année 1850
12 novembre 1850
Message du Président de la République à l'Assemblée législative
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Messieurs les Représentants,
Mon premier message a coïncidé avec la première réunion de l'Assemblée législative. Les mêmes électeurs qui venaient de me nommer à la magistrature suprême du pays vous appelèrent par leurs suffrages à siéger ici. La France vous vit arriver avec joie, car la même pensée avait présidé à nos deux élections. Elle nous imposait le même mandat et faisait espérer de notre union le rétablissement de l'ordre et le maintien de la paix extérieure.
Depuis le mois de juin 1849, une amélioration sensible s'est opérée.
Lorsque vous êtes arrivés,
le pays était encore remué par les derniers moments de la Constituante. Plusieurs votes imprudents avaient créé de grands embarras au Pouvoir. Les emportements de la tribune s'étaient, comme toujours, traduits en agitation dans la rue, et le 13 juin vit éclore une nouvelle tentative d'insurrection. Quoique facilement réprimée, elle fit sentir davantage l'impérieuse nécessité de réunir nos efforts contre les mauvaises passions. Pour les vaincre, il fallait d'abord prouver à la nation que la meilleure intelligence régnait entre l'Assemblée et le Pouvoir exécutif, imprimer à l'administration une direction unique et ferme, combattre résolument les causes de désordre, ranimer les éléments de prospérité.
Intérieur
Les lois importantes que la gravité des événements obligea d'adopter contribuèrent puissamment à rétablir la confiance, parce qu'elles prouvèrent la force de l'Assemblée et du Gouvernement lorsqu'ils sont en parfait accord.
L'administration, de son côté, redoubla de vigueur, et les fonctionnaires, qui ne paraissaient ni assez capables, ni assez dévoués pour remplir la mission difficile de concilier sans faiblesse et de réprimer sans esprit de parti, furent révoqués; d'autres, au contraire, élevés en grade ou récompensés.
L'autorité municipale, si salutaire lorsque son action s'unit franchement à celle du Pouvoir exécutif, s'attira justement, dans beaucoup de communes, des reproches très-graves. Quatre cent vingt et un maires et cent quatre-vingt-trois adjoints ont dû être révoqués ; et, si tous ceux qui sont demeurés au-dessous de leurs fonctions n'ont pas été atteints, c'est que l'imperfection de la loi s'y est opposée.
Le conseil d'Etat, pour y remédier, a déjà commencé l'examen d'un projet de loi ; mais il est difficile de concilier les franchises municipales avec l'unité d'action, véritable force du Pouvoir central.
La garde nationale, auxiliaire utile contre les ennemis du dedans et du dehors quand elle est bien organisée, n'a agi que trop souvent dans un sens contraire au but de son institution, et nous a obligés de la dissoudre dans cent cinquante-trois villes ou communes, partout enfin où elle présentait un caractère d'un corps armé délibérant.
La justice a dignement secondé le Pouvoir. La magistrature a déployé une grande énergie pour faire exécuter les lois et punir ceux qui les violaient.
Pour assurer l'ordre dans les provinces les plus agitées, de grands commandements, comprenant plusieurs divisions militaires, ont été créés, et des pouvoirs plus étendus confiés à des généraux expérimentés. Partout l'armée a donné son concours avec cet admirable dévouement qui lui est propre ; partout aussi, la gendarmerie a accompli sa mission avec un zèle digne d'éloges.
On a beaucoup calmé l'agitation des campagnes, en mettant un frein à la détestable propagande qu'exerçaient les instituteurs primaires. De nombreuses épurations ont été faites. Les maîtres
d'école ne sont plus aujourd'hui des instruments de désordre.
Quoique préoccupé sans cesse d'une répression urgente, le Gouvernement a adopté tout ce qui lui semblait propre à améliorer la situation du pays. Ainsi, malgré la difficulté des circonstances, l'impôt foncier a pu être réduit de 27 millions. Un projet d'organisaion de crédit foncier, dont l'application sera encore facilitée par le réforme hypothécaire, vous a été soumis.
Les lois relatives aux caisses de retraite et de secours mutuels que vous avez votées exerceront la plus salutaire influence sur le sort des classes ouvrières. L'organisation des sociétés de patronage, l'auxiliare le plus utile de l'administration dans le double intérêt de la morale et de la sûreté publique ; les hospices, les établissements de charité, ont été l'objet d'une sollicitude particulière. La meilleure destination possible a été donnée aux fonds de secours.
Un projet s'élabore depuis plusieurs années, en vue de procurer aux communes tout le fruit qu'elles pourraient retirer de leurs terrains vagues.
La vicinalité, source de prospérité pour les campagnes, reçoit de constantes améliorations, qui tendent à compléter l'ensemble des communicaions rurales.
Le dernier Message exprimait le désir de voir spprimer la prestation en nature ; l'Assemblée nationale a été saisie de propositions relatives à cet objet. Les conseillers généraux, consultés, se décident, la plupart, pour le maintien de la prestation en nature plutôt que pour sa suppression. Mais, maintenir la proportionnalité de l'impôt, sans amoindrir les ressources nécessaires, est un problème difficile à résoudre.
La situation financière des communes s'améliore ; mais le Gouvernement modère leur penchant excessif à voter des dépenses locales.
Les nouvelles lignes télégraphiques, votées par la loi du 10 février dernier, sont en voie d'exécution. Elles fonctionnent de Paris à Tours, à Rouen, à Valenciennes ; mais il est nécessaire d'étendre ce réseau. La loi sur la télégraphie privée, soumise en ce moment à l'Assemblée, réclame une prompte solution.
Le Gouvernement a usé d'indulgence toutes les fois qu'il a pu le faire sans danger. Ainsi, depuis le mois de juin 1849, 2400 transportés ont été mis en liberté, sans que le repos public ait été compromis. Il n'en reste plus que 458 qui ont été envoyés en Algérie.
il existe encore, malheureusement, sans compter les transportés de juin, 348 condamnés politiques dans les prisons de France.
