèrement quant aux sorties. N'oubliez pas, ne négligez pas la robe de Mme Muron. Je ne vous condamne qu'à ce soin, mon bon et cher Charles. Si vous y joigniez deux gilets pour M. Muron ve serait une magnificence dont je vous saurais bien bon gré. Le général Drouot et Gabriel dînent chez moi le 21 avril, c'est mon jour le plus heureux de l'année, nous boirons à votre santé et à celle de ce petit garçon que nous vous souhaitons.
Ma très chère fille, avez-vous pris le nom de Lady Keith, alors mandez-moi comme il faut vous adresser vos lettres, car je ne veux manquer à rien, mais grâce à Charles qui écrit par économie et à moi à qui il faut des explications claires et positives, je ne suis au courant de rien sur ce qui vous concerne tous. Je vous embrasse tous les cinq de toute mon âme. Avez-vous eu le vent d'est dont nous venons de tant souffrir ? Charles a-t-il retrouvé ses maux de dents à Meiklour. Ici tout le monde parle comme le docteur Portal. Charles vous expliquera cela. Je vous embrasse encore. A qui ressemble Georgina ? A Clémentine ?
M. d'Almeida m'a dit hier au soir que le parti d'Amarantes gagnait de forces tous les jours. Avec cela, tant qu'il n'aura pas ou Porto ou Lisbonne, ce ne sera rien. J'ai des quintes de toux comme si j'avais la coqueluche. Adieu encore. God bless you you tous.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 178)
25 avril 1823
Je vous ai écrit hier, mon cher Charles, et depuis, nous avons appris la très inquiétante nouvelle que les troupes d'Amarantes après s'être battues 2 jours pieds à pieds se sont portés sur Matteus ou Rigo les suit. Que deviendront ma belle-fille et ses quatre prtits enfants, seuls dans ce grand château ? Savez-vous, et ne me répondez pasun mot sur cela, car mon mari a une si grande inquiétude qu'on ne me remet pas un papier qu'il ne veuille le lire, qu'on ne me dit pas un mot qu'il ne cherche à l'entendre, et qu'il ne me demande ce que c'est. Savez-vous que pauvre papa peut se trouver n'ayant plus de famille ; car n'avoir pas un mot de loin depuis que par la lettre du 9 mars on nous le disait passé en Espagne, est une chose incompréhensible ; puisse le ciel permettre qu'il ait échappé aux guérillas de ce pays. S'il s'atait embarqué à La Corogne comme je vous l'ai mandé hier, il me semble qu'il devrait déjà être arrivé en Angleterre il aurait pu écrire un mot à son père. Enfin, je me perds dans cette affreuse obscurité, et je passe ma vie à inventer des motifs de sécurité, à les défendre, et je parviens quelques fois à rassurer papa, je crois, parce qu'il a besoin de saisir la moindre espérance qu'on lui offre. Ma chère fille, je vous embrasse de tout mon coeur ainsi que les trois petites. Je vous embrasse aussi mon cher Charles, et je vous écrirai dès que je saurai quelque chose. Quand vous n'avez pas de mes nouvelles, c'est que je n'en ai point et que je suis dans mon fauteuil à rêver à prévoir sans avoir la force d'écrire. Je vous embrasse.
Savez-vous que ces Portugais des montagnes sont de si terribles gens, que mon mari m'a dit avoir passé un an dans cette terre avant toutes les révolutions et celà sous le règne des ... et lorsque la paix était dans tous les coeurs : savez-vous que pendant cette année il y a eu 17 assasinats pour vengeance, jugez ce qu'ils peuvent faire znivrés par les fureurs de la guerre civile, sans compter que ... plus de 200 pipes de vin prêt à être vendus, qu'ils les boiront, et que leur ferveur en augmentera. Pauvre Thérèse, pauvre Louis, pauvres petits enfants. Si Dieu permet qu'il arrive en Angleterre, puisse-t-il ignorer que toutes ces troupes se portent sur Mtteus. Adieu encore mon cher Charles, que la fin de ma vie est affreuse.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 179)
6 mai 1823
Voici d'abord ma lettre datée, pour éviter les reproches, que je conçois, car de loin on aime à savoir le jour où l'on vit, et même de près c'est assez agréable. Cepenfant mon oubli a dû moins vous impatienter que ne le fut ce pauvre duc de Laval qui réçut t en Amérique une lettre de son objet qui ne voulant manquer à rien avait mis au haut de sa lettre le mercredi, et pas davantage.
