Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
4 mars 1816

Je t'ai déjà écrit deux fois aujourd'hui, mais voici une occasion sûre et je puis te dire un très grand secret qui est que je t'aime de toute mon âme , mon très cher enfant.
Nonore est arrivée à Lyon à 5 h du soir, et à 8 h elle avait déjà vu son mari. Elle veut travailler à le faire ramener à Paris; je doute qu'elle y réussisse. Mais du moins parviendra-t-elle à adoucir son sort. Du reste, quelle petite femme courageuse. Elle reçu à Paris un billet ... crotté (?) qui lui disait que si elle voulait venir à 10 h 1/2 du soir dans une rue très écartée, monter au quatrième, elle trouverait quelque chose qui lui ferait plaisir ; elle savait son mari arrêté, elle a été bravement au rendez-vous, a trouvé une vieille femme, espèce de cuisinière qui, en effet, lui a remis une lettre de son mari dans laquelle il lui mandait qu'il était à Lyon au cachot. Sur ce, quoique grosse de 6 mois 1/2 elle s'est campée dans la diligence et la voilà arrivée. Si tu avais été arrêté, certes j'aurais été à cet appel, mais à froid je trouve qu'elle a eu un beau courage.
Je ne crois pas du tout ni au renvoi du ministère, ni à la dissolution des Chambres ; ma politique à moi est que le ministère laissera les Chambres renvoyer tous ses projets de lois, en faire d'autres, jusqu'à ce qu'elles aient voté un budget tant bon que mauvais et qu'alors on le prorogera, après quoi le ministère se croira ancré et gouvernera. Voilà ma politique à moi, mais ce n'est pas celle de personne.
Donne-moi de tes nouvelles souvent, parle-moi des gens que tu vois, donne-moi des commissions, occupe-moi de toi, c'est le plus grand plaisir que tu puisses me faire.
Je t'envoie de la part de Gabriel "le ministère du card. de Richelieu" , c'est un ouvrage qui a beaucoup de réputation ici et qui me paraît la mériter.
Adieu, cher et bien cher ami ! Quelle année nous venons de passer ! S'il m'en fallait labourer une seconde semblable, je préférerais me noyer. Parle de moi à lord et lady Holland ; dis-en un mot aussi à lady Jersey. Mme Descars a dit chez elle que monsieur allait épouser une portugaise et M. le duc de Berri une napolitaine, mais les consommations n'auront lieu qu'après les jeûnes du carême. Il faut bien se refaire devant Dieu et devant les hommes..
Le duc de Wellington devait partir samedi, puis demain, et aujourd'hui on dit que ce ne sera que la semaine prochaine sans indiquer le jour.

Adieu, cher, bien cher ami, papa est d'une faiblesse, d'une tendresse pour Auguste, dont tu ne peux te faire d'idées . Moi je suis une pédante qui fait de l'éducation toute la journée.
Ppetit Moreau te prie instamment de ne point penser à revenir ici avant un an.
Mon enfant, que je t'aime, je ne comprends pas comment je supporterai le jour de te revoir ! Ah, ce bonheur-là ne s'affaiblira point par l'attente ni par les émotions de coeur que j'éprouve rien qu'en y pensant, quoique Mme de Sévigné prétend que les longues espérances usent la joie comme les longues maladies usent la douleur ; elle oubliait sa fille en faisant cette jolie phrase quand je conçois pour tout ce qui n'est pas toi, et le bonheur extrême de te revoir.
Ne m'envoie plus de ... , mais bien des bas de coton.
Je t'embrasse encore mon bien cher ami, mon excellent fils, mon aimable frère.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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