L'interdiction du travail dans les prisons avait aggravé le sort des détenus. Le décret du 9 janvier 1849 n'a pas remédié au mal. Un projet de loi, qui sauvegarde les intérêts de la société et ceux des détenus, est soumis au Conseil d'Etat. Dès qu'il sera adopté, le Gouvernement utilisera, autant que possible, cette classe nombreuse, dans les travaux agricoles.
Le bien-être et la moralisaion des jeunes détenus, le système pénitentiaire cellulaire, continuent d'être étudiés avec un soin sérieux, et bientôt le Gouvernement demandera à l'Assemblée le moyen de créer des colonies agricoles modèles pour les jeunes détenus, ainsi que le prescrit la loi du 5 août dernier.
Un projet de loi vous sera présenté pour venir au secours des vieux débris de nos armées de la République et de l'Empire qui sont aujourd'hui sans ressources, parce que les événements politiques les ont frustrés de leurs droits, et qu'il est indigne d'une grande nation de les laisser plus longtemps dans la misère.
Finances
L'ensemble de cette politique a notablement amélioré notre situation financière.
Le compte de 1848 vous a été soumis, et vous a fait connaître le solde définitif de cet exercice.
On a pu croire un instant que le budget de 1849, en raison de certaines circonstances imprévues au moment où il fut voté, imposerait au Trésor une charge d'environ 300 000 millions. Grâce aux progrès des revenus et aux économies introduites dans divers services, ce découvert, on peut aujourd'hui l'affirmer, sera réduit de près de 100 millions.
Tout nous fait espérer que le déficit prévu pour le budget de 1850 sera sensiblement atténué, et que l'équilibre annoncé pour 1851 sera réalisé : la marche ascendante des revenus indirects se soutient ; les neuf premiers mois de 1850, comparés aux mois correspondants de l'année dernière, donnent un avantage de plus de 28 millions. Les contributions indirectes, dont les tarifs n'ont pas été modifiés, et qui figurent pour plus de 16 millions dans cet accroissement, attestent la reprise des affaires et l'amélioration du sort des classes laborieuses.
La paix et l'ordre intérieurs ont porté d'autres fruits :
Les fonds déposés aux caisses d'épargne depuis le 1er janvier 1849 excèdent les remboursements de 60 millions.
Montant des dépôts au 1er janvier 1849 |
10 976 000 fr. |
Montant des dépôts au 1er novembre 1850 (non compris les fonds de compensation accordés aux anciens déposants) |
79 938 000 fr. |
Augmentation |
68 962 000 fr. |
Le chiffre du portefeuille de la Banque, qui était tombé successivement au-dessous de 100 millions, s'est élevé, et, le 7 de ce mois, il dépassait 135 millions de francs. En supprimant le cours forcé des billets, vous avez eu raison de compter sur le rétablissement de la confiance : les faits ont pleinement justifié cette grave mesure ; le retour aux statuts primitifs n'a réduit ni l'étendue ni l'importance de la circulation.
Billets de la Banque et des succursales en circulation :
Le 8 août 1850 |
500 144 300 fr. |
Le 7 novembre 1850 |
501 475 400 fr. |
Si le produit des douanes a éprouvé quelque diminution, la différence provient de causes accidentelles que vous connaissez, et qui sont afférentes aux sels et aux sucres coloniaux ; mais, considéré dans son ensemble, notre commerce international, après une forte dépression en 1848, s'est relevé en 1849 par un mouvement rapide qui continue à progresser. Abstraction faite de l'introduction extraordinaire des céréales qui eut lieu en 1847, nous sommes en avance sur cette année elle-même, tant pour la valeur des marchandises importées et exportées que pour le nombre et le tonnage des navires.
Mouvement commercial et maritime des neuf premiers mois des années 1847, 1848, 1849, 1850.
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1847 |
1848 |
1849 |
1850 |
Valeur officielle des marchandises importées et exportées. (Commerce spécial). |
francs
* 792 329 000 |
francs
689 513 000 |
francs
910 195 000 |
francs
939 388 000 |
Nombre total des navires |
* 21 039 |
19 152 |
22 486 |
24 073 |
Tonnage |
* 2 482 000 |
2 235 000 |
2 957 000 |
2 789 000 |
Navires français (entrée et sortie) |
10 610 |
9 233 |
11 081 |
11 409 |
* déduction faite des céréales |
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Le recouvrement des contributions directes s'opère avec une exactitude remarquable ; le 30 septembre dernier, un tiers du douzième était en retard. C'est beaucoup moins que dans les époques les plus prospères.
Etat de la situation du recouvrement des contributions directes des années 1845 à 1850, à l'époque du 30 septembre 1850.
Années |
Montant des rôles |
Montant des recouvrements |
Proportion du retard en douzièmes et fractions de douzièmes |
1845 |
415 400 000 fr. |
255 900 000 fr. |
64/100è de douzièmes |
1846 |
418 100 000 fr. |
260 700 000 fr. |
70/100è idem |
1847 |
422 800 000 fr. |
262 800 000 fr. |
52/100è idem |
1848 |
431 000 000 fr. |
240 400 000 fr. |
1/12 31/100è idem |
1849 |
436 000 000 fr. |
291 400 000 fr. |
70/100è idem |
1850 |
431 400 000 fr. |
288 200 000 fr. |
33/100è idem |
Ces heureux changements dans l'ensemble des faits financiers nous auront permis, de 1849 à 1851, c'est-à-dire dans l'espace de trois années, malgré la réduction de plusieurs taxes importantes, de doter le pays de près de 206 millions de travaux publics, de soulager les dernières classes de patentables, de faire remise de 27 millions à l'agriculture, de solder ponctuellement toutes les dépenses des budgets en déficit, et d'arriver enfin, c'est notre vif désir et notre ferme espoir, à établir la balance entre les charges et les ressources annuelles de l'Etat. Ces résultats auront été obtenus sans exiger un recours extraordinaire au crédit et sans imposer au Trésor des avances exagérées.
Le pays, n'en doutons pas, Messieurs, a le sentiment de cette situation améliorée. Chacun a pu reconnaître que les finances de l'Etat, qui, l'année dernière, figuraient au premier rang dans les préoccupations de l'opinion publique, sont bien loin aujourd'hui d'inspirer les mêmes appréhensions. Je constate avec satisfaction ce progrès ; il est la récompense du bon esprit des populations et des efforts du Gouvernement et de l'Assemblée ; il sera un encouragement pour tous.
Après être sorti du système fâcheux des douzièmes provisoires, le Gouvernement a tenu à honneur de rentrer complètement dans la règle. le budget de 1851 a été voté en temps utile, et celui de 1852 vous sera présenté dès le commencement de l'année prochaine.
Un perfectionnement, longtemps demandé, vient d'être réalisé dans la comptabilité publique : la durée des exercices a été, par un décret récent, abrégée de deux mois. Favorable à la fois au Trésor et à ses créanciers, cette mesure accélérera la liquidation et le payement des dettes de l'Etat, et rendra plus faciles la formation et le jugement des comptes.
Pour entrer dans les vues de l'Assemblée, l'administration a entrepris, et presque terminé, la réorganisation de tous les arrondissements de perception. Ce grand travail, qui entraînera la suppression successive, par voie d'extinction, de 1500 emplois, aura pour résultat une économie considérable.
Trois projets de loi sur des objets dignes de vos méditations ne tarderont pas à vous être soumis.
L'un, conçu dans l'intérêt de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, a pour but d'affranchir l'administration des canaux, au moyen du rachat des actions de jouissance, des entraves qui résultent du cahier des charges.
L'autre règle la matière générale des pensions.
Le troisième demande à lAssemblée les voies et les moyens nécessaires pour opérer, en vue d'une meilleure répartition de l'impôt foncier, une nouvelle évaluation des revenus territoriaux. Nous vous proposerons une combinaison qui, en maintenant le produit actuel de l'impôt, soulagera successivement les départements surchargés, sans aggravation pour les autres.
Travaux publics
La réduction du crédit a forcé d'ajourner beaucoup de travaux nécessaires, et de ralentir même l'exécution des plus urgents. Néanmoins, d'importantes sections de chemins de fer ont été, depuis un an, livrées à la circulation.
Le deuxième semestre de 1849 a vu s'ouvrir les sections :
De Paris à Châlons-sur-Marne ; de Paris à Tonnerre ; de Dijon à Châlons-sur-Saône ; de Saumur à Angers ; de Noyon à Chauny ; de Saint-Pierre à Calais. - Total : 574 kilomètres.
Pendant l'année 1850, se sont ouvertes les sections :
De Châlons-sur-Marne à Vitry ; de Metz à Nancy ; de Néronde à Nevers ; de Chauny à Saint-Quentin. - Total : 152 kilomètres.
L'année 1851 verra s'ouvrir les sections :
De Vitry à Bar-le-Duc ; de Metz à Saint-Avold ; de Strasbourg à Sarrebourg ; de Tonnerre à Dijon ; de Tarascon à Beaucaire , de Tours à Poitiers ; d'Angers à Nantes ; et, nous l'espérons, de Chartres à La Loupe. - Total : 513 kilomètres.
L'industrie métallurgique est une de celles dont les travaux reprennent le plus lentement. En 1849, les usines à fer ont fabriqué 425 000 tonnes de gros fer, d'une valeur de 81 millions environ. Aujourd'hui l'activité des établissements métallurgiques semble se ranimer.
On continue, avec le soin le plus persévérant, les études qui ont pour but de mettre à la disposition de l'agriculture les moyens, si précieux pour elle, d'arroser et de dessécher les terres.
La liberté du roulage, que, par un projet de loi récent, nous vous avons proposé d'établir, sera aussi, pour l'agricukture, comme pour le commerce, un véritable bienfait.
J'appelle principalement l'attention de l'Assemblée sur la concession du chemin de fer à Lyon. De cette concession dépend la reprise des travaux les plus importants ; car elle permettrait de répartir entre les autres chemins de fer et les autres travaux publics de toute sorte les sommes dont elle dégrèverait le Trésor.
Nos intérêts politiques, commerciaux et industriels, exigent l'achèvement, le plus prompt possible, des lignes de Paris à Marseille, de Paris à Strasbourg, de Paris à Bordeaux, de l'Ouest au Centre.
Or, pour achever ces chemins de fer et nos grands travaux publics en cours d'éxécution, le Trésor aura encore, au 1er janvier prochain, 585 millions à dépenser.
Savoir :
Pour les chemins de fer.
(Dont 230 pour le chemin de Paris à Lyon et pour le chemin de Lyon à Avignon ) |
430 000 000 fr. |
Pour les canaux, et surtout pour achever le canal de la Marne au Rhin et le canal latéral à la Garonne |
25 000 000 fr. |
Pour l'amélioration de la navigation de nos rivières |
56 000 000 fr. |
Pour les ports sur le littoral de l'Océan et de la Méditerranée |
54 000 000 fr. |
Pour les routes |
20 000 000 fr. |
Total |
585 000 000 fr. |
Si ces travaux restaient à la charge de l'Etat, le Trésor aurait donc encore 585 millions à dépenser ; ils ne pourraient être de longtemps terminés ; et, avec une dotation moyenne de 70 millions par année, comme en 1850 et 1851, leur achèvement exigerait encore près de neuf années.
Si le chemin de fer de Lyon est concédé, il en résultera pour le Trésor un dégrèvement d'au moins 260 millions, ce qui réduira ses charges à 325 millions, et à moins de cinq années le temps nécessaire pour terminer ces grands travaux.
Réduire les charges du Trésor de 260 millions, avancer de quatre années l'achèvement de nos routes, de nos canaux, de nos rivières, de nos chemins de fer, ce serait, Messieurs, une grande et utile mesure.
L'Assemblée, je l'espère, sera frappée, comme moi, de l'immense avantage d'une prompte concession du chemin de fer de Paris à Lyon, pour l'ensemble de nos travaux.