Papa a reçu une lettre de son fils du 19 avril de Bagnesa, c'est une petite ville d'Espagne entre nous deux cette lettre a mis pauvre papa en fureur, d'abord parce qu'il ne lui rend point compte de sa position, ni de ses intentions, seulement il dit : qu'il a pris pour devise, fais ce que dois, advienne que pourra, qu'il se porte très bien, et que son seul regret est de ne pouvoir avoir de longtemps des nouvelles de son père ; en tout, il y a un ton résolu, délibéré, dans cette lettre qui me paraît à moi d'un homme sachant fort bien la position fâcheuse où il s'était mis, mais voulant la soutenir et surtout qu'on ne lui fasse pas de reproche. Cette lettre a consterné pauvre papa, et en trois jours, il est maigre affaibli, au point qu'il peut à peine se soutenir.. Moi j'insiste beaucoup sur ce qu'en temps de révolution, il ne s'agit que de vivre et que peut-être ce qu'on blâme cette année sera un droit l'année suivante et que dès que Louis se porte bien, il faut nous réjouir. Ce qui indigne papa c'est que Louis se soit mis à la suite du d'Amarantes ; dans ces choses-là, dit-il, on doit se présenter bravement le premier mais quand on a une grande existence dans son pays, il faut rester tranquille si l'on n'est pas à la tête. Enfin, il ne prend à aucune consolation, quoiqu'il ait sujet d'en avoir que je n'aurais même pas osé espérer. D'abord il y a des nouvelles de Thérèse qui sont bonnes, pas de sa main à nous, mais par une lettre de la comtesse de ... à la comtesse de Linhares son autre ... ici. Rego a été voir Thérèse et a écrit à plusieurs personnes à Lisbonne qu'il avait été la voir à Matteus, qu'il en avait été fort bien reçu, et qu'il l'avait trouvée très polie et très aimable, c'est beaucoup en guerre civile, que le chef victorieux et seul espoir du parti opposé se prononce ainsi. Ensuite, quant à leurs biens, il paraît qu'ils n'ont perdu que la récolte de blé, celle des vins et la majeure partie des revenus. Voilà tout ce que j'ai dit de la lettre à papa, et loin de le consoler, je n'ai fait que l'irriter car son ... a été si angoissé. Depuis deux mois que tout l'irrite, qu'aurait-il dit si je lui avais raconté la fin de la lettre ; la comtesse d'Alva ajoute en parlant de Thérèse : "Son beau-père doit regretter à présent d'avoir exigé qu'elle restât à Matteus". Il est vrai que ce qu'il y a de curieux, tant les conseils de loin sont téméraires, c'est que M. de Souza n'avait tant prêcher pour le séjour à Matteus que parce qu'il croyait toujours que les fausses tentatives de soulèvement auraient fini à Lisbonne et que l'expérience de tous les pays a bien prouvé que les premières tentatives ne réussissent jamais. La comtesse d'Alva ajoute qu'une des filles de Thérèse a été si frappée de frayeur qu'elle qu'elle en est assez malade, ses nerfs paraissent fort attaqués.
Adieu, mon cher Charles, je finirai ma lettre demain car j'espère avoir encore quelques nouvelles. Dites-moi donc comment on met votre adresse à Tullyallan, je vous ai écrit bien des lettres Charlotte Square, persuadée que de là on vous les renverrait réclamer ici.
Je suis enchantée que vous soyez fixés dans cette terre car Meiklour me paraissait bien mauvais pour vos dents et votre disposition à avoir des rhumatismes dans la tête. Ce confluent des deux rivières devait, je crois, répandre beaucoup d'humidité dans l'air ; mais je me trompe peut-être ; quoiqu'il en soit, cet arrangement de Tullyallan me paraît très bon.
Je vous prie le 16 de mai d'embrasser deux fois Emilie de ma part et de lui dire que je porterai ma rose pompons à mon côté
, en souvenir de sa naissance.
A demain, mon cher Charles.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 179)
7 mai 1823
Hélas, mon Dieu ! J'étais hier toute joyeuse de cette visite de Rego à pauvre Thérèse, celà n'a pas empêché le gt de condamner Thérèse à être enfermée dans un couvent ... Matteus avec ses enfants ; mais il y a deux garçons dans ses enfants et que deviendront-ils ? C'est mon petit ami d'Al... qui est venu m'apprendre cette triste nouvelle hier au soir. Il l'avait reçu de Lisbonne par une dame fort liée avec plusieurs membres influents des Cortès. Nous sommes convenus que nous n'en dirions rien à papa qui l'apprendra assez tôt. Il sera encore désolé et cette pauvre petite fille malade, comment la transporter là ? Et comment l'y soigner ? Du reste, c'est une mesure usitée dans ce pays pour les épouses des hommes qui prennent un parti opposé à celui de la nation, et lorsque le marquis d'Alarne resta au service de France après que les Français eurent évacué le Portugal, sa femme fut renfermée dans un couvent par ordre du gt et elle y est restée, n'ayant plus voulu en partir à la paix. Il n'y a que la protection du ministre anglais à Lisbonne qui puisse protéger Thérèse mais je ne connais personne qui le connaisse. Enfin, je finirai ma lettre demain et je vous en dirai davantage. Envoyez-moi donc votre adresse car j'ai écrit à Maguerite et à vous bien des lettres qui sûrement ont été perdues car vous ne m'avez jamais répondu ni l'un ni l'autre. Ne craignez point d'abuser de la complaisance de M.Neumann pour des petits paquets. J'ai vu M. de Vicence chez Mme de Metternich et il m'a offert toute son obligeance pour mes lettres et paquets. Il s'est même chargé d'une petite caisse dans laquelle est un petit souvenir pour le 21 avril. Réclame le de M. Neumann en lui disant que comme c'est ... vous le priez de le faire recommander en stages.
Lord Holland qui a été en Portugal pourrait-il écrire à quelques personnes influentes
dans ce gouvernement, afin qu'on laissât pauvre Thérèse maître de faire ce qui lui plairait, d'aller où elle voudrait.
Auguste se porte à merveille.
