année 1854
26 décembre 1854
Ouverture du Corps législatif, session de 1855
Messieurs les Sénateurs, Messieurs les Députés,
Depuis votre dernière réunion, de grands faits se sont accomplis. L'appel que j'ai adressé au pays pour couvrir les frais de la guerre a été si bien entendu, que le résultat a même dépassé mes espérances. Nos armes ont été victorieuses dans la Baltique comme dans la mer Noire. Deux grandes batailles ont illustré notre drapeau. Un éclatant témoignage est venu prouver l'intimité de nos rapports avec l'Angleterre. Le Parlement a voté des félicitations à nos généraux et à nos soldats. Un grand empire, rajeuni par les sentiments chevaleresques de son souverain, s'est détaché de la Puissance qui depuis quarante ans menaçait l'indépendance de l'Europe. L'empereur d'Autriche a conclu un traité defensif aujourd'hui, offensif bientôt peut-être, qui unit sa cause à celle de la France et de l'Angleterre.
Ainsi, messieurs, plus la guerre se prolonge, plus le nombre de nos alliés augmente, et plus se resserrent les liens déjà formés. Quels liens plus solides, en effet, que des noms de victoires appartenant aux deux armées et rappelant une gloire commune, que les mêmes inquiétudes et le même espoir agitant les deux pays, que les mêmes vues et les mêmes intentions animant les deux Gouvernements, sur tous les points du globe ! Aussi l'alliance avec l'Angleterre n'est-elle pas l'effet d'un intérêt passager et d'une politique de circonstance ; c'est l'union de deux puissantes nations associées pour le triomphe d'une cause dans laquelle, depuis plus d'un siècle, se trouvent engagés leur grandeur, les intérêts de la civilisation en même temps que la liberté de l'Europe. Joignez-vous donc à moi, en cette occasion solennelle, pour remercier ici, au nom de la France, le Parlement de sa démonstration cordiale et chaleureuse, l'armée anglaise et son digne chef de leur vaillante coopération.
L'année prochaine,
si la paix n'est pas encore rétablie, j'espère avoir les mêmes remercîments à adresser à l'Autriche et à cette Allemagne dont nous désirons l'union et la prospérité.
Je suis heureux de payer un juste tribut d'éloges à l'armée et à la flotte, qui, par leur dévouement et leur discipline, ont, en France comme en Algérie, au Nord comme au Midi, dignement répondu à mon attente.
L'armée d'orient a, jusqu'à ce jour, tout souffert et tout surmonté. L'épidémie, l'incendie, la tempête, les privations, une place sans cesse ravitaillée, défendue par une artillerie formidable de terre et de mer, deux armées ennemies supérieures en nombre, rien n'a pu affaiblir son courage, ni arrêter son élan. Chacun a noblement fait son devoir, depuis le maréchal qui a semblé forcer la mort à attendre qu'il eût vaincu, jusqu'au soldat et au matelot, dont le dernier cri en expirant était un voeu pour la France, une acclamation pour l'Elu du pays. Déclarons-le donc ensemble, l'armée et la flotte ont bien mérité de la patrie.
La guerre, il est vrai, entraîne de cruels sacrifices ; cependant tout me commande de la pousser avec vigueur, et, dans ce but, je compte sur votre concours.
L'armée de terre se compose aujourd'hui de 581 000 soldats et de 113 000 chevaux ; la marine à 62 000 matelots embarqués. Maintenir cet effectif est indispensable. Or, pour remplir les vides occasionnés par les libérations annuelles et par la guerre, je vous demanderai, comme l'année dernière, une levée de 140 000 hommes. Il vous sera présenté une loi qui a pour but d'améliorer, sans augmenter les charges du trésor, la position des soldats qui se rengagent. Elle procurera l'immense avantage d'accroître dans l'armée le nombre des anciens soldats, et de permettre de diminuer plus tard le poids de la conscription. Cette loi, je l'espère, aura bientôt votre approbation.
Je vous demanderai l'autorisation de conclure un nouvel emprunt naional. Sans doute, cette mesure accroîtra la dette publique ; n'oublions pas néanmoins que, par la conversion de la rente, l'intérêt de cette dette a été réduit de 21 millions et demi. Mes efforts ont eu pour but de mettre les dépenses au niveau des recettes, et le budget ordinaire vous sera présenté en équilibre ; les ressources de l'emprunt seules feront face aux besoins de la guerre.
Vous verrez avec plaisir que nos revenus n'ont pas diminué. L'activité industrielle se soutient, tous les grands travaux d'utilité publique se continuent, et la Providence a bien voulu nous donner une récolte qui satisfait à nos besoins. Le Gouvernement, néanmoins, ne ferme pas les yeux sur le malaise occasionné par la cherté des subsistances ; il a pris toutes les mesures en son pouvoir, pour prévenir ce malaise, et pour le soulager il a créé dans beaucoup de localités de nouveaux éléments de travail.
La lutte qui se poursuit, circonscrite par la modération et la justice, tout en faisant palpiter les coeurs, effraye si peu les intérêts, que bientôt des diverses parties du globe se réuniront ici tous les produits de la paix. Les étrangers ne pourront manquer d'être frappés du saisissant spectacle d'un pays qui, comptant sur la protection divine, soutient avec énergie une guerre à six cents lieues de ses frontières, et qui développe avec la même ardeur ses richesses intérieures ; un pays où la guerre n'empêche pas l'agriculture et l'industrie de prospérer, les arts de fleurir, et où le génie de la nation se révèle dans tout ce qui peut faire la gloire de la France.
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