Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
1er avril 1816

J'ai déjà invité Gab... à dîner chez moi le 21. de ce mois, mon cher enfant, ce mois sera un anniversaire du jour qui m'a donné le seul vrai bonheur de ma vie, mais aussi, il me rappellera ces fêtes où je te chantais, où je te donnais un concert de chants, où j'étais si gaie, si heureuse, que ma figure brillait de joie ; oh ! ils sont passé ces bienheureux moments. Reviendront-ils ? J'aime à l'espérer, sans quoi j'aimerais mieux mourir. Cependant, ma véritable fête à l'avenir sera charmée aux anniversaires du jour qui nous réunira.
M. Luttrell m'a envoyé une lettre de toi où tu m'écrivais que la personne qui devait me donner des commissions était à la campagne. Je suppose que c'est celle que François avait portée chez lui et qu'il aura retrouvé dans quelque paquet. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas revenu me voir depuis. Apparemment, il est honteux.
Je suis très aise que cet ancien ami soit bien pour nous. Je ne m'en flattais pas, et il est toujours consolant de trouver au moins un souvenir où l'on voulait donner un sentiment d'affection et de dévouement.
Tu parles de ton départ. Je sais qu'Henriette va elle aux eaux de Baden et j'aimerais fort que tu ne la rejoignes pas avant qu'elle fut retournée dans sa solitude. Ton arrivée fera nouvelle ici, lui nuira dans sa famille , nous fera vraisemblablement surveiller et peut-être renvoyer d'ici. Moi, si l'on me mettait sur une raquette et que l'on m'envoie d'un seul coup vers toi, j'en serais fort satisfaite, mais l'éditeur du Camoëns en mourrait, cela est certain. Si tu n'as pas l'idée de revoir là son frère, ne pourrais-tu prolonger jusqu'après la saison des eaux ? C'est là seulement où les oisifs feront mille contes, et les mais, les si, les car, achèveront de lui nuire, te fermeront ton pays, nous en banniront peut-être. Si tu y as des affaires, bien ; Si c'est pour la voir, attends qu'elle soit revenue dans sa retraite, alors peu de gens le sauront et moins encore en parleront. D'ailleurs, avant de quitter le pays où tu es, assure-toi bien que le maître du lieu t'y recevra d'abord, et t'y laissera. Enfin pense à tout, pour tout prévoir et après, si malgré ces précautions il en arrive inconvénient, sois sûr que je t'approuverai et te défendrai envers et contre tout. Je le ferai même si tu te laisses emporter sans réflexion.
Il y a eut hier une grande revue de la Garde Royale au Champ de Mars, la cavalerie et l'artillerie superbes, les soldats peu animés, le peuple silencieux, les officiers s'égosillant, surtour Emmanuel Le Couteux (?) et M de la Roche Jaquelin ; c'était leur devoir et il l'ont rempli.
Moi qui prétends à juger hommes et choses comme une partie d'échecs, je fais mes petites observations et ne considère que les lignes droites de chacun.
Le duc de Wellington n'a pas assisté à cette revue, et n'y était point invité, cela est sûr. Les Princes et Madame y étaient . Le Roi est toujours avec la goutte dans sa chambre. Tu as grandement raison sur la lettre du duc de W...
Le général Ravat (?) a sa grâce, Debel aussi. On espère qu'il y aura encore des jugements , mais plus d'exécutions. Dieu veuille que ces espérances se réalisent.
Tes chevaux vont fort mal , tu peux en être sûr et je te conseillerais bien de les vendre.

Lord W. a-t-il payé les 3 qui sont ici ? Et la lettre de change de la duchesse m'arrivera-t-elle enfin ? Et ta demande de congé, veux-tu que je la fasse ? Réponds donc , enfin, réponds-moi ! Lady Holland a-t-elle reçu mon chiffon de robe ?
Aug... se porte à merveille, il mange comme un petit démon, il joue, il grandit, n'a plus peur de rien, veut monter tout seul à cheval et quand on s'y réfère , il dit : Est-ce que mon ami Charles ne reviendra pas ?
Hier, Firmin Didot (il n'y avait que lui) qui nous imprime, est venu dîner avec nous ; après dîner, il nous a récité des vers qu'il a traduit du grec. Le petit était sur les genoux de papa, il écoutait de tous ses yeux avec une attention incroyable. Vers le milieu de ces vers, il y en a eu deux d'une mère à son enfant, où il était question de loup garou. Auguste s'est écrié : Redites cela ! ce qui prouvait bien qu'il avait compris. Tu conviendras que c'est assez fort à cet âge.
Voici une lettre pour tes petites .
Nonore est arrivée. Sa grand-mère est bien mal d'une fièvre maligne. S'il ne fallait que ma signature pour son passeport dans l'autre monde, je la lui donnerais volontiers. Ach... est d'une douceur, d'une patience, admirables.
... Duverney pleure toute la journée.
Adieu cher et bien cher ami. Voici une épigramme que l'en a fait son maître Bellord :
"Nous mourons tous pour revivre plus tard
Ainsi dit Pythagore de sa secte docile
Voilà pourquoi sous les traits de Bellord
Nous retrouvons Foulquier Tainville."
Je voudrais qu'il sente que c'est comme en Albion et si chacun croyait être jugé suivant ses oeuvres, il serait meilleur, du moins en apparence.
Le duc de Richelieu , M. de Cases font toujours autant de bien qu'ils le peuvent. La belle-fille de M. de Beauveau est accouchée hier d'un garçon, c'est une grande joie dans cette famille. Je t'embrasse encore de toute mon âme.



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité