année 1849
7 juin 1849
Message du Président de la République à l'Assemblée législative
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Messieurs les représentants,
La Constitution prescrit au Président de la République de vous présenter, chaque année, l'exposé de l'état général des affaires du pays.
Je me conforme à cette obligation qui me permet, en vous soumettant la vérité dans toute sa simplicité, les faits dans ce qu'ils ont d'instructif, de vous parler aussi de ma conduite passée et de mes intentions pour l'avenir.
Mon élection à la première magistrature de la République avait fait naître des espérances, qui n'ont point encore pu toutes se réaliser.
Jusqu'au jour où vous vous êtes réunis dans cette enceinte, le Pouvoir exécutif ne jouissait pas de la plénitude de ses prérogatives constitutionnelles. Dans une telle position, il lui était difficile d'avoir une marche bien assurée.
Néanmoins, je suis resté fidèle à son manifeste.
A quoi en effet, me suis-je engagé, en acceptant les suffrages de la nation ?
A défendre la société audacieusement attaquée ;
A affermir une République sage, grande, honnête ;
A protéger la famille, la religion, la propriété ;
A provoquer toutes les améliorations et toutes les économies possibles ;
A protéger la presse contre l'arbitraire et la licence ;
A diminuer les abus de la centralisation ;
A effacer les traces de nos discordes civiles ;
Enfin, à adopter à l'extérieur une politique sans arrogance comme sans faiblesse.
Le temps et les circonstances ne m'ont point encore permis d'accomplir tous ces engagements, cependant de grands pas ont été faits dans cette voie.
Le premier devoir du Gouvernement était de consacrer tous ses efforts au rétablissement de la confiance, qui ne pouvait être complète que sous un pouvoir définitif. Le défaut de sécurité dans le présent, de foi dans l'avenir, détruit le crédit, arrête le travail, diminue les revenus publics et privés, rend les emprunts impossibles et tarit les sources de la richesse.
Avant d'avoir ramené la confiance, on aurait beau recourir à tous les systèmes de crédit, comme aux expédients les plus révolutionnaires, on ne ferait pas renaître l'abondance là où la crainte et la défiance du lendemain ont produit la stérilité.
Notre politique étrangère elle-même ne pouvait être à la hauteur de notre puissance passée qu'autant que nous aurions reconstitué à l'intérieur ce qui fait la force des nations : l'union des citoyens, la prospérité des finances.
Pour atteindre ce but, le Gouvernement n'a eu qu'à suivre une marche ferme et résolue, en montrant à tous que, sans sortir de la légalité, il emploierait les moyens les plus énergiques pour rassurer la société.
Partout aussi
il s'efforça de rétablir le prestige de l'autorité, en mettant tous ses soins à appeler aux fonctions publiques les hommes qu'il jugeait les plus honnêtes et les plus capables, sans s'arrêter à leurs antécédents politiques.
C'est encore afin de ne pas inquiéter les esprits que le gouvernement a dû ajourner le projet de rendre la liberté aux victimes de nos discordes civiles. Au seul mot d'amnistie, l'opinion publique s'est émue en sens divers ; on a craint le retour de nouveaux troubles ; néanmoins, j'ai usé d'indulgence partout où elle n'a pas eu d'inconvénient.
Les prisons se sont déjà ouvertes à 1570 transportés de juin, et bientôt les autres seront mis en liberté sans que la société ait rien à en redouter. Quant à ceux qui, en vertu des décisions des conseils de guerre, subissent leur peine aux bagnes, quelques-uns d'entre eux, pouvant être assimilés aux condamnés politiques, seront placés dans des maisons de détention.
La marche suivie avait en assez peu de temps rétabli la confiance ; les affaires avaient repris un grand essor, les caisses d'épargne se remplissaient. Depuis la fin de janvier le produits des contributions indirectes et des douanes n'avait pas cessé de s'accroître et s'était rapproché, en avril, des temps les plus propspères. Le Trésor avait retrouvé le crédit dont il avait besoin, et la ville de Paris avait pu contracter un emprunt dont le taux avoisine le pair, négociation qui rappelait l'époque où la confiance était le mieux raffermie. Les demandes en autorisation de sociétés anonymes se multipliaient ; le nombre des brevets d'invention augmentait de jour en jour ; le prix des offices, le taux de toutes les valeurs, qui avaient subi une dépréciation si grande, se relevait graduellement ; enfin, dans toutes les villes manufacturières, le travail avait recommencé, et les étrangers affluaient de nouveau à Paris ; ce mouvement heureux, arrêté un moment par l'agitation électorale, reprendra son cours à l'aide de l'appui que vous prêterez au gouvernement.
Finances
Quoique les affaires commerciales et industrielles aient repris en grande partie, l'état de nos finances est loin d'être satisfaisant.
Le poids d'engagements hasardeux, contractés par le dernier gouvernement, a nécessité, durant le cours de l'année 1848, une liquidation qui a ajouté à la dette publique 26 501 800 fr. de rentes nouvelles.
D'un autre côté,
les dépenses extraordinaires que la révolution de février a entraînées ont produit un surcroît de charges qui, toute compensation faite, s'est élevé pour l'année 1848 à 265 498 428 fr., et, malgré les ressources additionnelles dues au produit de l'impôt des 45 centimes et aux emprunts négociés, l'exercice laissera un déficit de 72 160 000 fr.
