Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
30 décembre 1805
Il faut avouer que je suis bien malheureuse ; je vais fâcher tout le monde et cependant je serai toujours la plus triste. L'Empereur écrit, du 15, à Louis ; il lui mande de me faire partir sur-le-champ, avec Napoléon, pour Munich.
Cette invitation met Louis au désespoir : c'est un homme perdu, déshonoré si sa femme part sans lui ; aller retrouver sa mère, son beau-père, et peut-être son frère, tout cela n'est rien pour lui. Moi, toujours habituée aux sacrifices pour avoir tout au plus, la paix, je cède, mais je vois qu'il me reviendra de tout cela beaucoup d'ennuis, beaucoup de chagrin si tu y vas, du côté de l'Empereur de la gronde sur ma faiblesse et, du côté de mon mari, pas plus de bonheur qu'à l'ordinaire. Je reste donc avec la consolation qu'il n'y a que moi qui souffre et que, si l'on me fait du chagrin, je n'en fais du moins à personne.
Si, cependant, ton mariage, dont on parle beaucoup, se faisait à Munich, je me révolterais peut-être bien un peu et je t'engage bien à passer par Paris, car nous irions ensemble jour et nuit ; on n'aurait plus à m'alléguer que je suis seule, car c'est la seule excuse qu'on puisse me donner.
Adieu, mon cher Eugène ; si l'on te demande, n'oublie pas de passer par Paris ; ne crains pas que je te regarde, tu sais que je ne suis pas petite maîtresse.
Malgré mon chagrin, j'ai été bien sensible au souvenir de l'Empereur.
Hortense
P.S. De toute manière, je n'emmènerai pas Napoléon ; il fait trop froid, ce serait lui faire du mal.
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