On a coupé le bras hier à M. de Rémusat à cause d'une tumeur cancéreuse qui y était venue. Ecrivez à Lord Holland
pour Thérèse. Je vous embrasse ma très chère fille de tout mon coeur ; cette lettre vous est commune avec Charles que j'embrasse aussi ainsi que les trois petites.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 180)
12 mai 1823
Chaque jour nous apporte de nouveaux chagrins. Votre frère a été au quartier général du d. d'Aug... le 2 mai. Il n'y a resté qu'un jour et en est reparti pour rejoindre le comte d'Amarante à qui il reste un petit noyau de troupes avec lequel il va essayer de rentrer en Portugal pendant que Rego est encore en Espagne. Que deviendront-ils, si Rego se met à leur poursuite, quel sera leur sort s'ils sont pris et mis en jugement ?
Pauvre papa succombe à toutes ces inquiétudes. Il sait d'hier le sort de Thérèse, un bête de portugais le lui a appris. Cependant il conçoit que du moins elle sera en sûreté dans ce cloître. Louis affirme que la grande majorité du Portugal est contraire au régime actuel, mais le grande majorité de la France n'était-elle pas contraire
à la Convention ? Tant qu'un gouvernement n'est pas détruit, il est le plus fort, et condamne à mort sans appel. Nous mourons d'inquiétude. Il paraîtrait que le d'Amarante aurait voulu devenir auxiliaire de l'armée française et qu'il a été refusé parce que c'eût été attaquer la neutralité envers le Portugal. Adieu mes chers enfants, je vous bénis et je vous aime de tout mon coeur.
Ne me répondez pas à cette lettre, mais écrivez-moi, car c'est ma seule consolation.
Auguste est bien. C'est encore là une consolation. Le général Drouot l'a examiné hier sur son lati, et a été surpris comme il le comprenait, il m'a dit qu'il était beaucoup plus fort qu'on ne l'est en 6ème et c'étaient des phrases de... qu'il lui faisait expliquer.
Adieu encore. Soyez tous heureux. Lord W. R. est de retour ici.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 181)
18 mai 1823
Je suis toute épouffée de votre lettre du 7, mon cher fils. Quel est l'écran que vous dites attendre de moi ? Je vous en ai fait un dont vous m'avez remercié dans le temps, et jamais vous n'avez témoigné le désir d'en avoir un autre, sans quoi par suite de mon ancienne faiblesse pour vos moindres fantaisies, il serait déjà fini, et dans vos armoires. Dites-moi donc s'il vous en faut un second, alors vous payerez les fleurs , et je ferai le fond, ce qui me paraît fort honnête. Je veux dire poli et attentif.
Ce que vous nous dites de Louis en Angleterren'est point, car papa en a eu une lettre du 2 mai datée du quartier général de M. le duc d'Angoulême. C'est M. de Bourmont qui l'a envoyée à sa femme. Il allait repartir pour rejoindre le d'Amarante ; pauvre papa se désole de tout cela, et il s'indigne de le voir second de ce d'Amarante en discorde civile. Il faut être le premier ou le dernier, ce qui est encore une manière d'être au 1er rang. Je cache à ce pauvre père tout ce qui peut l'affliger, et cependant il ne dort ni jours ni nuits, il se représente sans cesse les périls de son fils ; puis il passe à la situation de sa belle-fille. Mme de Linhares et moi nous lui cachons que Thérèse est grosse, et si faible, si souffrante, que pour aller de Matteus à Porto , elle a été si fatiguée qu'elle a été faire le tour du monde. Que deviendra-t-elle s'il faut qu'elle aille à ce couvent qui est près de Coimbre (?) ? Cependant je voudrais déjà qu'elle y fût, car on dit que l'insurrection du nord est plus ardente que jamais ; on parle aussi d'un mouvement à Lisbonne parce que les Cortès ont fait vendre publiquement l'argenterie des églises. Enfin tout cela est bien effrayant. Voltaire, qui riait de tout, disait qu'il n'y avait pas de guerre plus incivile que la guerre civile, mais je sais, par tout ce que m'a raconté en Normandie des troubles de la Vendée, qu'il n'y en n'a pas de plus cruelles. C'étaient de vrais cannibales de part et d'autres. Du reste c'est l'histoire de tous les temps.
On annonce aujourd'hui la destitution de Rego, pour n'avoir pas détruit le d'Amarante, ce qu'on prétend qu'il pouvait faire et notre Roi qui est un vrai bijou de roi constitutionnel, regarde par la fenêtre comment toute cette fusée se démêlera, tenant ses bras ouverts pour embrasser le vainqueur et la main prête à signer tout ce qu'on voudra contre ... La figure de papa est si bouleversée que ... crois voir le malheur de Louis écrit en ... M. de ... est mort des suites de son opération. On dit M. de Talleyrand malade mais sans aucun danger. Comme sa nièce l'est en même temps, je crois qu'il y a dans tout cela des mécomptes d'ambition. Je n'ai pas encore reçu la robe de Mme Muron, mais je lui ai annoncée en lui témoignant sans regret qu'elle ne fut pas arrivée à temps. J'ai envoyé la robe de Mme Henry à M. Neumann avec l'adresse ci-jointe qu'elle avait donnée à Mme Henry, Charter House London ; le paquet est peut-être encore chez M. Neumann. Celui du rocher avec l'adresse de sa main a été envoyé par M. de Palhen ; il n'est plus ici, sans quoi je réclamerais le paquet de ce pauvre homme mais comme cette robe était fort ordinaire, je compte sur votre générosité pour la lui rendre si le paquet ne se retrouve pas ; il est probablement chez la comtesse de Lieven.