L'année 1849 devrait, d'après les combinaisons du budget qui s'y rapportait, laisser un découvert de 25 millions ; mais les faits n'ont pas répondu aux calculs, et des changements considérables se sont accomplis sous l'empire des circonstances. Des impôts nouveaux, dont le produit est évalué à plus de 90 millions, n'ont pas été votés ; d'autre part, non-seulement l'impôt du sel a été réduit des deux tiers, mais les revenus de la taxe des lettres sont descendus fort au-dessous du chiffre qu'on espérait trouver, et le déficit prévu s'élèvera à environ 180 millions.
Un autre fait inattendu est venu aggraver la situation. L'impôt sur les boissons, dont le produit dépasse 100 millions, demandait à être adouci et simplifié par une forme nouvelle qui le mît en harmonie avec l'esprit de nos institutions ; un amendement rattaché au budget de 1849 l'a aboli à partir du 1er janvier 1850, et en a prescrit le remplacement.
Il est devenu indispensable maintenant de rétablir l'équilibre entre les dépenses et les recettes ; on n'y peut parvenir qu'en réduisant les dépenses et en ouvrant de nouvelles sources de revenu.
Cet état de nos finances mérite d'être pris en sérieuse considération. Ce qui doit nous consoler néanmoins et nous encourager, c'est de constater les éléments de force et de richesse que renferme notre pays.
Garde nationale.
La garde nationale, qui s'est montrée presque partout animée du sentiment de ses devoirs, compte aujourd'hui près de 4 millions d'hommes dont 1 200 000 sont armés de fusils ou de mousquetons.
Elle possède 500 canons.
L'organisation de 300 bataillons de gardes nationaux mobilisables est préparée conformément au décret du 22 juillet dernier.
Quant à la garde mobile, engagée pour une seule année en 1848, sa réorganisaion, au mois de janvier dernier, fit descendre l'effectif de 12 000 à 6 000 hommes, ce qui a produit une économie de 7 millions.
Armée.
L'armée, toujours fidèle à l'honneur et à son devoir, a continué, par son attitude ferme et inébranlable, à contenir les mauvaises passions à l'intérieur et à donner à l'extérieur une juste idée de notre force.
Nous avons maintenant sous les armes un total de 451 000 hommes et de 93 754 chevaux.
Nous possédons 16 495 bouches à feu de toute espèce, dont 13 770 en bronze
; les bouches à feu de campagne sont au nombre de 5 139.
C'est aussi à notre armée que l'Algérie doit le repos dont elle jouit. Une certaine agitation s'était manifestée chez les Arabes et les Kabyles ; mais des opérations bien combinées et bien exécutées y ont promptement rétabli l'ordre et la sécurité : notre influence s'en est accrue.
Les travaux du port d'Alger et ceux qui ont pour but de créer ou d'améliorer nos voies de communication se poursuivent avec l'activité permise par les allocations budgétaires.
La colonisation privée témoigne, par l'état des récoltes de cette année même, qu'elle est en voie de progrès.
L'installation et le développement des colonies agricoles se continuent avec zèle et persévérance.
Marine.
Notre flotte, qui protège nos colonies et fait respecter notre pavillon sur toutes les mers, se compose :
De la flotte active à voiles, comprenant 10 vaisseaux de ligne, 8 frégates, 18 corvettes, 24 bricks, 12 transports et 24 bâtiments légers ;
De la flotte active à vapeur, qui est de 14 frégates, 13 corvettes et 34 avisos.
En dehors de la flotte active se trouvent les bâtiments en disponibilité de rade et en commission de port. C'est une réserve prête à agir dans le plus bref délai. Cette réserve se compose de 10 vaisseaux, 15 frégates à voiles, 10 frégates à vapeur, 6 corvettes et 6 avisos également à vapeur.
L'armement de ces bâtiments réclame le concours de 958 officiers de vaisseau de tout grade, les aspirants non compris, et un effectif de marins dont le chiffre ne s'élève pas à moins de 28 500 hommes.
Aucun trouble sérieux ne s'est manifesté au sein de la société coloniale, qui, désormais, repose sur la solide base de l'égalité civile et politique. Au bienfait de la liberté pour les noirs est venue s'ajouter la compensation d'une indemnité pour les colons. Une équitable répartition sera, il faut l'espérer, un élément de paix, de travail et de prospérité.
En restant, autant qu'il sera possible, dans les prévisions du budget voté de 1849, le gouvernement espère continuer à maintenir intact l'établissement naval et colonial, jusqu'à ce qu'il puisse en proposer l'amélioration et le développement à l'Assemblée législative.
Agriculture, Industrie et Commerce.
L'agriculture, cette source de toutes les richesses, a reçu tous les encouragements qu'il était possible de lui donner en si peu de temps.
Depuis le 20 décembre dernier, vingt et une ferme-écoles ont été créées et forment, avec les vingt-cinq déjà existantes, le premier degré de l'enseignement agricole. D'autres seront établies.
Les instituts de la Saulsaie et de Grand-Jouan ont pris rang d'écoles régionales, et fonctionnent aujourd'hui comme établissements de l'Etat, d'après les prescriptions de la loi du 3 octobre.
L'administration s'est fait mettre en possession des fermes renfermées dans le petit parc de Versailles, destiné à l'institut national agronomique.
Cent vingt-deux sociétés d'agriculture et plus de trois cents comices ont pris part à la répartition des fonds votés pour l'encouragement de l'agriculture.