Agriculture et commerce
Propager les améliorations, porter remède aux souffrances, c'est le devoir de l'administration de l'agriculture et du commerce. La crise qui pèse sur notre ariculture appelait toute sa sollicitude ; l'étendue du mal aurait rendu les ressources dont le Gouvernement dispose bien insuffisantes, s'il avait voulu en faire une application générale. Il a paru plus utile d'en localiser l'emploi. Des achats de grains, opérés pour les services de la guerre et de la marine sur les marchés où la dépréciation se faisait le plus sentir, ont soulagé ces détresses locales, en rendant aux cours quelque fermeté.
Quoique la récolte des céréales n'ait pas répondu, en 1850, à toutes les espérances qu'elle avait fait naître, elle ne laisse aucune crainte pour l'approvisionnement du pays.
La baisse du prix des grains ne pouvait manquer d'amener une dépréciation correspondante sur les marchés aux bestiaux de boucherie.
L'administration de l'agriculture ne négligera aucun des moyens qui peuvent favoriser l'élève du bétail. Aussi les concours d'animaux ont-ils reçu cette année de grands développements. Outre les concours locaux, il a été ouvert des concours régionaux à Nimes, Aurillac, Saint-Lô et Bordeaux, et un concours général à Versailles, plus spécialement réservé à l'amélioration des races. De nombreux cultivateurs, venus à Versailles de tous les points de la France, constataient, il y a peu de jours, l'utilité de cette institution.
La production chevaline, partout en progrès, présente les résultats les plus satisfaisants. L'administration des haras, qui marche avec un ordre et une régularité dignes d'éloges, a bien mérité de l'agriculture et de l'armée. Le nombre des chevaux s'est accru dans le pays ; leur valeur s'est relevée.
L'institution des courses a pris elle-même, cette année, une extension considérable : dans l'ensemble du pays une somme de 800 000 fr. leur a été consacrée. Comme la part de l'Etat ne s'élève qu'à 300 000 fr. dans ce chiffre, on voit que les pouvoirs locaux leur ont prêté un concours puissant.
La pratique des procédés agricoles a fait des progrès qui, par leur importance, s'élèvent à la hauteur de véritables révolutions économiques. Dans le courant de la session, le ministère soumettra à l'Assemblée des mesures tendant à développer la pratique des irrigations. Il appellera votre attention sur les procédés de drainage, qui sont en Angleterre l'objet de si larges encouragements. Une loi concernant la police des engrais industriels vous sera proposée. Les méthodes remarquables de culture, de rouissage et de préparation du lin, qui viennent d'être introduites en Angleterre, en Irlande et en Belgique, ne pouvaient non plus trouver le Gouvernement indifférent. Il en a fait une étude approfondie dont les résultats vous seront soumis dans l'exposé des motifs d'une loi qui vous sera proposée, pour affranchir de tout droit d'entrée la graine de lin de semence, de la provenance de Riga.
Les notions positives acquises à la science agricole se répandent pour la jeunesse du pays, par l'intermédiaire des écoles régionales et des fermes-écoles ; pour les agriculteurs, par la publication de rapports émanés des hommes les plus compétents.
La situation industrielle du pays s'est généralement améliorée en 1850, même en prenant 1849 comme terme de comparaison. Presque partout l'activité constatée durant le cours de l'année dernière s'est soutenue ; souvent elle s'est développée. Les rapports récents des chambres de commerce et des manufactures signalent cet état prospère. L'industrie des draps et tissus de laine, celle des toiles et du coton, les cuirs, les poteries, les verreries, les objets de luxe ont trouvé des débouchés faciles et avantageux. L'industrie des soies a partagé la même activité jusqu'ici.
Si l'industrie métallurgique n'a pu se relever encore, en ce qui concerne la fabrication des produits destinés aux chemins de fer, la construction des machines a pris une extension en rapport avec le mouvement des affaires.
Quelques faits donnent la mesure exacte du progrès accompli.
Dans le premier semestre de 1847, le Gouvernement autorisait la création de 92 établissements industriels ; en 1848, ce nombre tombe à 68, et même à 45, l'an dernier. Pour le premier semestre de 1850, il est remonté à 87.
Les charges de courtiers et d'agents de change ont repris leur valeur ; les ventes sont, cette année, aussi nombreuses qu'en 1847.
Le Conseil d'Etat va examiner le projet de règlement d'administration publique marquant les exceptions que réclame l'exécution de la loi sur la limitation de la durée du travail à douze heures. Ce projet concilie les besoins constatés de l'industrie avec le respect dû à la loi. Fruit de l'expérience des industriels les plus éminents, il lèvera les difficultés, peu nombreuses d'ailleurs, qu'elle a soulevées.
Deux lois qui intéressent
la loyauté des transactions, l'une sur les marques de fabrique, et l'autre sur le dévidage métrique, vous seront soumises dans le cours de la session.
La loi des brevets d'invention de 1844 appelle quelques modifications nécessaires pour assurer aux droits des inventeurs une garantie plus efficace : elles vous seront proposées.
L'Assemblée nationale est saisie de trois projets de loi : l'un présenté le 15 mars 1850, propose de réformer le régime commercial de l'île de la Réunion dans un sens plus libéral et mieux approprié aux nouveaux éléments d'échange qu'il importe de développer entre notre colonie et les contrées de l'Asie orientale.
Le second projet de loi, préparé par les départements du commerce et de la guerre, et soumis le 1er mai à l'Assemblée, a pour objet de régler, sur des bases plus libérales, le régime commercial et éconimique de l'Algérie. Il doit, dans la pensée du Gouvernement, imprimer au progrès de la colonisation une impulsion décisive.
Enfin, le trosième projet de loi, qui vous a été apporté le 12 juillet, concerne le tarif des sucres. Sans méconnaître les difficultés d'une solution définitive,
le Gouvernement a pensé qu'en dégrèvant, dans une forte proportion, l'impôt qui pèse sur le consommateur, et en remplaçant par une taxe suffisamment protectrice le droit prohibitif qui repousse encore le sucre étranger, il concilierait avec équité l'intérêt populaire, qui réclame le sucre à bas prix, avec les intérêts de la production indigène ou coloniale, ceux de la marine marchande et ceux du Trésor.