J'embrasse mon fils, Lady Keith, et les trois petites, de tout mon coeur. Lady Will. R. est ici, je l'ai trouvée bien changée. J'imagine qu'elle en dit autant de moi. Si elle en parle, un lustre (?) de plus fait un grand effet
à tout âge.
Dans quel pays perdu vivez-vous, pour ne pas savoir que ce pauvre ... a eu deux attaques affreuses d'apoplexie. Dans la dernière on l'a cru mort ; il est toujours bien mal et sa soeur qui l'a veillé 28 nuits de suite, est au désespoir. C'était dans tous nos journaux. On l'a soigné 7 ou 8 fois dans les 24 heures, mais on craint qu'il ne s'en ressente toujours. Quel malheur pour elle !
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 182)
8 juin 1823
D'abord je veux vous remercier de la robe de Mme Muron qui m'est arrivée hier , que je lui ai portée tout de suite et qui a eu le plus grand succès. Je pense cependant que ce n'est pas précisément celle que vous auriez choisie, mais néanmoins, elle est ce qu'on peut dire très belle, très particulière, une colonne de fleurs de toutes couleurs, et si délicates que Mme Muron et son mari en ont été charmés.
J'irai demain chez le père de famille pour votre écran et je tâcherai de choisir un fond où la fumée se mêle à la couleur naturelle. On commence à sentir beaucoup à Paris
cette odeur de charbon de terre car on en brûle partout, ajoutez-y que la rage de bâtir est si générale que tous ces petits jardins qui tenaient à chaque maison disparaissent pour bâtir de mauvaises petites baraques plus convenables aux fortunes actuelles, mais qui rendront Paris une véritable ville boutiquière. On détruit tous les beaux hôtels, enfin cette maison à grandes arcades au bout de la rue d'Artois, cette maison où Charles et Marie ont passé leurs beaux jours est abbatue, vous ne la retrouverez plus !... La jolie et belle maison occupée par Mme Orloff, même rue, a été jetée en bas, pour faire de vraies bicoques, sans ..., sans jour, tout cela est horrible et toutes les maisons sont petites généralement, mais les rues sont fort larges ce qui laisse du jour, de l'air, et l'imposant d'une grande ville. Ici ce seront de petits réduits entassés, étouffés, car il n'y aura pas même l'air de l'aisance ; quant au magnifique, il n'en est pas plus question que de gaieté ni de brillance à la cour. Voilà ce qui ne vous intéresse guère dans votre château qui domine la mer, où l'étendue doit faire respirer plus à l'aise. J'aurais pu me passer de vous conter tout cela mais je suis indignée du mesquin qui s'établit. Il faut que ma colère se passe sur vous qui n'êtes point là pour me faire taire ou pour prendre votre chapeau et me laisser finir un long discours toute seule.
Ce pauvre Horace Vernet a été hier à toute extrémité des suites d'un ... de cheval , ce n'a pas été sa faute, mais le cheval lui a fait une si grande blessure à la tête que Dupuytrain l'a ... comme sans ressources ; aujourd'hui il est un peu mieux, c'est à dire qu'il a un peu dormi cette nuit, c'est un maudit chien qui est venu se jeter dans les jambes de son cheval comme Horace était retourné pour parler à son père, le cheval ayant eu peur et M. ne le tenant pas dans ce moment, il a été jeté par terre, et si prêt de son cheval qui fuyait qu'un des fers lui a emporté presque toute la peau du front et de la tête, d'abord tout un sourcil. S'il en revient, je crois que sans le dire, il regrettera un peu sa jolie figure. N'êtes-vous pas frappés comme la mort plâne sur tout ce qui tient à cet excellent Gabriel ? Il semble que le malheur lui ait dit je ne te laisserai pas un jour de paix, tu n'auras pas un sommeil tranquille, et je crains bien qu'il n'ait bientôt à s'inquiéter ou à regretter Mme Vernet car elle m'a paru avant hier d'un changement affreux, et avant hier elle était calme, c'est hier matin que le danger s'est manifesté.
Voilà M. Law Lauriston maréchal de France, sans quoi le nom de Law ferait trembler. Ce que je remarque, c'est ce corps de réserve pour mener une campagne qui ne devait être qu'une pointe.
Papa a gagné un peu plus de force depuis quelques jours, mais c'est grâce au quinquina dont il prend tous les matins un peu. Vous le trouverez bien changé, il a depuis cette ... inquiétude l'air d'un vieillard qui succombe à l'âge
et aux chagrins. Sa maigreur est inconcevable ; il se voûte et décline, et sa faiblesse est extrême. Je vois ce dépérissement sans pouvoir lui donner une seule consolation qui le persuade, et ce m'est un genre de douleur dont je ne m'étais fait aucune idée. Louis est retourné avec le d'Amarante et les portugais d'ici prétendent que ce dernier est rentré en Portugal avec ses troupes. D'un autre côté, Guilleminot, dans sa batterie, dit : on dit le comte d'Amarante à Salamanque, c'est la première fois je crois qu'un major général répète des on dit sans le souci de paraître mieux instruit.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 182)
9 juin 1823
Cette lettre que je continue le 9 vous portera un peu d'espérance pour Horace, mais son état est toujours bien grave. Adieu, mes chers enfants. cette lettre est pour vous deux. Ne répondez pas à ...