Par un arrêté du 25 avril 1849, une commission d'hommes spéciaux et dévoués s'est mise à l'étude de la question des colonies agricoles. Le désir du Gouvernement était de trouver le moyen le plus efficace de venir au secours des classes laborieuses en ramenant les ouvriers de la ville aux travaux de la campagne, et, d'après l'exemple des autres pays dont les documents ont été réunis, d'utiliser, au profit des pauvres, la mise en valeur des terres incultes.
L'organisation des haras nationaux a été profondémént modifiée par l'arrêté du 11 décembre 1848.
L'industrie chevaline est en progrès ; elle a partout repris sa marche, et toutes les institutions qui en découlent et qui s'étaient crues menacées sont revenues à leur niveau.
Le bon emploi du crédit de 500 000 fr. alloué pour la remonte des établissements n'a pas été étranger à ce résultat. Jamais la remonte n'a été ni aussi considérable ni aussi brillante que cette année.
La situation des subsistances est satisfaisante ; la récolte de 1848, bien que moins abondante que celle qui l'a précédée, offre cependant des ressources supérieures aux besoins du pays.
Les renseignements parvenus sur l'état des récoltes en terre sont très-favorables : c'est une consolation, au milieu de toutes nos épreuves, de voir l'abondance des produits promettre à nos populations le bon marché des denrées alimentaires.
L'exposition des produits de l'industrie, qui exerce une influence heureuse sur le maniement des affaires, s'est ouverte le 4 juin : le nombre des exposants inscrits s'était élevé à 3 919 ; il dépasse, cette année, le chiffre de 4 000.
L'exécution de la loi sur les associations ouvrières se poursuit et touche à son terme. Sur 600 demandes parvenues au département du commerce, il ne reste aujourd'hui à statuer que sur 80. Des 3 millions votés, il a été alloué 2 292 000 fr. à 47 associations.
Les chambres consultatives et les chambres de commerce vont être constituées sur des bases nouvelles.
Le commerce extérieur de la France s'était élevé, en 1847, à la somme totale de 2 milliards 614 millions, 1 343 millions à l'importation, et 1271 à l'exportation.
Rudement éprouvée par les événements politiques, l'année 1848 a vu, comme on pouvait s'y attendre, décroître considérablement le commerce français. On n'en saurait indiquer exactement la valeur, l'administration des douanes n'étant pas encore en mesure d'en déterminer le chiffre ; mais on ne peut douter que ce chiffre se trouvera réduit dans une proportion très-notable. La mise en consommation des matières nécessaires à l'industrie, en effet, a beaucoup perdu : celle des fontes est tombée de 95 941 tonnes à 45 553 ; la houille, de 2 173 000 tonnes à 1 796 000 ; la laine, de 138 000 quintaux à 80 963 ; la soie, de 15 000 à 7 668, etc.
Un élément, au reste, permettra de juger assez exactement des variations qu'a subies notre commerce extérieur en 1848 : c'est la recette des douanes.
En 1847, elle avait donné en moyenne mensuelle environ 11 millions.
Durant les mois de janvier et février 1848, elle produit une moyenne de 8 700 000 fr. A partir de mars, et pour chacun des trois mois suivants, elle va s'affaiblissant, et ne donne plus, en moyenne, qu'environ 5 millions ; durant les mois de juillet, août et septembre, la moyenne se relève un peu au-dessus de 8 millions ; enfin, pour les mois d'octobre, novembre et décembre, elle atteint le chiffre de 9 millions, c'est-à-dire près du double de ce qu'avaient produit les mois les plus agités de l'exercice.
Il était facile de voir que, dans le cours du dernier trimestre, et à mesure que le pays approchait du moment où le Pouvoir allait se trouver régulièrement et définitivement constitué, la marche des affaires commerciales s'améliorait en même temps que se raffermissait la confiance publique.
Cette influence s'est fait principalement sentir sur nos exportations. Presque tous les articles avaient, durant le premier semestre, éprouvé de fortes pertes. A l'aide de l'élévation et de l'extension des primes (décret du 10 juin 1848), elles reprennent une activité qui se fait particulièrement remarquer vers la fin de l'année. A cette époque, la diminution disparaît pour la majeure partie des articles ; pour certains même, comme les vins, les eaux-de-vie et les toiles, il y a, comparativement à 1847, quelque accroissement.
Mais c'est en examinant les résultats des premiers mois de 1849 qu'on aperçoit plus évidemment encore ce mouvement améliorateur.
Si, en janvier et février, on trouve des différences en moins assez sensibles, comparativement aux mois correspondants de 1848, l'avantage en mars et avril passe, pour la plupart des marchandises importées et exportées, du côté de 1849. Ainsi, pour citer quelques-uns de ces articles qui alimentent plus spécialement le travail industriel, le coton, au 30 avril, donne 21 millions de kilog. au lieu de 13 ; la houille, 567 000 tonnes au lieu de 447 000 ; la laine, 45 765 quintaux au lieu de 21 480 ; le sucre brut, 26 millions de kilog. au lieu de 16 ; l'indigo, 394 000 kilog. au lieu de 289 800 ; le bois d'acajou, 700 000 kilog. au lieu de 505 000, et enfin, la recette des douanes au 30 avril 1849 s'élève à 39 millions de francs, au lieu de 26 787 000 qu'elle avait donnés à pareille époque de 1848 ; et ce qui prouve que l'amélioration s'est continuée en mai, malgré les agitations qui ont affecté ce mois, c'est qu'il a donné 5 millions et demi de plus que celui de 1847, et que Paris a vu, comparativement aussi à mai 1848, s'élever de 6 millions le chiffre de ses exportations.