La solution définitive de ces trois questions appartient complètement aujourd'hui au vote de l'Assemblée.
D'autres améliorations sont prêtes : le département du commerce, après s'être éclairé des lumières d'une commission spéciale, a préparé un projet de loi sur l'allocation des primes destinées à l'encouragement des grandes pêches. La loi expire au 31 décembre 1851.
A l'intérieur, par l'ouverture de nouveaux bureaux de douane, par la création de nouveaux entrepôts, par la simplification des formalités de transit, par l'application opportune du régime de l'admission temporaire, l'administration s'est efforcée d'ajouter de nouvelles facilités aux échanges de la France avec l'étranger.
Le département du commerce a pris toutes les mesures nécessaires pour que les produits de l'industrie française figurassent avec honneur à l'exposition universelle qui doit avoir lieu à Londres en 1851.
Dans l'intérêt de notre marine marchande, une enquête, analogue à celle de 1824, sera ouverte prochainement, et permettra de constater tous les besoins. Les armateurs la réclament et le Gouvernement la désire. Elle ne demeurera pas stérile.
Parmi les institutions de prévoyance qu'il est dans l'intention et dans le volonté du Gouvernement de développer, les sociétés de secours mutuels et la caisse des retraites fondée par l'Etat se placent au premier rang.
Une enquête, qui se poursuit avec activité, rendra compte du nombre de sociétés de secours mutuels déjà existantes en France et des services qu'elles rendent. Elle amènera la formation d'une table exacte des chances de maladie correspondantes à chaque âge. En attendant, rien n'est négligé pour provoquer la création de ces institutions sur des bases en rapport avec la pensée du législateur, et le Gouvernement peut se féliciter du concours que lui ont prêté dans cette circonstance tous les chefs d'industrie, et en particulier ceux de Lyon et de Mulhouse, qui ont donné le plus noble exemple.
Les mesures quarantenaires fournissent au Gouvernement les moyens de garantir la santé publique des dangers du dehors ; mais leur exagération entraîne des entraves pour la liberté de nos relations internationales. Les principes restrictifs sur la matière, admis par les Puissances étrangères, causent de grands dommages au commerce français, sans réciprocité possible de notre part, nos réglements étant généralement dictés par un esprit libéral. Un accord entre les grandes Puissances qui ont des ports sur la Méditerranée ferait cesser les entraves et les pertes de temps et d'agent qui en résultent. Tous nos efforts tendent à l'obtenir.
Justice
L'Assemblée nationale est encore saisie de trois projets de lois essentielles.
Sur l'organisation judiciaire ;
Sur l'assistance judiciaire ;
Sur les hypothèques.
La première remplit une des obligations imposées par la Constitution. Les deux autres réalisent des promesses contenues dans le Message du 6 juin 1849.
Mais la loi sur les hypothèques ne suffirait pas à l'établissement du crédit foncier ; elle donne de la solidité au gage territorial, mais elle accélère fort peu la liquidation et ne fait pas cesser les plaintes unanimes qui accusent de lenteur le réglement des créances hypothécaires.
L'administration de la justice, pour compléter son oeuvre, a préparé un nouveau projet de loi sur la distribution, par voie d'ordre, du prix des immeubles, en conciliant, autant qu'elle a pu le faire, la promptitude avec la sécurité.
L'attention de l'Assemblée nationale sera appelée, en même temps, sur les projets de loi relatifs à la réhabilitation des condamnés, soit à la répression des crimes et délits commis à l'étranger par des Français, soit à quelques autres parties importantes de notre législation pénale.
Six mille condamnés, renfermés dans nos bagnes de Toulon, de Brest et de Rochefort, grèvent notre budget d'une charge énorme, se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société. Il a semblé possible de rendre la peine des travaux forcés plus efficace, plus moralisatrice, moins dispendieuse, et, en même temps, plus humaine, en l'utilisant aux progrès de la colonisation française. Un projet de loi vous sera présenté sur cette question.
On proposera, en même temps, de rendre plus utile et plus réelle la surveillance à laquelle sont assujettis les malfaiteurs que la justice a frappés d'une peine afflictive et infamante.
Le nombre des délits et crimes commis, chaque année, atteste combien est indispensable l'amélioration de notre législation répressive. Or, ces modifications, qui préparent la réforme pénitentiaire, la rendront moins dispendieuse et diminueront la fréquence des récidives. Elles contribueront aussi à l'oeuvre de justice et de moralisation que la magistrature continue avec un dévouement si impartial et une si vigilante fermeté.
Instruction publique et Cultes
L'article 9 de la Constitution prescrivait d'introduire dans l'enseignement la liberté de la concurrence, sous certaines conditions de capacité et de moralité, et sous la surveillance de l'Etat. Deux mesures ont préparé la loi qui a opéré cette réforme radicale : la première est l'abolition du certificat d'études ; la seconde, la loi transitoire concernant la nomination et la révocation des instituteurs primaires. L'une de ces mesures a mis un terme à d'anciennes et vives réclamations ; l'autre, d'après les rapports unanimes des préfets, a porté les plus heureux fruits.
La loi importante du 15 mars 1850 entraînait un remaniement considérable du personnel ainsi que des règlements nouveaux. Plusieurs mois ont été consacrés à ce double travail. Le premier est presque achevé. Divers décrets, élaborés avec le concours du Conseil d'Etat, ont pourvu aux exigences réglementaires les plus pressantes. D'autres projets sont à l'étude. Tout annonce qu'en général les dispositions de la nouvelle loi réaliseront les espérances du Gouvernement et de l'Assemblée.
L'administration des cultes a obtenu du Saint-Siège, après de lentes négociations, une mesure réclamée depuis longtemps : l'érection de trois évêchés coloniaux et la nomination de trois prélats pour la Martinique, le Guadeloupe et l'île de la Réunion.
