Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
27 janvier 1817
J'ai reçu hier au soir la lettre par la poste et j'ai envoyé tout de suite celle pour Casimir. On dit ici que M. Corbié arrive demain, tu dois le savoir. On prétend que c'est son oncle qui l'a demandé pour être son bras droit dans le procès de la famille.
On m'a tiré les cartes ces jours-ci et l'on m'a dit de trois côtés différents que l'amant de mademoiselle Joly était bien malheureux parce qu'il avait fait un enfant ; ce qui est sûr, c'est qu'il y avait toujours une grossesse et comme je ne crois pas que ce soit moi, préviens ce pauvre jeune homme.
Voici un ouvrage très bien fait qui déplaît beaucoup à bien des gens surtout la capitulation inutile et l'alinéa sur la Prusse et l'Autriche qui occupent à présent notre territoire. L'emprunt n'est pas fait, on ignore même s'il le sera ; mais j'aimerais mieux acheter du bois qu'ils seront obligés de vendre que d'acheter des rentes. On regarde l'affaire de ... comme consentie par lui sans l'usurpateur puisqu'alors non seulement il a été liquidé mais que son agent a touché les intérêts et que s'il n'y a pas consenti, son recours doit être sur l'agent. Voilà pour toi mais laisse les commissaires anglais lui en dire la nouvelle car elle m'a été confiée.
Mme Nareschin m'a dit : que le d. du R. était dans la dernière irritation contre toi qu'il lui avait dit : que tu disais le diable de lui, elle a répondu que c'était impossible parce que tu partageais certainement la reconnaissance que je ne cessais de manifester pour la tranquillité que je lui devais. Il a répondu : alirs il est bien différent pour moi de sa mère. D'après cela, elle m'a conseillé de le voir ce que je lui demanderai quand la fin des débats sur le budget et les élections sera un peu passé. On s'étonne beaucoup ici que M. de la Tour du Pin y soit arrivé hier au soir ; Lady Holland m'a écrit une lettre pleine de tant de compliments sur la dernière robe que je lui ai envoyée qu'il me semble que tu lui as dit que je les aimais. En effet c'est assez agréable et enfin je suis arrivée à l'âge où l'on ne peut guère plus me louer que sur ma bonté. En parlant de bonté, tu vas voir cet excellent lord W... que plus on le connaît, plus on aime. Il te dira que je suis toujours à la même place. Papa a acheté hier deux chevaux (j'ai manqué écrire deux cheveux tant je pense à toi) 1500 f. et le normand en retour, pauvre normand que je le regrette ! Quelle ingratitude de renvoyer ainsi ce vieux ami qui vous a toujours si bien servi ! J'en ai le coeur serré, il n'y a qu'un homme capable de cela. Nos deux nouveaux chevaux sont alezan, il y en a un charmant et que Carb... dit qu'à lui seul vaut 1500 f. L'autre est un peu rustaud et Thomas dit : Quand le général sera ici il n'aura pas de cesse qu'il n'ait appareillé celui-là qui est bien coquet.
Le chapitre de l'écurie fini, je te dirai que nous commençons à grogner sur la douceur du temps, on craint que les vignes ne portent, et comme il est certain que nous aurons encore des gelées, nous n'aurions pas plus de vin cette année que la dernière.
Auguste a fait un trait charmant : Fine, c'est la vieille chienne de Peter, qu'Auguste aime beaucoup . Fine avait mangé le dîner de Sally et Sally, furieuse, voulait battre Fine. Auguste a d'abord couru à Peter lui dire de cacher Fine dans l'écurie ; puis rassuré sur cela, il est venu tout pâle et pleurant me dire : Bonne mère, Sally veut donner des coups de bâton à Fine. Empêche-le, car je lui ai dit qu'elle n'avait qu'à manger mon dîner et que moi je ne mangerai que la soupe et du pain sec ; Fine n'a pas mangé cela ; j'ai été arrangé cette grande affaire, mais le petit que je tenais par la main offrait toujours la viande de son dîner pour apaiser Sally et répétait : Je mangerai du pain sec tant qu'on voudra. Gabriel qui est arrivé sur ces entrefaites en était aux larmes.
Dis-moi si tu as un moyen d'envoyer à Henriette une robe que j'ai brodée ; d'abord elle est si jolie que je désire la faire passer par toi pour que tu l'admires, la fasse admirer, et que tu m'en fasses des compliments. J'ai pris une passion pour les compliments, qui tient je crois à mon âge où l'on n'en entend plus qu'on ne les demande . J'ai pris pour remplacer Mme Marelle une allemande qui avait servi Mlle Barette et dont je suis fort contente. Je ne la gâte point. Je ne conçois point que tu dises que mes lettres deviennent rares, je n'ai point passé un jour de courrier sans t'écrire, excepté lorsque M. Eden est parti et qu'il t'a porté une lettre. J'ai avoué à lord W... que je t'avais mandé le tour que je lui avais fait en lui envoyant un vers de Mme d'Houdetott, mais j'ai juré que je ne t'avais pas dit le nom de la dame.
Adieu, mon bien-aimé ami, mon enfant, mon frère, que je voudrais te revoir. Quelle joie, quelle illumination dans la maison le grand jour où tu y rentreras. Ce sera peut-être plus tôt que tu ne le penses, mais rapporte-toi à mon désir sur ce point et attend que je t'en prie. Ton vieux cheval est toujours bien malade.
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