Le décret qui avait temporairement
élevé le taux des primes de sortie ayant cessé d'être en vigueur à partir du 1er janvier 1849, on eût pu croire que nos exportations allaient, à dater de ce moment, se ralentir, et que cette mesure législative aurait, sous ce rapport, escompté en 1848 les bénéfices de 1849, il n'en a rien été : nos tissus de toute sorte montraient, au 31 mai dernier, un accroissement très-marqué, et il en était de même de nos sucres raffinés, de nos peaux ouvrées, de nos verreries, etc.
En résumé, la situation du commerce français, vivement compromise pendant une grande partie de l'année 1848, s'est un peu améliorée vers la fin de cet exercice, et a pris une marche positivement ascendante depuis le commencement de 1849. C'est un résultat qui, en assurant au présent des avantages certains, semble être aussi une garantie de sécurité pour l'avenir.
La question de la réforme pénitentiaire, la question du travail dans les prisons, se rattachent aux intérêts de l'industrie. Chacun des systèmes a été particulièrement étudié ; le rétablissement de la discipline est l'objet d'efforts persévérants, et une idée préoccupe surtout l'administration, celle de la part qu'il conviendrait peut-être d'accorder à l'agriculture dans la réorganisation des travaux des condamnés.
Le nombre des prisons départementales est de
Celui des maisons centrales, de
Etablissements ou quartiers d'éduvation correctionnelle pour les jeunes détenus
Colonies agricoles fondées par le gouvernement
Colonie agricoles fondées par des particuliers
Total :
Au 1er janvier 1848, la population s'élevait
Dans les prisons départementales, à
Dans les maisons centrales, à
Dans les établissements et colonies de jeunes détenus, à
Total : |
400
21
12
5
7
445
26 653
17 789
3 600
48042
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Actuellement on compte en France plus de 1 300 établissements publics pour les malades, les vieillards, les enfants, etc., dont les revenus annuels dépassent la somme de 53 millions de francs.
Il faut y ajouter
près de 8 000 bureaux de bienfaisance, pour la distribution des secours à domicile, qui possèdent environ 13 500 000 francs de revenus ordinaires.
Enfin, d'autres services charitables, relatifs aux monts-de-piété, aux enfants trouvés, aux aliénés indigents, aux sourds-muets et aux aveugles, emploient au soulagement des infortunes des sommes qui s'élèvent à près de 50 millions de francs. C'est donc environ 116 millions par an qui sont consacrés à l'assistance publique, sans compter les charités privées, dont il est impossible de calculer l'importance, même approximativement.
Mais ces secours, tout immenses qu'ils paraissent, sont encore trop faibles si on les compare à la masse des besoins. Le Gouvernement le sait, et il a la ferme volonté de pourvoir à cette insuffisance.
Les mesures qui peuvent intéresser la santé publique ont été prises sur tous les points de la France. Des comités d'hygiène et de salubrité ont été institués ; leur organisation promet, dans un avenir prochain, d'heureux résultats, et dès aujourd'hui assurent d'utiles secours aux populations envahies par le choléra.
Les crédits votés par l'Assemblée nationale ont permis de venir en aide aux communes atteintes et dont les ressources étaient insuffisantes pour procurer aux familles les plus pauvres les secours dont elles avaient besoin en présence de l'épidemie.
Travaux publics.
Malgré l'avantage
qu'il y aurait eu à augmenter les travaux publics, afin d'employer tous les bras oisifs, l'état de nos finances engagea l'Assemblée constituante à décréter des réductions considérables, qui ont porté sur l'achèvement des routes, l'entretien et les dotations spéciales affectées aux réparations des principales rivières et des ports maritimes.
Nos 1 800 kilomètres de canaux ont eu à supporter des réductions analogues.
Les deux nouveaux canaux même, commencés suivant un décret de l'Assemblée, le premier entre Nogent et Marcilly, le second dérivé de la Sauldre pour l'assainissement de la Sologne, ont été interrompus faute de crédits, quoique le but eût été d'offrir aux ouvriers un salaire assuré.
Cependant, deux des lignes les plus importantes n'ont pas été abandonnées et touchent presque à leur fin : ce sont le canal de la Marne au Rhin et le canal latéral à la Garonne.
Quant aux chemins de fer exécutés par l'Etat, on avait déjà dépensé, au 31 décembre 1847, pour les lignes construites, près de 800 millions.
D'arès les évaluations des ingénieurs, il restait encore à dépenser, pour les terminer, une somme de 330 millions. La crise financière a forcé de réduire successivement cette somme jusqu'à 46 millions.
Le réseau du Nord a été accru, au mois de mars, d'une section comprise entre Creil et Noyon.
Le chemin qui borde la rive gauche de la Loire a été prolongé jusqu'à Saumur.
Dans les chemins du Centre, on s'est avancé jusqu'à Nérondes.
Sur la grande ligne entre Paris et Marseille, la section de Marseille à Avignon est ouverte. L'Etat administre provisoirement cette ligne, dont la compagnie concessionnaire a été légalement dépossédée.
D'Avignon à Lyon, aucun travail n'a été entrepris. Entre Lyon et Paris, l'Etat a repris la concession qu'il avait faite le 20 décembre 1845.
De Paris à Tonnerre et de Dijon à Châlons-sur-Saône, la voie de fer va être ouverte dans quelques semaines. Pour combler les lacunes de Tonnerre à Dijon et de Châlons à Lyon, il fait encore près de deux ans de travaux non interrompus.