Je vous embrasse tous de tout mon coeur.
... Je n'espère plus un sol de cette affaire
...
Avez-vous reçu le souvenir du 21 ? Mme de Metternich l'a envoyé pour vous à M. Neumann.
Voilà Davoust mort, Cambacérès vient d'avoit une attaque d'apolpexie. Je vois que le combat des libéraux finira faute de combattants.
Que dit l'amiral Flemming de ses espagnols ? Faites-lui en mon compliment et mes compliments. Guis écrit à sa mère : Je n'ai pas encore trouvé d'autres ennemis que des puces et des punaises, mais bientôt l'on m'annonce des poux. Du reste, les vivres sont si horriblement chers que c'est une ruine complète. Il est entré tard en Espagne et marchait pour rejoindre Molitor. On dit que cette croisade coûte deux millions par jour, cela s'appelle aimer son prochain plus que soi-même, que de se ruiner pour lui donner un meilleur gouvernement. Dans ce cas, le plus est trop et surpasse la volonté de Dieu.
Carbonnel est retourné à Nogent. Mme Excelmann est grosse. Gabriel en est indigné, il dit avec raison qu'il faudrait mettre le général aux petites maisons.
Adieu encore, je voudrais bien vous voir tous, et juger par moi-même de la bonté de cette trosième. J'embrasse ces chères petites de tout mon coeur.
Lord et Lady Holland sont ici avec Mlle Fox. Cette dernière m'a paru bien changée. Ils sont venus pour la maladie de M. Henry Fox qui a été très mal et qui a l'air d'un vrai poitrinnaire ; j'ai bien peur qu'il ne reste à lady H. que les deux enfants qu'elle aimait le moins, cependant, Henry est ce qu'on appelle en convalescence, mais je lui trouve quelque chose d'extraordinaire dans les yeux qui m'effraye. Du reste, ses parents ne s'en aperçoivent pas. Ils sont rassurés, et tranquilles sur l'avenir.
Adieu encore, voilà j'espère un bavardage assez long. Je désire que cela serve d'exemple à qui de droit.
Papa désirerait savoir d'où vous aviez appris que Louis était en sûreté. Nous n'avons pas un mot de lui depuis le 2 mai. S'il est encore en Espagne, je crois qu'il aurait pu nous écrire ; mais il n'a été qu'un jour au Q.G. Français.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 183)
24 juillet 1823
Voilà d'abord une lettre datée comme un papier d'importance, c'est déjà un amendement ; ensuite je vous dirai mon cher fils ce que j'écrivais ce matin à Gabriel, c'est que petit à petit vous ne m'écrivez que fort rarement, peu à peu aussi je vous écris moins et bientôt nous n'aurons de nos nouvelles que par ouï-dire. Faites cette petite réflexion qui m'a serré le coeur ; où est le temps, le bien heureux temps où lorsqu'un courrier manquait c'étaient des plaintes et des cris qui s'en allaient jusqu'en Russie. Mais revenons.
Votre coussin est fini, je vais commencer l'écran ; le plus difficile n'est point mon travail, c'est de vous le faire parvenir, je crois que j'attendrai le moment où Louis sera établi en Angleterre avec tous les privilèges que nous étendrons jusqu'aux abus, à ce que j'espère. On a écrit de Madrid au marquis Alfieri que ce Louis était fait comte de Villafranca. C'est le lieu où la constitution a été détruite, et ce nom est pour reconnaître qu'il y a beaucoup contribué. Dieu veuille qu'un jour on ne le condamne point sur ce nom dont on pourra faire ce qu'on appelle des armes parlantes, ou pièces de conviction. Le comte d'Amarante est nommé marquis de Villa Real, et Palmelle marquis de Palmella. J'aurais mieux aimé que Louis eût été tout simplement comte de Souza, et moi ! qui ai toujours été pénétrée de la grande vérité qu'il n'y a que le dîner qui recommence tous les jours, j'aurais de beaucoup préféré une bonne commanderie à ces vains titres. C'est vulgaire, je le sens, moi, à mon âge on apprécie le solide, et puis cette nouvelle qui cependant paraît rare, vient de Madrid, et n'est peut-être pas vraie. Les temps éclairent bien des choses qui arrivent de ce pays-là ; en attendant, nous n'avons pas un mot de Louis, son père en est fort choqué. Je crois que Louis a été fâché qu'il ne lui ait pas répondu à sa lettre d'Espagne et que dans ces pays de révolutions, les fils commencent à compter d'élève à maître avec leurs pères. Nous ne nous accoutumons point à cela au second étage de cette maison, d'autant que papa n'a point écrit parce que Louis lui mandait qu'il partait le lendemain et qu'on ne savait où le reprendre.
Voilà mon cher fils tout ce que j'ai à vous mander de chez nous, car de réponse il n'y a lieu puisque vous ne m'avez pas écrit.
