Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
2 février 1818
Je te dirai que Mlle Murray a écrit au général son frère une lettre pleine de ton éloge et où elle ajoute que personne n'a l'air moins étranger que toi; enfin une lettre dont Hume est venu tout de suite me rendre compte pour me faire bien plaisir. Elle ajoute que ma fille lui a dit qu'elle viendrait ici, avec toi, au commencement du printemps.
D'abord cela a fait battre mon coeur de joie, mais ensuite, j'ai pensé qu'il était impossible que tu arrives si tôt, vu que tu ne m'avais pas donné d'ordres pour les changements nécessaires à la chambre à coucher et que tu ne m'avais dit de commencer à faire repeindra qu'au mois de Mai. Je suis donc retombée dans la tristesse. Mais enfin je serais encore bien heureuse de te revoir quand tu le croiras possible.
On dit que l'emp. de Russie viendra ici au mois de septembre. On parle beaucoup du départ des troupes alliées, moi, je n'y crois pas. On assure que le Roi de Prusse est tombé amoureux, mais amoureux à perdre la raison de la fille du Directeur du spectacle à Berlin, que la belle, gardée par une mère éclairée ne veut entendre à rien, pas même à d'innocentes conversations sans que l'on promette mariage de la main gauche, que la noblesse en jette les hauts cris et que cependant le Roi persiste dans sa passion.
Toute cette lettre sera de commérages.
Lady H. qui ne m'a pas écrit une ligne depuis son départ de France, a écrit à M. Gallois pour tacher de lui procurer un exemplaire du Camoëns pour le duc de Devonshire qui en souhaite un passionnément ; elle mandait qu'elle donnerait bien le bout de son petit doigt pour l'obtenir. M. de S. choqué qu'elle ou lord Hol.. ne le demande pas tout simplement à lui ou à moi, a prié M. G. de répondre que sachant qu'il en restait plus à M. de S. qu'un très petit nombre d'exemplaires, il n'avait pas osé lui en demander un. Alors elle a écrit à Palmella qui lui a fait la même réponse ; enfin elle vient d'écrire à lord W. Russell qui doit aussi faire la même. Et ce pauvre duc de Devonshire n'en aura point parce que lady H... , sans en savoir la raison, nous a pris en grippe et n'a point voulu nous en demander un droitement. S'il le désire assez vivement, pour s'adresser à toi, ou à ma fille, et que toi, ou elle, en témoigne la moindre envie à papa, il vous en enverra un tout de suite ; mais souviens-toi que ni papa ni moi, nous ne seront jamais sensés avoir reçu les démarches de lady H. J'ai dîné samedi chez Gérard pour faire des libations au Camoëns. Le général Romansow y était ; il parle si bien de l'armée française que j'ai été dans mon plus gracieux pour lui. Après dîner, nous avons entendu la lecture de Belisais, nouvelle tragédie de M. de Joui... Je doute qu'on la laisse jouer. Il y a une certaine allusion sur tout ce que l'empereur Justinien avait fait qui pourrait bien amener le même bruit qu'à Germanicus (ceci entre nous) Car si on la permet je ne veux point lever ce lièvre (Vois si par cette belle comparaison je ne te crois pas un chasseur montagnard) Après dîner, est arrivé pour la lecture le célèbre Rostopckine, je n'ai jamais vu une plus vilaine figure , c'est un tigre blafard gris, quoique jeune c'est une nuance naturelle, peau de même couleur, un rire qui ne monte que des dents sans adoucir ses yeux, enfin une horreur secrète me glaçait le cou en le regardant. Isabey y était, qui m'a prié de te parler de lui. J'aurais bien désiré que ma belle-fille fut à cette lecture, cela l'aurait fort amusée.
M. de Longchamp m'a prié aussi de te parler de lui, tu es encore bien vif dans tous les souvenirs. Sir Ch. Stuart donne un bal un soir où il y a 1100 personnes d'invitées ; en calculant 3 minutes par chaque voiture pour l'ouvrir, en descendre, la refermer, cela fait, dit Gabriel, 3300 minutes.
Lord Glenber... Lady Charlotte Lindsey et le comte Kotschaby (?) dînent chez moi aujourd'hui, les deux premiers pour me dire adieu, ils partent vendredi pour Londres ; l'autre, c'est une petite politesse à une ancienne connaissance.
Ma chère fille, je vous ai envoyé samedi par un courrier trois paires de souliers. Je vous en enverrai par lady Charlotte trois autres paires et une bague rose. Donnez-moi de vos nouvelles, parlez-moi de votre santé, ne vous ressentez-vous plus de votre accident ? Si vous vous retrouvez dans la même position, ménagez-vous bien jusqu'à ce que l'époque de ce malheur soit bien passée, car il semble que la nature aime les anniversaires. Je vous embrasse, je vous aime de toute mon âme mon fils, ma fille, et je ne sais pas trop comment mon pauvre coeur pourra supporter la joie de vous voir tous deux. Mille tendresses de papa.
Papa est fort enrhumé, et moi aussi. Moi j'ai de quoi maigrir, mais lui c'est plus dangereux. Il tousse sans cesse et n'a pas la force de tousser après l'inflammation de poitrine qu'il a eue il y a deux ans dans ces temps-ci. Ce rhume m'effraie et puis la mort frappe tout autour de lui, cela l'attriste. Ce pauvre petit Rodriguez est mort ; ne me répond pas sur le triste pressentiment que je lui vois mais dont il ne parle point. Cependant il sort ; rien n'est changé dans ses habitudes. Je ne penserais même pas à ce rhume s'il n'avait pas été si malade et s'il n'était pas si triste.
Adieu encore, mes chers enfants. Dieu puisse-t-il vous accorder tous les bonheurs que mon coeur vous désire.
Peter est guéri, Gissac(?) me disait naïvement si c'eut été un homme bien nécessaire au monde, la médecine aurait fait mille efforts qui l'auraient peut-être tué ! Honneur à la nature. Encore adieu.
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