Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
9 septembre 1816
Je suis désolée d'avoir été paresseuse puisque tu as été inquiet, mais je te croyais courant comme un chat maigre et je me disais : mes lettres seront égarées, j'écrirai à la première poste. Ce jour-là je m'en disais tristement autant , et voilà toute l'histoire de mon silence. Donc je te demande très humblement pardon et donc je souffrais plus que toi jusqu'à ce que je calcule l'arrivée de ma première lettre. Aujourd'hui, j'ai mille regrets à le faire.
Casimir est revenu de Spa. Il dit que Benjamin va revenir ici conseillant et écrivant pour le gt actuel ; il fait des contes à mourir de rire sur les économies anglaises.
Mme de Staël chez laquelle il a passé deux jours nous arrive aussi dans 15 jours fort gaie, fort satisfaite de tout ce qui se passe.
Il a vu ton doctor Holland qui l'a mis au colonel pour toute nourriture et à l'eau pour toute boisson. Ce dernier point l'attriste fort. Ce doctor te proclame au troisième ciel, tu es l'homme par excellence, le vrai preux, le chevalier sans reproche.
Benjamin dit que certaine demoiselle a repris un réchauffement pour toi, mais Casimir répond que tu n'es point l'homme capable d'amener une affaire de ce genre à bien, qu'un Anglais tout raisonnablement l'aurait déjà enlevée, que les Anglaises aiment cela, mais que toi tu veux que la fortune t'arrive en grande étiquette, un éventail à la main. Papa regrette fort ce mariage et moi (s'il ne doit pas avoir lieu que lorsque vous en serez tous deux à cracher sur vos tisons) je suis charmée que tu ailles revoir Henriette que j'aime de toute mon âme quoiqu'elle ne m'écrive pas. Casimir dit qu'il te battrait volontiers de n'avoir pas amené à bien cette affaire, que tu t'en repentiras éternellement. Papa gémit et moi je dis Charles a sûrement raison , quelque chose qu'il fasse, ensuite un autre ragot dont absolument je ne veux point que tu parles à personne, car cela pourrait amener une tracasserie à ce qu'il y ait duel entre deux hommes, et tout à fait inimitié contre moi de la part de notre cher lord W. qui avec son air doux est très colère et m'a menacée de me faire quelques tours pour t'avoir parler de Mlle Ro. Tu sauras qu'il a trouvé ici une Mme Vincent Potocka qui en est devenu éprise folle, que Gabriel me l'avait dit que le jour de départ de lord W. il avait donné ici rendez-vous à Hume à midi précise et qu'il l'y a fait attendre ainsi que les chevaux de poste jusqu'à quatre heures. Gabriel vint nous dire qu'il était chez cette dame et voilà qu'avec ma tête de quinze ans je dicte à Hume les vers de Mme d'Houdetot, l'amant que j'adore ... il les signe Sidonie , cachète la lettre bien proprement et lorsque lord W. est arrivé me dire adieu, André, d'un air patibulaire lui remet ce poulet devant nous trois. Lord W. devient rouge cramoisi, met la lettre dans sa poche sans nous dire un mot, mais de Senlis il écrit à la dame pour la remercier de ces jolis vers ; elle qui n'a grain de poésie dans la tête accourt chez la Princesse ... Bagration demander qui ose ainsi, et par de mauvais vers, attaquer sa réputation ? Elle s'adresse à Gabriel qui nie que ce soit lui ; elle passe en revue toute la société et s'arrête à Frementel (?) qui, dit-elle, lui marche toujours sur les pieds. Enfin c'est un cancan terrible. Mais si lord W. savait que le bon Hume a trempé là-dedans, que côte à côte dans la même voiture il l'a laissé écrire et s'attendrir sur cette belle poésie, il ne lui pardonnerait jamais, et Hume dans sa situation n'a pas besoin d'ennemis. Quant à moi, je suis persuadée qu'il quitterait la maison à l'heure même et tout cela serait désagréable à l'excès, la dame prenant la chose au tragique , ainsi c'est pour toi seul, et n'en parle point à la dlle. . Je te le défends, et si ce mot te fait secouer les oreilles, je t'en supplie, c'est plus important que tu ne croies vu le caractère et les situations .
Auguste se porte à merveille, tous les matins il crie pour être plongé dans une baignoire d'eau froide, plaisir qu'on lui répète cinq fois de suite, cela lui fait un bien que je n'aurais jamais pu croire si je ne le voyais pas. Il grandit, ses genoux qui tournaient au cagneux sont très droits ; deux petites glandes qu'il avait au col sont passées ; il y a encore le côté droit de la poitrine un peu plus fort, mais je suis persuadée que tout cela se rétablira . On veut qu'il prenne ses bains un an de suite et il faut un vrai courage pour plonger, car il crie tant, supplie si douloureusement que jamais Tété (?) n'aurait eu cette résolution et Sally qui a aussi une figure patibulaire n'en a la force que parce que c'est un remède anglais, au surplus il n'est utile que lorsque les enfants n'ont point de tremblement après et il n'en a jamais eu.
Adieu mon cher ami. Nonore est malade à Lyon. Il y a de quoi, mais cependant ce n'est qu'une souffrance et point de maladie déclarée .
Adieu, je t'aime de toutes les forces de mon âme. Papa est bien depuis le premier de mars jusqu'à aujourd'hui. Nous n'avons été que 23 jours sans pluie, et dans ces jours, jamais deux de suite ; il n'y a souvenir d'un pareil été dans les annales que celui qui a précédé l'horrible hiver de 1709.
Je répondrai sur ton portrait vendredi et j'écrirai sur cela à lady Holland même. Je suis encore très indécise.
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