Je vous embrasse ainsi que Marguerite et les petits enfants. Auguste se porte à merveille et ses études vont très bien. Cependant, on se plaint toujours de son bavardage pendant les classes, cela, il ne peut pas s'en empêcher ! Et dans son désespoir d'être en retenue pour cette faute, voilà que devant moi, il dit comme une trouvaille à M. Muron : "Monsieur, changez-moi de place, mettez-moi entre les deux plus bêtes et alors je ne les écouterai ni ne leur répondrai." M. Muron et moi nous avons eu peine à conserver notre sérieux. Pour Auguste il donnait ce moyen comme une ressource et la bêtise des camarades comme un fait qui arrivait quelquefois sans qu'il y eut de la faute de personne ... l'apparence de tout ce qu'il y avait de drôle dans sa demande, on l'a changé de place, et vraiment il ne parle plus.
Je vous dirai (ce qui a fait trembler papa pour les suites) que j'ai été hier chez un mde, et y ayant trouvé une personne de ma connaissance qui m'a nommé cet homme (le marchand) m'a dit : Oh ! c'est madame de Souza ! O madame, j'ai lu Mme de Fargy et vous pouvez emporter tout ce qui est dans ma boutique, vous me paierez quand cela vous conviendra. Je crois bien qu'il y avait de l'hyperbole là-dedans, mais c'est une agréable figure de rhétorique que je n'ai point voulu approfondir, et je ne l'ai point pris au mot. J'ai modestement acheté une robe à 30 sols l'aune pour m'affubler le matin ; je l'ai payé comptant, mais je n'ai pas été fâchée de prouver à papa que je pourrais trouver crédit si je voulais.
Une nouvelle encore c'est que j'ai coupé aujourd'hui la dernière rose de mon jardin. J'en suis toute triste, et voilà les grands événement qui composent ma vie ! Cela rend une lettre assez sotte, je conçois que vous ne m'attaquiez pas pour en avoir.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 184)
4 août 1823
Vous avez bien raison mon cher ami, on désespère alors qu'on espère toujours, mais la vie n'en va pas moins son train et je crois que nous mourrons à la peine. Louis est nommé comte de Villa-Real. Son père en a reçu des nouvelles qui l'ont satisfait sous tous les rapports. Il est dans les meilleurs sentiments et se félicite même que ce titre lui ait été donné pour suivre un ancien usage qui faisait grand du royaume tout ambassadeur qui avait signé un traité, et le mariage d'un fils ou fille de rois, c'est donc pour le mariage du Roi d'Espagne avec notre infante de Portugal qu'il a reçu cet honneur, qui ne rattache point ni à opinion ni à conduite politique. Pozzo di Borgo dit des horreurs de Palmella de vouloir une constitution. Il l'appelle même cet arlequin de Palmella. Il y a 54 officiers généraux de mis à la réforme. L'ordonnance paraîtra au premier jour, Fox y est compris. J'ignore encore si ce pauvre Excelmanns en est, cela m'inquiète bien pour lui. Que deviendra-t-il avec ses enfants. Les deux Colbert en sont.
Auguste a été admis à concourir au grand concours ; c'est très remarquable à son âge, et sur 80 enfants de chez M. Muron, il n'y en a que 5. 2 grands pour le latin et 3 petits pour la géographie. Auguste est des trois, il y a d'autant plus de mérite que les 4 autres étaient des redoublants. Pour votre instruction, vous saurez que ce nom est donné à ceux qui avaient déjà fait la même classe l'année dernière, et qui avaient fait les mêmes études qu'Auguste voyait pour la première fois. Je suis contente de lui sous les rapports, et son caractère est charmant. Adieu, mon cher Charles, je vous embrasse tous de tout mon coeur. Je suis bien pressée mais je n'ai pas voulu laisser partir cette poste sans vous remercier de votre lettre qui m'a fait bien plaisir.
Papa est content, ne pas ... quand sa santé
est meilleure. Je viens à mon tour d'avoir le lumbago.
A jeudi ne pense ceci que pour la première page d'une lettre que je finirai le prochain courrier. Aujourd'hui je crie le rhumatisme et d'écrire me fatigue.
Je vous embrasse encore tous les 5. M. de Turenne et Mme de Coigny font part à tout le monde de la grossesse de Marguerite. Il m'est pénible d'être si ignorante des intérêts de la famille, cela ne m'empêche pas de vous souhaiter à tous bonheur et bonne santé.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 185)
20 septembre 1823
D'abord mon cher Charles, commencez à vous préparer à acheter une robe pour Mme Muron. Sa fête et ses étrennes, voilà la part que je vous ai donnée dans les ennuis de l'éducation d'Auguste. Il me la faut très jolie. Celle dont Marguerite a envoyé un morceau à Marie m'a paru charmante, excepté que je ne la veux point noire et blanc. Ce n'est pas que nous ne soyons je crois menacés d'un grand deuil très prochain car tout le monde parle du changement terrible du Roi. Sa figure est devenue très maigre et d'un rouge noir effrayant , mais les deuils de cour ne se portent point dans la bourgeoisie. Envoyez le paquet à Louis qui a déjà touché les bords de l'heureuse Albion, et il m'enverra ce paquet par le premier courrier que lui ou un de ses collègues enverra à Paris mais quelques fois ils sont rares et il est bon que le dit paquet soit là sans ses jeux, pour ne point manquer les occasions. Je n'ai pas été encore à l'exposition des produits de l'Indochine mais on dit qu'il y a de très belles choses, et particulièrement un scholl français de M. Ferneau, valant 5000 f, et plus beau que tout ce qui est jamais venu de l'Inde. M. de S... est dans un état de faiblesse et de malaise qui inquiète beaucoup Moreau, car l'hiver n'est pas encore commencé. Papa s'en inquiète aussi lui-même, il redoute l'hiver, et il m'a déjà dit plusieurs fois d'un air bien triste ma chère amie nous approchons de l'hiver ! Il est devenu d'une maigreur dont on ne peut se faire aucune idée, les dangers que son fils a couru pendant trois mois l'ont tué. Il le voyait toujours pris et fusillé, et vingt fois par heure, je le voyais frémir sans qu'il prononçât aucune parole.