Dans le même consistoire, le souverain pontife a proclamé trois nouveaux cardinaux accordés à l'Eglise de France comme un témoignage éminent de reconnaissance envers notre pays, et d'estime pour l'épiscopat français.
Guerre
L'effectif de l'armée de terre, qui, au mois de juin 1849, s'élevait à 451 000 hommes et 93 754 chevaux, n'est plus aujourd'hui que de 396 000 hommes et de 87 400 chevaux, et bientôt il rentrera complètement dans les limites budgétaires, où il sera maintenu, si les circonstances politiques nous le permettent. Son organisation ne sera définitive qu'après l'adoption des projets de loi des cadres soumis le 19 juin dernier. Divers essais ne sont pas moins tentés ou à l'étude pour augmenter le bien-être du soldat, diminuer les non-valeurs dans les corps et modifier le contrôle administratif.
J'appelle de nouveau vos méditations sur les projets de loi qui vous sont présentés et qui peuvent améliorer la position des officiers, sous-officiers et soldats.
L'Algérie avait beaucoup souffert des événements poliqtiques de 1848. La diminuation notable qu'a éprouvée l'effectif de nos troupes n'a pas empêché notre brave armée de faire face à tous les dangers. Zaatcha, pris après des prodiges de valeur, Bouçada soumis, consolident l'oeuvre de pacification.
Dans la province de Constantine une colonne parcourt, aux mois de mai et de juin, le pays conquis entre Sétif et Bougie ; les Béni-Immel sont culbutés par le brave et infortuné général de Barral, et, quelques jours après, les Béni-Meral. Dans le sud, l'Aurès a été visité plusieurs fois par notre troupes ; la soumission des Nemencha assure à nos marchés un approvisionnement important, et la nouvelle organisaion de ces contrées nous ouvre une voie dans l'intérieur de l'Afrique.
La tranquillité de la province d'Alger permet la continuation des travaux commencés ; les populations ont beaucoup souffert de la disette ; l'autorité militaire est venue à leur secours par tous les moyens possibles.
La tranquillité a été maintenue dans la province d'Oran ; partout, grâce à l'intelligence des officiers de nos bureaux arabes, les indigènes apprécient chaque jour davantage la justice de notre administration.
L'oeuvre de la colonisation se continue ; les 42 colonies agricoles, distribuées dans nos trois provinces, pourront former, avec le temps, de beaux établissements. Une population européenne de 115 000 habitants, répandus dans 133 villes ou villages, 11 000 colons concessionnaires ayant élevé des constructions dont la valeur actuelle est de 14 millions, attestent un progrès qui, je l'espère, ne se ralentira pas.
Nos voies de communication comprennent une étendue de 5350 kilomètres.
L'insalubrité disparaît chaque jour
; près de 8 000 hectares de marais ont été desséchés. En même temps, la fécondité s'est accrue par le creusement de 250 000 mètres de canaux d'irrigation et de 75 000 rigoles ; 11 600 mètres d'acqueducs ou de conduits amènent les eaux dans nos villes. Enfin, près de 900 édifices de toute nature ont été élevés jusqu'à ce jour.
Les importants travaux du port d'Alger se continuent avec activité.
L'administration est arrivée à la connaissance d'une quantité considérable de gisements minéralogiques qui contribueront prochainement à la richesse de l'Algérie et de la Métropole.
La culture du tabac, du mûrier, du nopal à cochenilles, du coton, de la garance, prend de grands développements ; le commerce des laines s'élève déjà à 36 millions, celui des peaux à 24 millions.
Enfin, d'immenses travaux de défense, des casernes pour 40 000 hommes, des hopitaux pour 5 000 malades, garantissent la sûreté de notre conquête et le bien-être de notre armée, aux fatigues incessantes de laquelle revient la plus grande part dans tous les travaux dont nous venons de parler.
L'Etat ne négligera rien pour arriver à la prospérité de la colonie.
Marine
La marine a été maintenue sur un pied respectable, malgré les réductions commandées par le budget.
Les étrangers ont rendu hommage à la belle organisation de notre flotte réunie à Cherbourg.
Cependant, notre force maritime ne se compose que de 125 bâiments, au lieu de 235 que nous avions en activité en 1848. Elle emploie 22 561 hommes, au lieu de 29 331 portés sur les cadres de la même année.
L'effectif actuel ne suffit qu'imparfaitement à la protection des intérêts français engagés sur tous les points du globe.
L'esprit de nos marins est excellent, leur dévouement à toute épreuve.
Les ouvriers de nos arsenaux, éclairés par l'expérience, ont repris leurs travaux avec activité, et nous en pouvons signaler d'importants :
A Cherbourg; la digue, le nouvel arsenal, le fort des Flamands, le creusement de l'arrière-bassin ;
A Toulon, le curage de la rade, dont la cinquième partie est déjà terminée ;
A Oléron, l'élévation du fort Bayard pour protéger la rade de l'île d'Aix ;
A Port-Vendres, tout ce qui est nécessaire pour offrir un sûr refuge à la flotte ;
A Marseille, le nouveau bassin.
En attendant les résultats de l'enquête, l'administration a dû différer toute réforme radicale dans les diverses branches de l'administration si complexe du département de la marine.
Cependant, par décret du 16 janvier 1850, le conseil d'amirauté a été constitué de manière à assurer tous les corps de la marine les garanties données aux officiers de la flotte.
Le régime pénal de la marine a été soumis à une révision approfondie : cet important travail, réclamé depuis longtemps par les marins et les jurisconsultes, vous sera soumis dans un temps peu éloigné.
L'ordonnance sur le service à la mer va recevoir incessamment des modifications qui ajouteront les progrès accomplis aux principes immuables de la discipline.
Dans les colonies des Antilles, après les désastres dont le résultat n'a pas été aussi funeste qu'on pouvait le redouter, si l'on considère la gravité de la brusque épreuve de transformation sociale qu'elles ont subie, le calme est rétabli, et le Gouvernement est fermement résolu à le maintenir par une administration énergique, qu'il saura concilier avec l'apaisement des divisions de castes.
