Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 décembre 1815
Mon enfant, dorénavant je numéroterai mes lettres afin d'être bien sûre qu'il ne t'en manque pas. Fais-en de même. C'est le 16, sainte Adélaïde, je passerai ce jour bien triste et bien seule. Tu... du souvenir bien gai et bien heureux. Et pour cela, oui je ne veux regarder que le passé, je craindrais de voir l'avenir. Mlle Le Normand que j'ai été consultée hier, m'a cependant dit que d'ici au mois de mars j'aurai trois grands chagrins que je surmonterai, une maladie dont je reviendrai d'ici à 2 ans ! mais que du 23 mars au 9 d'août, j'aurai un très beau changement de position et une position visiblement durable. H élas, en écoutant cette sorcière, si je ne t'avais pas eu, si tu n'étais pas tout mon avenir, si depuis bien longtemps je n'avais pas sauté par-dessus moi pour ne m'occuper que de toi, j'aurai dit comme cette vieille de Marmontel qui avaitété aussi consulter les devins :
De l'avenir point de nouvelles
Ils ne m'ont dit que le passé
Les plaisirs d'un âge avancé
Sont les plaisirs qu'on se rappelle
Encore de toutes ces années, il n'y a que ton enfance, que toi, sur qui je reviens sans amertume, sans mécompte ; tu as toujours été parfait pour moi ; et si j'ai des regrets, c'est de n'avoir pas mieux prévu plus fait encore pour ton bonheur, au lieu que les amis soutiennent difficilement les retours sur le passé.
C'est aujourd'hui que l'on juge l'appel en Cassation de ce pauvre Lavalette. Son avocat a bien peu d'espoir et je n'en ai aucun. Quels regret ! C'est là un de ses amis qui peuvent soutenir le microscope (?) Drouot est triste, mais résigné à son sort, donc il n'espère rien. Mme de Castiglione qui veut que je te dise mille choses, pour elle, me faisait observer l'autre jour que tout ce qui avait porté le titre de maréchal d'Empire avait péri de mort violente, Murat, Berthier, Brune , Ney, et pour Bessières, Lannes, et l'on peut y mettre ce pauvre Duroc , il n'y a point là de fin entourée d'amis, de parents, de soins ni de larmes. Tout est terrible !
Mon enfant, je te quitte, car je suis bien triste, je te reprendrai quand j'aurai un peu chassé ces idées noires.
Je te reprends pour te dire que le gt provisoire d'... Baude avait fait leur marché avec le Roi par l'entremise de Vitrolles, avant de signer la capitulation de Paris. Tout finit par se savoir .
Mais venons à toi. Prends bien garde en Angleterre de jouer avec ton esprit, de faire comme ce pauvre M. de Narbonne, qui ne parlait qu'en contre-vérités que l'on prenait pour de véritables sentiments (Même en riant, et l'on en pensait beaucoup de mal) Ne dis jamais du mal de toi, car on le prendrait au pied de la lettre. Enfin, que toutes ces paroles te fassent estimer autant que tes actions.
A demain, cher ami.
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