Cependant moi j'espère qu'à force de soins comme il n'a réellement aucune maladie, nous le préserverons et conserverons. Il a déjà consenti à ne faire qu'une fois le chemin du cercle et je l'y amène ou l'en ramène, mais il faut que je sois avec lui, sans quoi il essayerait d'aller à pieds, et Moreau dit que la moindre fatigue lui ferait autant de mal qu'un accès de fièvre. Je le couve des yeux comme mon enfant, et certainement dans aucun temps de ma vie je l'ai chéri avec une si tendre et je dirai une si pieuse affection. Auguste a fait quelque chose dont je suis touchée. Il avait 12 petites pinces de 5 sols d'argent ; elles étaient toutes neuves, et il les gardait comme des médailles. Toute son ambition était d'augmenter ce trésor qui en effet était fort joli. M. de Souza a été obligé de renvoyer Antoine, ce pauvre Antoine, très coupable cependant, pleurait beaucoup et disait qu'il n'avait pas un sol vaillant ; Auguste est venu me demander la permission de lui donner ses petites pièces, ce qu'il a fait sans dire un mot à personne. En tout c'est un enfant charmant, aimable, gai, d'une bonté parfaite et avec une simplicité qui prouve bien que c'est sa nature. Plus il grandit, plus je l'aime. Nous avons ensemble des conversations sur toutes choses et il a dit hier à Sally : Bonne mère et moi nous causons comme de vrais amis, cela m'a enchanté. Nous jouons le soir aux synonymes, papa, M. G., Auguste et moi : je tiens le livre et c'est à qui donne la meilleure signification des mots. L'enfant parle le premier, toujours juste.
Mais adieu, je vous embrasse tous les cinq de tout mon coeur.
Le papier me manque.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 186)
13 octobre 1823
Gabriel m'a remis une lettre de vous, mon cher Charles, dont je vous remercie de tout mon coeur. Vous espérer au mois de janvier nous est un grand plaisir, mais nous vous prions que ce soit au commencement plutôt qu'à la fin, moi, parce que c'est plutôt, Auguste parce que c'est et plutôt, et plus près des étrennes. En parlant d'étrennes, vous saurez déjà que les robes de Mme Muron et de Mlle Powell ont été saisies à la douane, mais je ne vous tiens point quitte de la première, il m'en faut une très jolie. Envoyez-la tout de suite à Louis qui me la fera passer. Avez-vous reçu mon écran, et mon coussin de pieds. L'écran est bouton d'or ainsi que vous l'aviez ordonné.
Auguste vient d'avoir un mal de gorge de quatre jours, assez violent, avec la fièvre et une nuit de délire. Il est bien à présent, et rentre ce soir prendre le collier de ... chez Mme Muron.
M. et Mme de Linhares partent pour Turin dès qu'ils auront reçu leurs appointements. Le mari compte présenter ses lettres de créances, puis avec un congé qu'ils ont déjà, repartir pour aller passer 6 mois en Portugal ; pendant ce petit voyage de Turin qui ne durera qu'un mois, ils m'ont demandé de me charger de leur petit enfant. Il est fort et bien portant, mais la mort de la petite soeur m'effraye un peu, cependant les médecins me disent qu'il est encore trop jeune pour craindre la même maladie ; enfin je le soignerai en mère, c'est tout dire, et je n'ai que la peur de m'y trop attacher.
Le comte Funchall vient d'écrire et de faire paraître une brochure où papa dit qu'il y a des vues admirables et tous les vrais principes de liberté
sont consacrés tout en tenant contre les jacobins. Enfin, papa en est enchanté.
Comment va la coqueluche des petites ; le seul remède est de les changer d'air
, et Mme d'Al... m'a dit n'avoir guéri ses enfants qui en étaient à la mort qu'en les faisant coucher toutes les nuits dans des chambres différentes. C'est surtout pour la toute petite que je crains cette fatigante maladie. Donnez-m'en des nouvelles, je vous en supplie.
Je vous embrasse tous les cinq de tout mon coeur.
Gabriel me paraît enchanté de son voyage de Tullyallan, des maîtres de ce grand château, et de l'Angleterre en général.
Papa est bien faible et déjà il a pris sa toux de l'hiver.
Excelmanns et sa femme sont bien touchés que vous soyez parain et maraine de leur petit enfant.(on ne déclarera point que Marguerite est protestante) Ils ont une dernière petite qui a 10 mois et qui a pris le bon parti de ressembler à sa mère, elle a des yeux et des cheveux noirs comme jais.
Adieu encore, vous tous à qui je souhaite tant de bonheur et de santé.
