Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
16 avril 1818
J'ai vu Alexandre, et voilà textuellement ce qu'il m'a dit, et ce qu'il a fort adouci dans sa lettre.
"J'ai vu M. de Case, il m'a dit qu'il n'y avait point d'inconvénient que Charles revienne ici mais qu'il faudrait qu'il fut très circonspect dans ses sociétés.
Comment entendez-vous cette circonspection ?
- Mais, par exemple qu'il voit les ministres, qu'il témoigne être dévoué au gouvernement et ne voit point l'opposition.
- Mais, qu'entendez-vous par opposition ?
- Vous le savez comme moi !
- Point du tout, car je ne vois personne
- Mais, par exemple le maréchal Suchet qui reçoit tous les dimanches, chez lequel nous allons tous, où l'on ne dit pas un mot de politique, car on n'y fait que de la musique ; mais son salon est un vrai salon de l'Empereur, et cela déplaît
- Cependant je suppose qu'il voulait cesser de voir ses anciennes connaissances, pensez-vous que Mme de Duras, Mme Descars le vissent ?
- Non
- Et quand on consentirait à faire une lâcheté encore faudrait-il qu'elle rapportât intérêt ou plaisir.
- Ce qui est sûr, c'est qu'il sera fort surveillé, fort examiné. Ce M. de Case m'a même ajouté que s'il se considérait bien, le Roi pourrait employer sa bienveillance pour le racommoder avec lord Keille. M de Case m'avait aussi conseillé de demander l'autorisation pour son mariage ; il ne s'agit point de cette espérance pour laquelle mon fils ne fera rien contre sa délicatesse ni ici ni en Angleterre, il s'agit de savoir s'il sera tranquille, oui ou non.
- Oui, s'il est très circonspect dans sa société.
- Voulez-vous bien lui écrire tout cela ?
- Oui, mais il vaut mieux que vous le lui disiez aussi.
Sur cela il est parti.
Je vais écrire à M. de Case pour lui demander un rendez-vous, je ne sais pas si je l'obtiendrai, car je ne l'ai pas revu depuis le refus d'autorisation, je t'en écrirai par le premier courrier. Je ne pense pas moins que Marguerite, avant de venir ici, devrait prendre les bains de mer, et des eaux férugineuses ; après cela, elle arriverait tout tranqillement ainsi que toi. Et le premier mois passé, je pense que tu pourrais voir qui il te plairait. Voilà pour le positif, à ce que je crois.
Mais pour l'agrément, tu n'en auras aucun ni elle non plus, tout le monde va fuir à la campagne, et la société anglaise qui est encore ce qu'il y a de mieux, je pense que presque toutes les familles s'en iront quand les alliés partiront. Enfin, M. de Turenne me disait hier que Girardin avait dit que tu allais revenir et que lui, Turenne, pensait que c'était trop tôt de six mois. Moi je t'avoue que le désir de te revoir m'est si vif que je ne suis pas un juge si prévoyant, ni si prudent ; mais pour l'agrément, tu n'en auras aucun. Tu ne peux pas te faire une idée de l'irritation de la société, c'est pire que jamais ; enfin j'ai été avant-hier chez Mme de Rumford où étaient Mme de Vaudémont, Mme de Vintimille, tu n'as pas d'idée des yeux de travers qu'elles m'ont faits, ce qui m'a été fort égal. Mais Marguerite serait bien étonnée de la réception qu'elle trouverait ; il serait un peu dur de ne pouvoir voir ceux qui vous aime , et d'être repoussé de l'autre côté. Enfin je verrai ou du moins tâcherai de voir M. de Case
Mais si tu veux avoir des enfants, qu'elle prenne des bains de mer et qu'elle boive des eaux férugineuses avant de quitter Albion. Cela est tout à fait important.
Je t'écrirai par le premier courrier ce que m'aura répondu M. de Case. Je prierai le comte Rotshabey (?) de parler à M. de Richelieu. Mon coeur bat de joie de la seule pensée de te revoir. Le 26 avril se passera encore tristement, je prie ma fille de t'embrasser de ma part, de te donner un bouquet enfin de me remplacer ce jour-là ; comme pour te soigner et pour t'aimer elle me remplacera quand je ne serai plus. Lady W. Russell va très bien, elle nourrit sa petite fille.
Adieu, mon cher Charles, mon enfant, mon ami si cher, papa a une peur terrible de ton retour.
Je ne sais pas pourquoi tu crains les eaux de Spa, mais je m'en reporte à ta prudence et crois qu'il y aurait inconvénient puisque tu y en trouves. Mais les bains de mer sont recommandés par tous ceux qui s'y entendent.
Ma chère fille, ménagez-vous bien, mon Dieu que je serai heureuse de vous revoir car sûrement je vous ai déjà vue, je vous connais si bien, et je vous aime comme si vous étiez ma fille depuis que vous êtes au monde.
Mes chers enfants, je vous embrasse et vous aime de toute mon âme.
J'ai ôté l'enveloppe de la lettre d'Alexandre.
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