La décroissance sensible de la production est un fait inconstestable, mais qui peut s'expliquer, en partie, par l'effet des saisons et par la situation gênée des propriétaires, sans qu'il faille encore en rien conclure de défavorable à l'avenir du travail libre. Rien n'est négligé pour améliorer la situation morale et matérielle dans nos possessions coloniales. Organisation politique, justice, administration, banques, colonisation, tout a été soumis à l'examen d'hommes éminents, et deviendra l'objet de plusieurs projets de loi successifs.
Notre colonie de la Réunion, exempte de troubles, n'aurait pas vu décroître sa remarquable prospérité, si deux ouragans successifs n'y avaient porté assez récemment la dévastation.
Sur la côte occidentale d'Afrique, notre commerce se signale par des progrès auxquels prennent une part intéressante nos établissements du Sénégal, de Gorée, et nos comptoirs échelonnés jusqu'à l'équateur.
A Taïti, le maintien de notre protectorat conserve, dans l'Océanie, un point d'appui pour nos missions, ainsi que pour notre marine militaire et marchande.
Affaires étrangères
Depuis mon dernier Message, notre politique extérieure a obtenu en Italie un grand succès. Nos armes ont renversé à Rome cette démagogie turbulente qui, dans toute la péninsule italienne, avait compromis la cause de la vraie liberté, et nos braves soldats ont eu l'insigne honneur de remettre Pie IX sur le trône de Saint-Pierre. L'esprit de parti ne parviendra pas à obscurcir ce fait mémorable, qui sera une page glorieuse pour la France. Le but constant de nos efforts a été d'encourager les intentions libérales et philantropiques du Saint-Père. Le pouvoir pontofocal poursuit la réalisation des promesses contenues dans le motu proprio du mois de septembre 1849. Quelques-unes des lois organiques ont déjà été publiées, et celles qui doivent compléter l'ensemble de l'organisation administrative et militaire dans les Etats de l'Eglise ne tarderont pas à l'être. Il n'est pas inutile de dire que notre armée, nécessaire encore au maintien de l'ordre à Rome, l'est aussi à notre influence politique, et, après s'y être illustrée par son courage, elle s'y fait admirer par sa discipline et sa modération.
Sur les points divers où notre diplomatie a eu à intervenir, elle a noblement maintenu la dignité de la France, et nos alliés n'ont jamais en vain réclamé notre appui.
C'est ainsi que, de concert avec l'Angleterre, nous avons envoyé des forces navales dans le Levant, afin de montrer notre loyale sympathie pour l'indépendance de la Porte, qui pensait que la Russie et l'Autriche voulaient y porter atteinte en demandant, en vertu d'anciens traités, l'extradition des sujets hongrois et polonais réfugiés sur le territoire turc. Grâce à la sagesse que ces Puissances ont apportées dans les négociations, l'intégrité des droits de l'empire Ottoman a été sauvegardée.
En Grèce,
dès que nous avons appris les voies de fait par lesquelles l'Angleterre appuyait ses réclamations, nous sommes intervenus par nos bons offices. La France ne pouvait rester indifférente au sort d'une nation à l'indépendance de laquelle elle avait tant contribué : elle n'hésita pas à offrir sa médiation. Malgré les difficultés élevées durant le cours des négociations, nous parvînmes à adoucir les conditions imposées au gouvernement d'Athènes, et nos relations avec la Grande-Bretagne reprirent de suite leur caractère accoutumé.
En Espagne, nous avons vu avec plaisir les liens qui unissent les duex pays se resserer par la sympathie mutuelle des deux Gouvernements. Aussi, dès que le Gouvernement français apprit la criminelle attaque dirigée par des aventuriers contre l'île de Cuba, nous envoyâmes de nouvelles forces au commandant de la station des Antilles, avec injonction d'unir ses efforts à ceux des autiorités espagnoles pour prévenir le retour de semblables tentatives.
Le Danemark excite toujours notre plus vive sollicitude. Cet ancien allié, qui eut tant à souffrir de sa fidélité à la France, lors de nos désastres, n'a pas encore, malgré la bravoure de son armée, dompté l'insurrection qui a éclaté dans le duché de Holstein. L'armistice du 18 juillet 1849 avait été reconnu par l'intérim de Francfort, qui avait chargé la Prusse de traiter au nom de l'Allemagne. Après de laborieuses négociations, un traité fut signé le 2 juillet, sous la médiation de l'Angleterre, entre le Danemark et la Prusse. Ce traité, ratifié d'abord par le cabinet de Berlin et ses alliés, vient de l'être par l'Autriche et les Puissances représentées à l'Assemblée de Francfort. Pendant que ces négociations se poursuivaient en Allemagne, les Puissances amies du Danemark ouvraient des conférences à Londres, à l'effet de sauvegarder l'intégrité des Etats du roi de Danemark telle qu'elle a été garantie par les traités. Si les démarches des Puissances alliées n'ont point encore réussi à mettre un terme à la lutte engagée dans le nord de l'Allemagne, elles ont au moins obtenu l'heureux résultat d'amoindrir les proportions de la guerre, qui n'existe plus aujourd'hui qu'entre le roi de Danemark et des provinces insoumises.
Nous insisterons encore
auprès du roi de Danemark, afin qu'il assure, par des institutions, les droits des duchés ; d'un autre côté, nous lui donnerons tout l'appui qu'il est en droit d'exiger de nous en vertu des traités et de notre ancienne amitié.
A milieu des complications politiques qui divisent l'Allemagne, nous avons observé la plus stricte neutralité. Tant que les intérêts français et l'équilibre de l'Europe ne seront pas compromis, nous continuerons une politique, qui témoigne de notre respect pour l'indépendance de nos voisins.
Aussitôt après le vote de l'Assemblée nationale sur le subside de Montevideo, le Gouvernement reprit à Buenos-Ayres les négociations pendantes. Il s'aissait de faire apporter aux traitéx conclus en 1849 les modifications jugées indispensables pour garantir efficacement l'indépendance de la république Orientale, protéger les intérêts français sur l'Uruguay et sauvegarder l'honneur national. Nous espérons terminer utilement et honorablement les complications regrettables qui, depuis si longtemps, ont interrompu les bonnes relations entre la France et les républiques de la Plata.
