Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
11 février 1819
Ce pauvre Frecki est dans un état affreux depuis 15 jours mon cher enfant. Il a dans les yeux la même maladie dont il avait eu des atteintes à Londres, ne luis dis pas que ... et ce n'est que d'hier que Moreau et Dupuitrain espèrent qu'il ne sera pas aveugle ; quoique ses yeux soient encore dans un état affreux. Tout ce qu'il a souffert ne peut pas s'imaginer : il a été 6 jours sans avoir un moment de sommeil et depuis 16 jours il ne boit que du bouillon coupé. Toi qui le connais, tu dois juger l'état de son moral pendant ces inquiétudes quoique les médecines ne soient jamais convenues avec lui de son danger, il ne le saura qu'après. J'ai été le voir, mais il est si faible que ma voix lui faisait du mal, et cependant elle n'est pas comme celle de Mme de Coigny. Ses yeux sont constamment fermés, on les lui ouvrira de force toutes les dix minutes pour y injecter je ne sais pas quoi, qui empêchera que cette ... corrosive ne détruise l'oeil. Enfin c'est Job sur son fumier. . On espère d'hier seulement que d'ici à cinq ou six jours les douleurs de ... vont cesser, mais hier seulement, Dupuitrain a dit qu'il espérait qu'il ne serait pas aveugle. Ce mot fait frémir et lorsqu'après sa guérison il l'entendra, je suis persuadée qu'il en tombera évanoui.
Je dîne aujourd'hui chez Baring et je saurai l'explication de la phrase que tu as soulignée à papa, je crois qu'elle est toute relative à tes conventions matrimoniales, mais enfin je le saurai et te le manderai lundi. Envoie-moi porter pour poster tes noms tels que tu les portes et dis si tu es obligé de mettre à tous tes actes et signatures le nom de Mercer pour qu'on insère aussi ta particule de comte. Je puis bien aimer à garder un trésor, mais mon goût ne va point jusqu'à contrarier ta volonté aussi dès que tu auras répondu à cela tu auras tes inscriptions. Papa te répondra lundi ; il souffre de ses dents mais ne me parle pas de cela dans tes lettres, je voudrais qu'il vît Dupuitrain mais il craint, je crois, la vérité. Enfin j'espère l'y décider, aidé de Manuel.
Excelmanns a dîné hier ici avec Gabriel et Carbonel, ce non Excelmanns qui n'a pas de rancune, a imaginé d'aller faire une visite à M. de Talleyrand lundi soir, quoiqu'il ... inscrit sur ... , au moment où il y avait un monde énorme, et il faut entendre Excelmanns sur son entrée dans ce salon rempli : De la fleur des ultras; tout le monde à son nom, a tourné la tête ; M. de Talleyrand a eu l'air étonné ; cependant, en traversant son salon (dans le courant de la soirée) il a passé près d'Excelmanns et lui a pris de côté les mains, comme dit Excelmanns, l'on fait à un homme à qui l'on glisse un cent (?)
Je reviens à ma fille. Ma très chère fille, je vous enverrai le reste de ce que vous désirez par le courrier de Mars. Mais je vous prie instamment, envoyez-moi l'aune de percole (?) que je vous ai demandée. Mettez-la dans mes lettres et faites la moi parvenir par lady Holland en la priant de l'adresser à Sir Charles Stuart comme elle faisait dans le temps de ses commissions. Tout le monde s'accorde à dire que le Roi a été assez malade il y a trois jours de la goute. En tout nous sommes un peu sur un abîme car la France en serait un véritable s'il mourait avant trois ou quatre ans.
Avez-vous enfin le tableau de Gabriel, j'ai tant de hâte, tant d'envie que vous l'ayez, que lorsque je vois dans vos lettres qu'il n'en est pas question, cela m'impatiente extrêmement.
Je ne prendrai pas ton remède mon cher enfant. Moreau dit que tout ce qui peut irriter me serait mortel.
Quand vous serez arrivés, je ferai ce que vous voudrez, jusque là je m'enivrerai d'eau de poulet.
Mme de Vicence accouche au mois d'Avril. Mme de Caulaincourt est mieux, écris à Howick l'état de ce pauvre Frecki, car lady Grey sera peut-être étonnée qu'il n'écrive à personne.
Adieu encore, mes chers enfants, je vous aime et vous embrasse de toute mon âme.
Le duc de Glouster est très fêté ici, je crois qu'il y reviendra. L'on dit même qu'il est épris de Mme Edmond de Périgord. Ce qui est sûr, c'est qu'à un bal chez la duchesse de Courlande le duc l'a entraînée dans un boudoir dont la porte est restée ouverte à la vérité, mais d'où l'on voyait du salon les personnages seuls assis sur un canapé. L'Altesse Royale très amusée , l'Altesse Sérénissime très en coquetterie, les regardaient très étonnés.
Je ne t'ai point parler de l'amiral Flemming. J'en suis bien aise car il me trouverait si changée qu'il me croirait une grand' mère sempiternelle.
Adieu encore. Quand m'écrirez-vous que le tableau est arrivé. Gabriel a écrit à ma fille pour la remercier du tableau.
Son cachet dont il a été honoré et enchanté.
Sûrement il se perd beaucoup de lettres au Foreign Office, car je m'aperçois que tu ne réponds souvent pas aux miennes, mais voici assez de bavardages, cependant je ne peux finir sans dire encore que je vous aime, mes bons amis, de toute mon âme.
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