Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 novembre 1816
Mon bon et cher enfant je suis désolée que tu aies été si inquiet de moi , me voilà tirée de peine, je suis mieux, je sors, je recommencerai ce vilain remède dès que mon ami Hume sera revenu de Cambray . En tout, pour tout, je ferai, en absence tout ce que tu voudras, tout ce qu'il te plaira ; en présence c'est différent et je me regimbe un peu. Ah ! quand viendra le bien heureux moment où je te reverrai. A mon âge, perdre deux années de sa vie c'est affreux et c'est bien les perdre que de les passer sans te voir. Nous avons ici M. Canning avec un secrétaire du cabinet ce qui fait présumer qu'il y est pour quelque traité. Il est, disent les Anglais, plus royaliste que nos ministres. Il riait et excusait l'autre jour les excès des nismes (?) contre les protestants. Du reste, comme je ne sors jamais de ma maison que depuis la persécution que j'ai éprouvée, je n'ai pas fait une seule visite, car je détesterais que quelqu'un au monde put se croire du courage en me recevant ou pour dire : Je viens de voir cette pauvre Madame de ... Je ne sors ni ne sortirai. Enfin , je ne l'ai pas vu mais on croit que sa ... nous donnera le dernier coup d'épée.
Comment se porte Bobus (?) Et son fils se rétablit-il ? Dis-moi s'il est vrai que ton petit chou ... tout seul, je m'y intéresse beaucoup par tendresse, par faiblesse pour toi , mais ma dignité maternelle m'empêche d'en parler. Ainsi à cause de la sévérité de mon mari, réponds-moi oui, ou non, simplement.
As-tu reçu le fil rouge qui te marquait la taille d'Auguste ? A qui as-tu donné ton vase ? A-t-il été trouvé joli ? Lady H. a-t-elle reçu ses lampes, ses robes de soie ? Enfin réponds car rien ne m'est désagrable comme de ne pas savoir si mes commissions arrivent et si l'on en est content, c'est ma seule récompense de la peine que je me donne et il me la faut.
M. de Tall... a déclaré qu'il regarderait comme son ennemi personnel et qu'il ferait fermer la porte à quiconque verrait Mme de Tall...
Cet homme a une puissance de haine que je n'ai vue à qui que ce soit, tout s'est porté de ce côté-là ; encore si on l'avait fait jouer au volant des deux mains, comme Auguste, on pourrait s'entirer, mais le côté du coeur est si faible que je le crois paralysé.
Papa veut t'écrire un de ces jours la vie que nous menons sans son Camoëns ce serait à périr d'ennui et moi qui ne rêve qu'en Angleterre, je n'en tire par une habitude d'être loin de moi qui a fini d'éteindre le peu d'esprit qui m'était resté. Un partisan du ministère nous reprochait l'autre jour de trop aimer les Anglais. D'abord, ai-je dit, j'estime leurs lois, j'aime les individus, mais je ne les aimerais point que je les verrais toujours avec un plaisir qui va même jusqu'à l'émotion ; enfin si mon fils était à la Chine, j'aurais des magots sur ma cheminée, entendez-vous ? Alors on a vu qu'il n'y avait rien à me dire et qu'il fallait laisser cette folle pour ce qu'elle était ; ce mot pour ce qu'elle était me rappelle une petite femme de chambre qui avait eu un grand chagrin d'amour. Elle était bien triste et pour la guérir, je voulais la tourner du côté de la religion et lui demandai si elle était dévote. " - Ah ! madame ! Je l'ai bien été, je priais toute la journée, mais quand j'ai vu que Dieu ne faisait rien pour moi, je l'ai laissé pour ce qu'il était". J'admire toutes les belles histoires que je me suis disposée à te raconter.
Casimir revient-il ? S'est-il tiré avec honneur de la chasse au renard ? Fais mes compliments au Dr Holland. Dis-lui que j'irai en Angleterre tout exprès pour qu'il me guérisse mais que j'aimerais fort à lui laisser tout l'honneur de ce grand oeuvre , sans que je m'en mêlasse par un ennueux régime. Consent-il à ce marché ? Depuis cette dernière secousse, je ne bois que de l'eau, je ne mange que ce qu'il faut pour me soutenir, mais je commence à secouer mes oreilles ; cependant j'aurais toujours présent mon ami Charles , Auguste ne t'appelle pas autrement) et certes je mangerais bien du pain et de l'eau toute l'année pour te revoir un seul jour.
Adieu mon ami, mon enfant, mon frère, le seul bien de ma vie.
Voici des bandes de mousseline pour lady Holland. Il y en a 4, n'en perds pas. M. Horne (?) le frère a écrit de Lyon à M. Gallois que son frère partait pour l'Italie et que le voyage, loin de le fatiguer, lui avait fait du bien.
Adieu encore, l'âme de ma vie.
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