Nos relations commerciales et maritimes avec les pays étrangers se consolident et se développent.
Le gouvernement anglais a étendu de fait, dès le 1er janvier 1850, au pavillon français, le bénéfice des dispositions du nouvel acte de navigaion du 26 juin 1849. Il vient, tout récemment, de supprimer les taxes différencielles pour l'exportation des houillles.
Nous espérons que les négociations aujourd'hui pendantes, pour le nouveau traité de navigation et de commerce avec la Grande-Bretagne, aboutiront prochainement à un arrangement conforme aux intérêts des deux pays.
Le traité conclu avec la Belgique, le 7 novembre 1849, est en vigueur depuis un an à peine, et déjà les deux pays en ont recueilli les résultats les plus avantageux.
Quelques difficultés de détail, relatives aux articles additionnels de la convention avec le Chili, sanctionnée par la loi du 15 mars 1851, en retardent l'exécution ; elles seront bientôt levées.
Une nouvelle convention a été signée à Paris, le 3 août dernier, entre la France et la Bolivie ; elle sera soumise à la sanction législative après l'approbation du gouvernement bolivien.
Les négociations activement suivies avec le cabinet de Turin, pour le renouvellement de la convention du 28 août 1843, viennent d'être terminées par un traité de commerce et de navigation.
L'abus, trop longtemps toléré, de la contre-façon littéraire et artistique est le sujet de nombreuses négociations. La plupart des Cabinets, auxquels ont été proposés des arrangements internationaux, pour mettre un terme à cet abus, les ont accueillis du moins en principe. Déjà même, la Sardaigne vient de signer avec la France, pour la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique, une convention qui donnera plus d'effet aux traités de 1843 et de 1846.
Je puis donc dire sans présomption : la position de la France, en Europe, est digne et honorable. Partout où sa voix se fait entendre, elle conseille la paix, protège l'ordre et le bon droit ; partout, aussi, elle est écoutée.
Résumé
Tel est, Messieurs, l'exposé rapide de la situation de nos affaires. Malgré la difficulté des circonstances, la loi, l'autorité ont recouvré à tel point leur empire, que personne ne croit désormais au succès de la violence. Mais aussi, plus les craintes sur le présent disparaissent, plus les esprits se livrent avec entraînement aux préoccupations de l'avenir. Cependant la France veut avant tout le repos. Encore émue des dangers que la société a courus, elle reste étrangère aux querelles de partis ou d'hommes, si mesquines en présence des grands intérêts qui sont en jeu.
J'ai souvent déclaré, lorsque l'occasion s'est offerte d'exprimer publiquement ma pensée, que je considérais comme de grands coupables ceux qui, par ambition personnelle, compromettaient le peu de stabilité que nous garantit la Constitution. C'est ma conviction profonde. Elle n'a jamais été ébranlée. Les ennemis seuls de la tranquillité publique ont pu dénaturer les plus simples démarches qui naissent de ma position.
Comme premier magistrat de la République, j'étais obligé de me mettre en relations avec le clergé, la magistrature, les agriculteurs, les industriels, l'administration, l'armée, et je me suis empressé de saisir toutes les occasions de leur témoigner ma sympathie et ma reconnaissance pour le concours qu'ils me prêtent ; et surtout, si mon nom, comme mes efforts, a concouru à raffermir l'esprit de l'armée, de laquelle je dispose seul, d'après les termes de la Constitution, c'est un service, j'ose le dire, que je crois avoir rendu au pays, car j'ai toujours fait tourner au profit de l'ordre mon influence personnelle.
La règle invariable de ma vie politique sera, dans toutes les circonstances, de faire mon devoir, rien que mon devoir.
Il est aujourd'hui permis à tout le monde, excepté à moi, de vouloir hâter le révision de notre loi fondamentale. Si la Constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes tous libres de les faire ressortir aux yeux du pays. Moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées.
Les conseils généraux ont en grand nombre émis le voeu de la révision de la Constitution. Ce voeu ne s'adresse qu'au Pouvoir législatif. Quant à moi, élu du peuple, ne relevant que de lui, je me conformerai toujours à ses volontés légalement exprimées.
L'incertitude de l'avenir fait naître, je le sais, bien des appréhensions, en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la patrie le sacrifice de ces espérances, et ne nous occupons que de ses intérêts. Si, dans cette session, vous votez la révision de la Constitution, une Constituante viendra refaire nos lois fondamentales et régler le sort du Pouvoir exécutif. Si vous ne la votez pas, le peuple, en 1852, manifestera solennellement l'expression de sa volonté nouvelle. Mais, quelles que puissent être les solutions de l'avenir, entendons-nous, afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d'une grande nation. Inspirons au peuple l'amour du repos, en mettant du calme dans nos délibérations ; inspirons-lui la religion du droit, en ne nous en écartant jamais nous-mêmes ; et alors, croyez-le bien, le progrès des moeurs politiques compensera le danger d'institutions créées dans des jours de défiances et d'incertitudes.
Ce qui me préoccupe surtout, soyez-en persuadés, ce n'est pas de savoir qui gouvernera la France en 1852 ; c'est d'employer le temps dont je dispose, de manière que la transition, quelle qu'elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble.
Le but le plus noble et le plus digne d'une âme élevée n'est point de rechercher, quand on est au pouvoir, par quels expédients on s'y perpétuera, mais de veiller sans cesse aux moyens de consolider, à l'avantage de tous, les principes d'autorité et de morale, qui défient les passions des hommes et l'instabilité des lois.
Je vous ai loyalement ouvert mon coeur ; vous répondrez à ma franchise par votre confiaance, à mes bonnes intentions par votre concours, et Dieu fera le reste.
Recevez, Messieurs, l'assurance de ma haute estime.
Louis-Napoléon Bonaparte
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