Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
7 décembre 1806, Mayence
Tu me fais compliment, mon cher Eugène, de mon voyage et j'ai vraiment peur qu'il ne se fasse pas de sitôt ; je suis bien indécise sur ce qu'il faut que je fasse. Le Roi me croit déjà à Berlin ; l'Empereur m'écrit du 29 de Posen : il me dit toujours qu'il sera bien aise de me voir, mais que notre départ est retardé, vu son voyage de Pologne où il sera occupé pour quelques jours. C'est presque me dire d'attendre et que cela ne sera pas long, mais je crains que cela ne convienne pas à tout le monde. Enfin, comme on ne m'en saura pas meilleur gré, je suis décidée à attendre encore. M. de Talleyrand est parti de Berlin pour Posen, ce qui est bon signe. L'Empereur dit à l'Impératrice que les Russes fuient et que ses troupes sont aux portes de Varsovie. Je crois bien qu'il y aura une affaire avec les Russes qui finira tout cela, mais cela peut être encore bien long.
Le général Duroc, que l'Empereur a envoyé au roi de Prusse, écrit à sa femme qu'il a vu les beaux yeux de la reine de Prusse baignés de larmes, que le Roi était aussi fort triste, mais qu'il n'a rien voulu faire de ce que l'Empereur désirait. Il est maintenant à la merci des Russes et ne peut faire que d'après leurs ordres.
Les avis sont partagés ici sur le roi de Pologne ; on dit que l'Empereur désirera peut-être y mettre son frère qui porte son nom ; d'autres nomment Murat ; ce qu'il y a de sûr c'est qu'il y compte un peu : en partant d'ici il a dit, à ce qu'on m'a répété, que c'était un beau royaume, mais que c'était un peu loin et il a laissé voir que cela serait sans doute son lot. Les gens qui ont de l'ambition sont bien heureux ; ils ne nous ressemblent pas, mais, aussi, ils ne s'aiment pas comme nous.
Adieu, je t'embrasse ainsi que Napoléon.
Hortense
P.S. Entre autres commissions que je te prie de faire pour moi c'est de m'envoyer quelquefois du crêpe, mais seulement du blanc, parce que c'est le seul dont on se sert. En revanche, je viens de faire une petite emplette de gilets et de casimir fort beau que je t'enverrai ; tu en as peut-être en Italie ; cependant on dit qu'il est plus beau ici.
Quand tu trouveras de petites mosaïques ou autres pierres bonnes à faire des petits sentiments, tu m'en enverras ; plus elles sont petites, plus c'est joli. ..... voilà les grandeurs.
Les sentiments sont très à la mode ici ; j'ai donné un petit coeur d'émeraude à la princesse héréditaire de Hesse-Darmstadt ; elle est très amie de la princesse Auguste et nous avons beaucoup parlé d'elle ensemble. J'écrirai demain à ma belle-soeur. Aujourd'hui embrasse-la pour moi. L'Impératrice va envoyer à Mannheim pour faire partir tout de suite la bonne qui doit aller avec Mme Franjeau. Si tu craignais pour ta femme, tu pourrais écrire à Lavalette pour faire partir tout de suite Mme Franjeau, car il ne faut pas se trouver dans l'embarras et l'on peut fort bien avancer, surtout si elle est grosse. L'Impératrice a fait faire une layette que la garde doit porter.
Adieu, car je bavarde assez aujourd'hui.
Hortense
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