Les contrées de l'Ouest n'ont obtenu qu'un seul tracé, celui qui joindra la Capitale avec la ville de Rennes. La tête de cette ligne était l'un des deux chemins de Versailles ; la loi du 20 avril dernier rattache au chemin de la rive gauche les travaux complètement terminés entre Versailles et Chartres. Le transport des voyageurs commencera au 10 juillet, et dans huit mois le point extrême pourra être porté à la Loupe, et ouvrir ainsi un accès à la population du département de l'Orne.
L'exploitation des mines et celle des usines metallurgiques ont, malgré la crise commerciale de 1848, fait quelques progrès.
45 concessions nouvelles des mines ont été données c'est-à-dire autant que les trois années précédentes réunies. Depuis le 1er janvier 1849 jusqu'au 19 mai, 10 autres concessions ont été accordées.
Les permissions d'usines ont suivi le même progrès. En 1847 il en avait été accordé 36 ; pour 1848 on en compte 55 ; enfin 19 depuis le 1er janvier.
La carte géologique proprement dite est achevée et publiée.
Le crédit proposé au budget de l'exercice 1849 pour l'organisation d'un service hydraulique, qui aurait eu pour but le desséchement des terres insalubres, n'ayant pas été admis, l'administration a dû nécessairement se borner à organiser un service spécial dans un certain nombre de départements où les conseils généraux avaient donné leur approbation à cette mesure.
L'industrie des bâtiments civils, qui occupe un grand nombre d'ouvriers et d'artistes, a souffert de notre état de crise.
L'Assemblée nationale s'est bornée à voter les crédits nécessaires à l'achèvement des constructions déjà entreprises depuis plusieurs années : ainsi les travaux ont-ils été repris à la Sainte-Chapelle, à l'Ecole des mines, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à l'Ecole polytechnique, à l'Ecole vétérinaire de Lyon, etc., etc.
Le Gouvernement a pensé qu'il serait digne de la République d'achever le palais du Louvre, où seraient réunies toutes nos richesses littéraires et artistiques ; il en a fait la demande à l'Assemblée nationale. Cette demande a été l'objet des études d'une commission qui n'a pas achevé son travail. Cette question importante sera de nouveau soumise à l'Assemblée.
Instruction publique.
Dès le début de son administration,
le ministre de l'instrucion publique a institué deux commissions pour préparer deux projets de lois sur l'enseignement primaire et sur l'enseignement secondaire, ayant pour but principal l'application immédiate et sincère du principe de liberté inscrit dans la Constitution. Le résultat de leurs laborieuses délibérations sera sans retard présenté à l'Assemblée.
Un projet de loi sur l'établissement de cours d'administration pratique dans chaque Faculté de département a été présenté à l'Assemblée nationale. Elle n'a rien décidé. La question sera de nouveau posée devant l'Assemblée législative.
Deux arrêtés du Pouvoir exécutif, en date du 30 mai et du 16 août, avaient placé dans les attributions du ministère de l'instruction publique les établissements d'enseignement en Algérie, et Alger était devenu le siège d'une académie. Une commission, présidée par l'un de nos généraux les plus expérimentés, a été chargée d'étudier le moyen de répandre la connaissance de la langue arabe parmi les européens, celle de la langue française parmi les indigènes.
L'administration des cultes n'a rencontré que des encouragements et des approbations dans le rapport de la commission du budget.
Des négociations ont été entamées avec la cour de Rome pour l'érection de trois sièges épiscopaux dans nos possessions coloniales. Cette mesure sera le complément de l'émancipation des noirs et achèvera d'assimiler les colonies de la métropole.
La rénovation des Facultés de théologie catholique, conformément au voeu de l'Assemblée nationale, a également excité les préoccupations du gouvernement. Une commission a élaboré un projet sur cette délicate question, qui touche aux intérêts les plus élevés de la religion, et, à ce titre, ne peut être utilement résolue sans la participation du pouvoir spirituel.
Des allocations considérables, en permettant d'élever le traitement des instituteurs et d'apporter une première amélioration à la position des desservants, témoignaient, chez l'Assemblée, de la ferme volonté de répondre aux besoins religieux et intellectuels des populations. Cette pensée de haute politique, d'équité et de religion, sera comprise et continuée sans doute par l'Assemblée législative.
Il y a aujourd'hui en France 68 établissements d'instruction supérieure et 6269 étudiants.
En dehors de l'Ecole normale, qui reçoit 115 élèves, on compte 1 120 établissement d'instruction secondaire et 106 065 élèves. Il existe 56 lycées, 309 collèges communaux et 955 établissements particuliers.
Les écoles primaires reçoivent 2 176 079 garçons et 1 354 056 filles, ce qui donne un total de 3 530 135 élèves.
Ces détails sommaires vous prouveront, Messieurs, que l'administration s'est acquittée avec zèle de ses devoirs. La révolution lui a imprimé une impulsion nouvelle, et, dans les diverses branches qui la composent, elle ne s'est pas bornée au simple accomplissement de ses fonctions, mais elle a cherché les moyens de répondre à l'attente publique, en préparant tous les projets d'amélioration qui seront soumis à l'Assemblée legislative.
Affaires étrangères.
Il est dans la destinée de la France
d'ébranler le monde lorsqu'elle se remue, de le calmer lorsqu'elle se modère. Aussi l'Europe nous rend-elle responsables de son repos ou de son agitation. Cette responsabilité nous impose de grands devoirs : elle domine notre situation.
