Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
12 avril 1819
D'abord mon enfant je te souhaite un heureux jour de naissance. Cette lettre arrivera pour ce jour-là. Voilà encore un 21 avril qui passera sans que je t'embrasse, sans que je te bénisse pour tout le bonheur que je t'ai dû depuis que tu es au monde, jamais il ne fut une plus heureuse mère et ce jour du 21 (comme ce sera ma prière à ma dernière heure), je demanderai au ciel de t'accorder des enfants qui te rendent aussi heureux que tu nous as rendus. Enfin mon fils, mon Charles, mon frère, mon ami, si les bénédictions et les prières d'une mère peuvent parvenir jusqu'à Dieu, ton enfant mériterait aussi que tu le bénisses dans toute l'affection de ton âme.
Ensuite, je reviens à vous, ma chère fille, que vous seriez aimable de me faire grand' mère le 21 avril. Il me semble que ce jour doit être plus heureux et que les enfants qui viennent ce jour-là doivent être meilleurs et devenir la consolation , tout le bonheur de leurs parents, je vous prie instamment de me faire écrire par dupli, triplicata, le bien heureux jour où vous serez accouchée , un mot par Pal..., un par lady H... , un par la poste. Hé mon Dieu ! Jamais il ne m'arrivera autant de lettres que je relèverai de fois celle qui m'annoncera ce bienheureux événement.
Avez-vous reçu vos robes ? En êtes-vous contente ? Vous faut-il encore des bandes de mousseline. Je vous dirai, sans vous donner cet avis comme bon, qu'ici les médecins croient que d'avoir les bras si nus c'est très mauvais pour les yeux, les dents et la poitrine . Je sais que cela les rend plus forts, et surtout plus jolis, lorsqu'ils peuvent le supporter, mais Mme de Sévigné écrivait à sa fille : Prenez garde qu'en voulant faire rustaud les délicats, on les fait morts. Dieu préserve que ... même ma pensée aille jusqu'à ce malheur ; cependant, si j'obtenais de vous des longues manches seulement jusqu'à ce qu'il y ait des fleurs dans votre froide Ecosse, je serais bien contente. Parlez-en au Dr Hamilton, car mes connaissances en médecine baissent pavillon devant lui, et s'il trouve que j'ai tort, je serai plus tranquille pour mon cher petit ; s'il pense que j'ai raison, , je serai encore plus tranquille . Car ce pauvre petit vient d'un appartement un peu chaud, et tout de suite ses petits bras, sa petite poitrine à l'air, cela me fait transir. Quel nom lui donnerez-vous ? Ce sera un garçon, voyez-vous. Georges est un beau nom, et comme je suppose que vous appellerez un fils Charles, que je l'appellerai ainsi jusqu'à ma dernière heure, vous entendrez que lorsque la vieille grand' mère appellera un de ses enfants, il ne faut pas que tous tournent la tête.
Je suis toute enfluxionnée, j'ai si mal aux dents que je puis à peine vous écrire. Papa est toujours bien triste, ses dents vont comme un battant de clocher, ce qui irrite encore l'os de la mâchoire, mais il s'obstine à les garder, ne me réponds pas là-dessus. Car il serait très affligé que je t'en parlasse, il sait que c'est une faiblesse et il s'en cache. Il avait consenti à voir Dupuytrain, il ne le veut plus. Tout cela m'attriste. Mais quelle joie lorsque je vous verrai arriver tous les trois, je crois que j'en mourrai. M'aimerez-vous, ma chère fille ? Me gâterez-vous ? Charles m'y a accoutumée.
Mes chers enfants, je vous aime et vous embrasse de toutes les forces de mon âme.
M. Frecki commence à sortir en voiture, mais stores et jalousies fermées. Il pourrait marcher à la suite de la georgienne que l'ambassadeur de Perse mène avec lui et à qui son Excellence interdit la lumière du jour . Frecki prétend cependant aller vous chercher à Londres pour vous ramener à Paris. Je le laisse se flotter de cette illusion. L'amiral Flemming dit, à ce qu'on m'a dit, qu'il doit retourner en Ecosse pour baptiser l'enfant de Marguerite.
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