Le Roi d'Espagne a justifié le proverbe qu'on sème la trahison et méprise les traîtres, il n'a point voulu recevoir Ballesteros. On dit ici que M. de Talleyrand a perdu ... cent mille francs en jouant à la baisse, le fait qu'il renvoie l'équipage de chasse et une partie de sa maison. On prétend que M. de Villette ne veut point qu'il reste d'armée d'occupation en Espagne ... Louis ne m'a point écrit non plus mais il me dit toujours quelques mots de ... dans les lettres de son père. On dit sa femme effroyablement grosse. On croit qu'elle aura deux enfants. Vous voyez qu'il était en train de peipler et dépeupler le pays.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 187)
16 octobre 1823
J'ai reçu avec un plaisir sensible l'espérance que vous allez venir ici avec Louis. Cela me rappelle ce temps où tous deux si jeunes, vous étiez toujours joyeux dans cette maison de Mme Amélie ; les années, les révolutions, vous ont donné quelques cheveux blancs depuis cet heureux temps, mais quand je pense à tout ce que j'ai vu disparaître, je trouve que nous sommes parmi les plus heureux. Quand vous retournez en arrière, cela ne vous cause-t-il pas une sorte d'horreur ? Mon cher Charles, toutes ces étoiles si brillantes ont filé et se sont perdues avec une rapidité effrayante, mais parlons de ce qui occupe aujourd'hui tous les esprits. Une gazette très ultra qu'on appelle l'oriflamme a mis un morceau terrible sur la mort du duc d'Enghien ; il en accuse le duc de Rovigo dans un de ses numéros. Deux jours après, ce duc a fait paraître une lettre dans le journal des débats, dans laquelle il dit qu'il s'était décidé à garder le silence, mais que puisqu'on attaque son honneur, il va donner le récit de cet événement avec le regret de compromettre une famille puissante ; mais que lui aussi a une famille à qui il doit appui et vérité. On prétend que cette famille puissante est M. de Tall. qui, en effet, dans le conseil tenu à ce sujet, fut pour la mort de ce Prince ainsi que l'archi-trésorier et Réal : Cambécérès et Fouché pour la réclusion. Enfin on prétend que tout cela va être dévoilé par noms, prénoms, minutes, quart de minutes. M. de Tall est accouru passer 24 heures à Paris pour, a-t-il dit, complimenter le Roi sur la conquête du duc d'Angoulême, mais dans le fond, assure-t-on, pour arrêter la loquace de Savary. Cependant, celui-là est bien engagé. Il y a même des finauds qui prétendent que c'est Mme Duchayla qui l'excite, parce que la famille royale ne peut souffrir M. de Tall. qu'il y a plus de 6 mois que le Roi ne lui a parlé et que si tout ce qu'on fit de la part qu'il a eu à la mort du duc d'Enghien était publiquement mis au jour, le public qui ne résiste point aux imprimés, trouverait très juste qu'on lui otât la place de chambellan et qu'on l'exilât de la cour. Voilà ce qui occupe tous les esprits.
Mme de Bourke est revenue, elle peut bien dire comme cette actrice de province : Je crains tout, cher Abner et n'ai point d'autre crainte. Que dit l'amiral
Fleming des décrets de son ami le Roi d'Espagne depuis qu'il a recouvré sa liberté ?
Auguste est bien, mais je lui trouve l'air triste, cependant, il dit qu'il ne sent aucun mal. Je crains qu'on ne le fasse trop travailler, mais que faire ? Il faut bien qu'il suive les classes.
Je suis désolée de la coqueluche des trois petites, c'est une maladie si longue et si fatigante que c'est celle que je redoute le plus. Mais essayez des déménagements de Mme d'Algaranky toutes les nuits et tenez-les ensemble le moins possible car c'est une maladie qui s'augmente par l'imitation. Tout ce que vous me dites des perfections d'Emilie ne me surprend point. J'ai toujours dit que ce serait un petit prodige, elle a beaucoup d'esprit, et c'est un enfant qu'on élèvera en courant.
On raconte ici que le duc de Coigny est si jaloux de sa femme qu'il ne lui permet même pas d'avoir des entretiens particuliers avec sa mère ; et, comme il est d'usage, on ne jette les hauts cris avant de savoir si c'est vrai. Serait-ce véritable ?
J'ai reçu aussi une lettre aimable de Louis.
Adieu, mes chers amis, je vous embrasse tous les cinq de tout mon coeur.
Vous ai-je raconté que j'ai été à l'exposition de l'industrie avec M. Gall... , Auguste et un anglais ; il y avait une foule et un ... abominable ; le digne
insulaire s'extasiait sur ce qu'ici le peuple était admis à jouir de tout ; qu'il n'en était pas de même en Albion ! Au milieu de toutes ses phrases, justes, belles, et harmonieuses, il a mis la main dans sa poche, et a trouvé qu'on lui avait volé son portefeuille. J'ai eu beaucoup de peine à ne point rire ; mais je n'ai point raconté cette histoire, de peur qu'elle n'allât jusqu'à quelques-uns de ces esprits qui en auraient fait une pièce de conviction pour assurer leur système. De ces gens qui, comme Mme Decars se croient plânant entre ciel et terre, et d'une toute autre matière que le reste des humains. Pour le coup, voilà assez de bavardage et je finis en vous embrassant encore tous les cinq de tout mon coeur.
Papa va deux fois par jour au cercle, il a commencé par être heureux, mais depuis le premier de janvier il perd tous les jours. Comme je ne suis point là, je ne sais pas s'il est des grondeurs ou des grondés, mais at home, nous sommes des gémissants.
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