Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
30 septembre 1816
Ne crois point du tout mon cher ami que cette dissolution de la Chambre nous amène la paix, au contraire les partis sont plus en présence que jamais. Les ultras R. sont dans un état d'irritation et tiennent des propos sur le Roi dont tu ne te fais aucune idée. Ils écrivent, ils se remuent de toutes manières. Les Princes envoient des agents partout. Le ministère de son côté emploie les forces qu'a toujours le Gt. Mais si comme je le crains, la Chambre est composée en majorité d'ultras, il ne pourra résister, j'en suis désolée, car je serai toujours reconnaissante de la tranquillité qu'il m'a laissée. Ces élections sont fort à craindre parce que le ministère a laissé les 30 membres que le Roi avait adjoint l'année dernière aux collèges électoraux et qui étaient tous ultras. Enfin, je prévois de grands troubles.
Que les premiers froids donnent la goutte au R.. , voilà encore le ministère perdu car les partisans de l'héritier présomptif d'un Roi infirme et âgé ont leurs regards plus tournés vers le soleil levant surtout quand les successeurs de cet héritier manifestent les mêmes sentiments, les mêmes opinions que lui. Enfin cette pauvre France sera encore bien longtemps agitée.
On cite ici un mot bien topé de Mme de Staël au Prince royal de Wurtemberg. Il était à dîner avec elle chez le duc de Noailles en Suisse. Elle lui disait que les alliés s'étaient conduits sans générosité à leur dernière entrée à Paris. Il prenait fortement le parti des alliés, disait qu'on aurait dû brûler Paris, traitait Bonaparte de brigand et tout ce qu'il avait fait d'infâmie. Mon Dieu, lui dit-elle, si vous êtes si indigné contre ses oeuvres, que ne commencez-vous pas par renvoyer tous les Rois qu'il a faits ? Comme Monsieur son père en est, le Prince ne dit plus un mot du reste de la journée.
Le livre de Mr de Chateaubriand est défendu, mais à Etampes c'est la gendarmerie qui en a apporté 5 exemplaires la veille des élections. Cette gendramerie est toute dévouée aux ultras parce qu'en 1814, le Roi n'osant pas incorporer d'officiers vendéens dans l'armée, les place tous dans la gendarmerie, enfin le ministère a entrepris une grande lutte, Dieu veuille qu'il en sorte sans secousses publiques.
Adieu cher ami, tu sais que je n'existe que pour toi. Je suis toujours à chercher des anecdotes pour brillanter ta conversation. L'embarras est de te les envoyer car le courrier de l'ambassadeur est exact mais je crois peu sûr. Lorsque l'emp. Paul s'allia avec le 1er Consul, ils s'écrivirent. Paul ne voulait point commencer sa lettre par : général, qu'il trouvait trop inférieur , ni par citoyen premier consul qui lui paraissait un titre révolutionnaire. Après avoir bien rêvé il écrivit en vedette : grand homme, mon ami , j'ai lu cela chez l'impératrice Joséphine. Ce sera une anecdote perdue aujourd'hui, mais dont tu peux répondre.
Adieu encore, mon frère, mon ami. Le silence d'Henriette m'inquiète et m'afflige. Elle est bien malheureuse par sa position ; peut-être l'est-elle plus encore par sa défiance. Mais sa position excuse tout. Ecris lui toujours aussi exactement que si elle te répondait, je ne crois pas d'ailleurs que tu aies des amis près d'elle.
Cette lettre t'arrivera par une occasion, ne m'y répond pas.
Mon Dieu que je serais heureuse de te revoir !
Papa t'embrasse, il est tout à son Camoëns, se lève à 7 heures se couche avant onze, enfin mène la vie d'un bénédictin. Cet ouvrage lui coûtera 50 mille francs et le conduit à faire les trois voeux monastiques de charité, de pauvreté et de virginité.
Je t'embrasse.
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