Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
17 septembre 1818
Point de lettre de vous monsieur, ni madame, et depuis trois courriers, cela m'attriste et m'inquiète. J'espère demain, mais cela ne me rend pas gaie aujourd'hui. Tu ne peux compter sur rien d'amusant de cette bonne ville de Paris, car si par une sorte de magnétisme tu levais ta baguette et me disais : Réponds ? je dirai à tout : Je n'ai pas de lettre. Pourquoi êtes-vous de mauvaise humeur ? - Je n'ai pas de lettre. Pourquoi ne mangez-vous pas ? - Je n'ai pas de lettre. Pourquoi ne pensez-vous à rien ? Je n'ai pas de lettre. Et quand monsieur pourrait m'écrire trois lignes qui ne prendraient pas deux minutes, je ne sais pourquoi il me refuse ce plaisir. Rends-moi raison de cette vilaine fantaisie. Hier je me suis couchée, résolue à t'imiter, à ne pas t'écrire ce matin. Aujourd'hui je me suis réveillée en me promettant de n'écrire qu'une ligne de reproches, voilà déjà une demi-page, nous verrons où je m'arrêterai.
Je lis dans ma gazette que ce M. Desfournys dont je t'ai parlé et qui avait présidé au beau cheval, est mort hier. Dès qu'on met la main à cette pâte-là, cela brûle. On ne conçoit pas combien tous ces malheurs répétés frappent le vulgaire. Et quand je dis vulgaire, c'est par fierté, car ces sortes de superstitions sont dans toutes les têtes ; l'esprit du peuple les adopte omme articles de foi. Les gens instruits les remarquent comme choses singulières, mais tout le monde y pense. Le cardinal Mazarin ne manquait jamais quand on lui proposait d'employer quelqu'un de demander : Est-il heureux ? La Sainte Alliance ne s'amuse pas à ces balivernes. D'ailleurs il se pourrait qu'elle fût comme La Rochefoucault qui disait : Il y a dans le malheur de nos meilleurs amis quelque chose qui ne nous déplaît pas.
Le comte Fenchall est ici d'une gaieté, d'une animation qui amusent mon mari et par conséquence, elles m'enchantent. Notre pauvre Palmella est triste et doux comme la patience, cette patience et le courage sont deux grandes vertus dont je voudrais bien n'avoir jamais eu besoin. Ce sont des dames d'atour qui n'arrivent qu'avec le malheur, mais faut-il les remercier quand elles se montrent !
Je ne vois presque point Frecki. Il s'amuse, il est engagé, engageant. Mais sa figure est si gaie qu'elle réjouit, rien qu'à le regarder ; qu'il paraisse et il a raison.
L'on continue à interroger des témoins dans l'affaire Canuel. Il semble qu'il est impossible que cela ne finisse point par une enquête.
As-tu vu M. Casimir. La peur qu'Hume lui a fait s'est-elle assez gravée dans son esprit pour le rendre sage.
Louis XV disait à son premier médecin dans ses dernières années : Docteur, j'ai enragé ! - Sire, c'est dételer qu'il faudrait . On trouve ce mot très courageux à dire à une majesté, je crois que le seigneur Casimir ne le prendrait pas en meilleure part. Et c'est cependant ce que Hume dit en arrière de lui.
Je t'envoie, si on me l'apporte comme on me l'a promis, un journal de Paris d'hier qui a fait une grande sensation. Si tu ne le trouves pas dans cette lettre, cherche-le. On prétend que les ultras envoient un ambassadeur au Congrés ; ce sera quelque valet de chambre qui se glissera entre la tête de l'oreiller.
Mais pour le coup adieu, quand j'en devrais être malade, je ne te dirai pas que je t'aime aujourd'hui, tout au plus à ma fille qui est faible et souffrante et qui est encore bien bonne quand elle m'écrit ; aussi, je t'embrasse et t'aime de toute mon âme.
Voilà ce journal. L'avant-dernière phrase est bien extraordinaire, mais a du sens. C'était le comble des éloges de l'abbé Morellet dans sa manière de voir actuelle, il ne dirait pas on écrit, on menace on avertit sans cesse M. Fabvier d'être sur ses gardes ; il prétend que cela ne lui cause qu'un bourdonnement important ; malgré ce grand courage c'est une jolie manière d'exister.
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