Après février, le contre-coup de notre révolution se fit sentir depuis la Baltique jusqu'à la Méditerranée, et les hommes qui me précédèrent à la tête des affaires ne voulurent pas lancer la France dans une guerre dont on ne pouvait prévoir le terme : ils eurent raison.
L'état de civilisation en Europe ne permet de livrer son pays aux hasards d'une collision générale qu'autant qu'on a pour soi, d'une manière évidente, le droit et la nécessité. Un intérêt secondaire, une raison plus ou moins spécieuse d'influence politique, ne suffisent pas ; il faut qu'une nation comme la nôtre, si elle s'engage dans une lutte colossale, puisse justifier, à la face du monde, ou la grandeur de ses succès, ou la grandeur de ses revers.
Lorsque je parvins au pouvoir, de graves questions s'agitaient sur divers points de l'Europe. Au delà du Rhin comme au delà des Alpes, depuis le Danemark jusqu'en Sicile, il y avait pour nous un intérêt à sauvegarder, une influence à exercer. Mais cet intérêt et cette influence meritaient-ils, pour être énergiquement soutenus, qu'on courût les chances d'une conflagration européenne ? voilà la question : ainsi posée, elle est facile à résoudre.
Sur ce point de vue, dans toutes les affaires extérieures qui ont été le sujet des négociations que nous allons passer en revue, la France a fait ce qu'il était possible de faire pour l'intérêt de ses alliés, sans cependant recourir aux armes, cette dernière raison des gouvernements.
La Sicile, il y a près d'un an, s'était insurgée contre le roi de Naples. L'Angleterre et le France intervinrent avec leur flotte pour arrêter des hostilités qui prenaient le caractère du plus cruel acharnement, et, il faut le dire, quoique l'Angleterre eût plus d'intérêt dans cette question que la France elle-même, les deux amiraux s'unirent d'un commun accord pour obtenir du roi Ferdinand en faveur des Siciliens une amnistie complète et une constitution qui garantissait leur indépendance législative et administrative. Ils refusèrent. Les amiraux quittèrent la Sicile, forcés d'abandonner le rôle des médiateurs, et bientôt la guerre recommença. Un peu plus tard, ce même peuple, qui avait repoussé des conditions favorables, était obligé de se rendre à discrétion.
Au nord de l'Italie, une guerre sérieuse avait éclaté, et un moment, lorsque l'armée piémontaise poussa ses succès jusqu'à Mincio, l'on avait pu croire que la Lombardie recouvrerait son indépendance. La désunion fit promptement évanouir cet espoir, et le roi de Piémont fut obligé de se retirer dans ses Etats.
A l'époque de mon élection, la médiation de la France et de l'Angleterre avait été acceptée par les parties belligérantes. Il ne s'agissait plus que d'obtenir pour le Piémont les conditions les moins désavantageuses. Notre rôle était indiqué, commandé même. S'y refuser, c'était allumer une guerre européenne. Quoique l'Autriche n'eût envoyé aucun négociateur à Bruxelles, lieu indiqué de la conférence, le gouvernement français conseilla au Piémont de résister au mouvement qui l'entraînait à la guerre et de ne pas recommencer une lutte trop inégale.
Ce conseil ne fut pas suivi, vous le savez. Et après une nouvelle défaite, le roi de Sardaigne conclut directement avec l'Autriche un nouvel armistice.
Quoique la France ne fût pas responsable de cette conduite, elle ne pouvait pas permettre que le Piémont fût écrasé, et du haut de la tribune, le gouvernement déclara qu'il maintiendrait l'intégrité du territoire d'un pays qui couvre une partie de nos frontières. D'un côté, il s'est efforcé de modérer les exigences de l'Autriche, demandant une indemnité de guerre qui parut exorbitante ; de l'autre, il a engagé le Piémont à faire de justes sacrifices pour obtenir une paix honorable. Nous avons tout lieu de croire que nous réussirons dans cette oeuvre de conciliation.
Tandis qu'au nord de l'Italie se passaient ces événements, de nouvelles commotions venaient au centre de la Péninsule compliquer la question.
En Toscane, le grand-duc avait quitté ses Etats. A Rome s'était accomplie une révolution qui avait vivement ému le monde catholique et libéral : en effet, depuis deux ans on était habitué à voir sur le Saint-Siège un pontife qui prenait l'initiative des réformes utiles, et dont le nom, répété dans des hymnes de reconnaissance, d'un bout de l'Italie à l'autre, était le symbole de la liberté et le gage de toutes les espérances, lorsque tout à coup l'on apprit avec étonnement que ce souverain, naguère l'idole de son peuple, avait été contraint de s'enfuir furtivement de sa capitale.
Ainsi, les actes d'agression qui obligèrent Pie IX à quitter Rome parurent-ils aux yeux de l'Europe être l'oeuvre d'une conjuration, bien plus que le mouvement spontané d'un peuple qui ne pouvait être passé en un instant de l'enthousiasme le plus vif à l'ingratitude la plus affligeante.
Les Puissances catholiques envoyèrent des ambassadeurs à Gaëte pour s'occuper des graves intérêts de la papauté. La France devait y être représentée ; elle écouta tout sans engager son action, mais, après la défaite de Novare, les affaires prirent une tournure plus décidée : l'Autriche, de concert avec Naples, répondant à l'appel du Saint-Père, notifia au gouvernement français qu'il eût à prendre un parti, car ces Puissances étaient décidées à marcher sur Rome pour y rétablir purement et simplement l'autorité du pape.
