Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
10 mars 1817
Voilà deux courriers que je n'ai pas de lettres de toi mon bien aimé ami, je ne te gronde pas, je ne te le reproche pas, mais cela me laisse dans une tristesse, un abbatement (sic) que je ne puis t'exprimer. Avant le 1er avril tu auras de mes nouvelles et de celles d'André, sois en sûr et j'espère bien passer avec toi le 21 avril. N'as-tu pas été bien triste de la mort de M. Horner ? Je voudrais qu'il pût entendre comme il est regretté par les hommes de tous les partis ; quel hommage on rend à son caractère, à ses vertus, ce serait assez mais ce devrait être la récompense d'une vie si pure.
C'est chez M. Gautier qu'André doit commencer son procès, je doute qu'il le gagne, mais d'après tous ses moyens, et son entêtement, et son esprit de chicane, sa famille doit s'attendre à le voir plaider longtemps.
Nonore est une vraie madame Chicaneau, elle est de feu dans cette affaire. Pour moi, je laisserais la famille se quereller sans m'en mêler d'aucune manière, pas même opiner du bonnet.
M. Bathurst est venu me voir hier, ainsi que lord Charles Fitzroye ; le premier m'a dit avoir le plaisir de te connaitre, il trouve ton portrait bien ressemblant et qu'aussi nous nous ressemblons beaucoup.
Le colonel Stanhope part demain en 8, je le chargerai d'une grande lettre pour toi. Mme de Staël est d'une faiblesse qui ne laisse rien augurer de bon pour la fin de sa maladie ; Moreau son médecin en espère peu.
Ornano est marié avec cette polonaise Mme... (je ne puis trouver son nom) enfin, l'ancienne amie de l'usurpateur ; elle est arrivée ici avec son nouveau mari et grosse : je ne sais pas pourquoi toutes ces grossesses me causent des ébahissements comme pourrait les éprouver ma tante Aurore.
Mes nouvelles, c'est qu'aujourd'hui 10 de mars la rivière est si grosse que l'eau est dans mes cuisines, dans mes caves, ce qui ne s'était jamais vu à cette époque de l'année.
Mme Princetot était l'autre jour à un bal et tous les jeunes gens s'étaient mis devant les femmes qui ne voyaient que les épaules de ces messieurs. Mme Princetot les avait fait prier de se séparer un peu et Edmond a cru devoir à son oncle de se regimber et de s'écrier : Ah ! c'est trop fort si la police arrive jusqu'ici. Alors Mme Princetot s'est levée, preste, et a couru dire très haut à Edmond : Il ne s'agit pas ici de police mais de politesse. Edmond cherche depuis lors un impromptu pour lui répondre, mais rien ne lui vient encore.
Mon Dieu que je t'aime, que je suis triste de n'avoir pas de tes nouvelles et que je voudrais qu'il fût permis aux mères de mourir pour le bonheur de leurs fils.
Lundi soir
Voilà le 3ème courrier sans lettre de toi ! Allons, souffrons, mourons d'inquiétude, mais ne grognons pas. Deux lignes cependant sont si vite écrites à celle qui n'existe et n'a jamais existé que pour nous ! Papa a depuis huit un de ces gros rhumes qui le laisse sans force, c'est pour cela qu'il n'a pas répondu aux deux dernières lettres de Palmella, fais-le lui dire ! et tout de suite. Attends que je t'écrive pour revenir et crois que je désire te revoir plus que tu ne peux avoir l'envie de revenir !
Adieu mon enfant, tu aurais pu me donner aujourd'hui le seul bonheur dont je puisse jamais jouir en ton absence, un mot qui dit : je me porte bien de corps et d'esprit.
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