Mis en demeure de nous expliquer, nous n'avions que trois moyens à adopter :
Ou nous opposer par les armes à toute espèce d'intervention, et, en ce cas, nous rompions avec toute l'Europe catholique pour le seul intérêt de la république romaine, que nous n'avions pas reconnue ;
Ou laisser les trois Puissances coalisées rétablir à leur gré et sans ménagement l'autorité papale ;
Ou bien, enfin, exercer de notre propre mouvement une action directe et indépendante.
Le Gouvernement de la République adopta ce dernier moyen.
Il nous semblait facile de faire comprendre aux Romains que, pressés de toutes parts, ils n'avaient de chances de salut qu'en nous ; que si notre présence avait pour résultat le retour de Pie IX, ce souverain, fidèle à lui-même, ramènerait avec lui la réconciliation et la liberté ; qu'une fois à Rome, nous garantissions l'intégrité du territoire, en ôtant tout prétexte à l'Autriche d'entrer en Romagne. Nous pouvions même espérer que notre drapeau, arboré sans contestation au centre de l'Italie, aurait étendu son influence protectrice sur la Péninsule tout entière, dont aucune des douleurs ne peut nous trouver indifférents.
L'expédition de Civita-Vecchia fut donc résolue de concert avec l'Assemblée nationale, qui vota les crédits nécessaires. Elle avait toutes les chances de succès : les renseignements reçus s'accordaient à dire qu'à Rome, excepté un petit nombre d'hommes qui s'étaient emparés du pouvoir, la majorité de la population attendait notre arrivée avec impatience ; la simple raison devait faire croire qu'il en était ainsi, car, entre notre intervention et celle des autres Puissances, le choix ne pouvait pas être douteux.
Un concours de circonstances malheureuses en décida autrement : notre corps expéditionnaire, peu nombreux, car une résistance sérieuse n'était pas prévue, débarque à Civita-Vecchia, et le Gouvernement est instruit que, s'il eût pu arriver à Rome le même jour, on lui en aurait ouvert les portes avec joie. Mais, pendant que le général Oudinot notifiait son arrivée au gouvernement de Rome, Garibaldi y entrait à la tête d'une troupe des réfugiés de toutes les parties de l'Italie, et même du reste de l'Europe, et sa présence, on le conçoit, accrut subitement la force du parti de la résistance.
Le 30 avril, six mille de nos soldats se présentèrent sous les murs de Rome. Ils furent reçus à coups de fusil ; quelques-uns même, attirés dans un piège, furent faits prisonniers. Nous devons tous gémir du sang répandu dans cette triste journée. Cette lutte inattendue, sans rien changer au but final de notre entreprise, a paralysé nos intentions bienfaisantes et rendus vains les efforts de nos négociateurs.
Au nord de l'Allemagne, l'insurrection avait compromis l'indépendance d'un Etat, l'un des plus anciens et des plus fidèles alliés de la France. Le Danemark avait vu les populations des duchés de Holstein et Schleswig se révolter contre lui, tout en reconnaissant cependant la souveraineté du prince qui règne en ce moment. Le gouvernement central de l'Allemagne crut devoir décréter l'incorporation du Schleswig à la confédération, parce qu'une grande partie du peuple était de race allemande.
Cette mesure est devenue la cause d'une guerre achanée.
L'Angleterre a offert sa médiation, qui a été acceptée. La France, la Russie, la Suède, se sont montrées disposées à appuyer le Danemarck.
Des négociations ouvertes depuis plusieurs mois ont amené à cette conclusion, que le Schleswig formerait, sous la souveraineté du roi de Danemark, un Etat particulier. Mais, ce principe admis, on n'a pu s'entendre sur les conséquences qu'il fallait en tirer, et les hostilités ont recommencé. Les efforts des Puissances que je viens de nommer tendent en ce moment à la conclusion d'un nouvel armistice, préliminaire d'un arrangement définitif.
Le reste de l'Allemagne est agité par de graves perturbations. Les efforts faits par l'Assemblée de Francfort en faveur de l'unité allemande ont provoqué la résistance de plusieurs des Etats fédérés, et amené un conflit qui, se rapprochant de nos frontières, doit attirer notre surveillance. L'empire d'Autriche, engagé dans une lutte acharnée avec la Hongrie, s'est cru autorisé à appeler le secours de la Russie. L'intervention de cette Puissance, la marche de ses armées vers l'Occident, ne pouvaient qu'exciter à un haut degré la sollicitude du gouvernement, qui a déjà échangé à ce sujet des notes diplomatiques.
Ainsi, partout en Europe, il y a des causes de collision que nous avons cherché à apaiser, tout en conservant notre indépendance d'action et notre caractère propre.
Dans toutes ces questions, nous avons toujours été d'accord avec l'Angleterre, qui nous a offert un concours auquel nous devons être sensible.
La Russie a reconnu la République.
Le Gouvernement a conclu avec l'Espagne et la Belgique des traités de poste qui facilitent les communications internationales.
En Amérique, l'état de Montevideo s'est singulièrement modifié : d'après les renseignements de l'amiral qui commande dans ces parages nos forces navales, la population française a émigré d'une des rives du Rio de la Plata à l'autre. Ce déplacement de la population française doit nécessairement à l'avenir être pris en considération.
Enfin, Messieurs les Représentants, si toutes nos négociations n'ont pas obtenu le succès que nous devions en attendre, soyez persuadés que le seul mobile qui anime le Gouvernement de la République, c'est le sentiment de l'honneur et de l'intérêt de la France.
Résumé.
Tel est, Messieurs, l'exposé sommaire de l'état actuel
des affaires de la République. Vous voyez que nos préoccupations sont graves, nos difficultés grandes, et qu'il nous reste aujourd'hui, au dedans comme au dehors, bien des questions importantes à résoudre. Fort de votre appui et de celui de la nation, j'espère, néanmoins, m'élever à la hauteur de ma tâche, en suivant une marche nette et précise.
Cette marche consiste, d'un côté, à prendre hardiment l'initiative de toutes les améliorations, de toutes les réformes qui peuvent contribuer au bien-être de tous, et, de l'autre, à réprimer, par la sévérité des lois devenues nécessaires, les tentatives de désordre et d'anarchie qui prolongent le malaise général. Je ne bercerai pas le peuple d'illusions et d'utopies qui n'exaltent les imaginations que pour aboutir à la déception et à la misère. Partout où j'apercevrai une idée féconde en résultats pratiques, je la ferai étudier, et, si elle est applicable, je vous proposerai de l'appliquer.
La principale mission du gouvernement républicain, surtout, c'est d'éclairer le peuple par la manifestation de la vérité, de dissiper l'éclat trompeur que l'intérêt personnel des partis fait briller à ses yeux. Un fait malheureux se retrouve à chaque page de l'histoire : c'est que plus les maux d'une société sont réels et patents, plus une minorité aveugle se lance dans le mysticisme des théories.
Au commencement du XVIIè siècle, ce n'était pas pour le triomphe des idées insensées de quelques fanatiques, prenant la Bible pour texte et pour excuse de leurs folies, que le peuple anglais lutta pendant quarante ans, mais pour la suprématie de sa religion et le triomphe de sa liberté.
De même, après 89, ce n'était pas pour les idées de Baboeuf ou de tel autre sectaire que la société fut bouleversée, mais pour l'abolition des privilèges, pour la division de la propriété, pour l'égalité devant la loi, pour l'admission de tous aux emplois.
Eh bien ! encore ajourd'hui ce n'est pas pour l'application de théories inapplicables ou d'avantages imaginaires que la révolution s'est accomplie, mais pour avoir un gouvernement qui, résultat de la volonté de tous, soit plus intelligent des besoins du peuple et puisse conduire, sans préoccupations dynastiques, les destinées du pays.
Notre devoir est donc de faire la part entre les idées fausses et les idées vraies qui jaillissent d'une révolution ; puis cette séparation faite, il faut se mettre à la tête des unes et combattre courageusement les autres. La vérité se trouvera en faisant appel à toutes les intelligences, en ne repoussant rien avant de l'avoir approfondi, en adoptant tout ce qui aura été soumis à l'examen des hommes compétents et aura subi l'épreuve de la discussion.
D'après ce que je viens d'exposer, deux sortes de lois seront présentées à votre approbation, les unes pour rassurer la société et réprimer les excès, les autres pour introduire partout des améliorations réelles ; parmi celles-ci j'indiquerai les suivantes :
Loi sur les institutions de secours et de prévoyance, afin d'assurer aux classes laborieuses un refuge contre les conséquences de la suspension des travaux, des infirmités et de la vieillesse ;
Loi sur la réforme du régime hypothécaire : il faut qu'une institution nouvelle vienne féconder l'agriculture, en lui apportant d'utiles ressources, en facilitant ses emprunts ; elle préludera à la formation d'établissements de crédit à l'instar de ceux qui existent dans les divers Etats de l'Europe ;
Loi sur l'abolition de la prestation en nature ;
Loi sur la subvention en faveur des associations ouvrières et des comices agrigoles ;
loi sur la défense gratuite des indigents, qui n'est pas suffisamment assurée dans notre législation. La justice, qui est une dette de l'Etat, et qui par conséquent est gratuite, se trouve environnée de formalités onéreuses qui en rendent l'accès difficile aux citoyens pauvres et ignorants. Leurs droits et leurs intérêts ne sont pas assez protégés ; sous l'empire de notre Constitution démocratique, cette anomalie doit disparaître ;
Enfin, une loi est préparée ayant pour but d'améliorer la pension de retraite des sous-officiers et soldats, et d'introduire dans la loi sur le recrutement de l'armée les modifications dont l'expérience a montré l'utilité.
Indépendamment de ces projets, vous aurez à vous occuper des lois organiques que la dernière Assemblée n'a pas eu le temps d'élaborer et qui sont le complément nécessaire de la Constitution.
Ce qui précède suffit, Messieurs, je l'espère, pour vous prouver que mes intentions sont conformes aux vôtres. Vous voulez, comme moi, travailler au bien-être de ce peuple qui nous a élus, à la gloire, à la prospérité de la Patrie ; comme moi, vous pensez que les meilleurs moyens d'y parvenir ne sont pas la violence et la ruse, mais la fermeté et la justice. La France se confie au patriotisme des membres de l'Assemblée ; elle espère que la vérité, dévoilée au grand jour de la tribune, confondra le mensonge et désarmera l'erreur. De son côté, le Pouvoir exécutif fera son devoir.
J'appelle sous le drapeau de la République et sur le terrain de la Constitution tous les hommes dévoués au salut du pays ; je compte sur leur concours et sur leurs lumières pour m'éclairer, sur ma conscience pour me conduire, sur la protection de Dieu pour acoomplir ma mission.
Recevez, Messieurs, l'assurance de ma haute estime.
Louis-Napoléon Bonaparte
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