Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
18 février 1819
J'ai vu hier ce pauvre Frecki, c'est Job, c'est Lazare, c'est tout ce que tu peux imaginer de plus affreux , mais ne le lui dis jamais. Cependant il conserve la vue, mais Dieu sait quand il pourra ouvrir les yeux, il faut les lui ouvrir de force pour les bassiner, il ne mange rien, il ne quitte pas son lit, il est d'une faiblesse horrible, et voilà 22 jours de cet état, il désire savoir des nouvelles de lady Grey , si elle est accouchée et sauvée de ses tristes pressentiments.
Excelmanns est bien, Guys est à Leba... avec son régiment.
Je ne sais pourquoi tout Paris veut que le Prince Eugène ait demandé ses passeports pour venir ici et qu'on l'y attend. On ajoute même que sa soeur y viendra pour affaire de famille. Mais cela, je ne le crois pas, cependant la rage des ultras ne parle pas d'autres choses . Papa a en son nom, les trente mille livres de rente de Baring, envoie- moi les noms que tu veux mettre dans ton inscription et à l'instant tout ce que tu as ici sera placé en ton nom, mais c'est pour les intérêts, comme s'ils l'étaient déjà.
Je n'attends que tes noms. Mme Guys est aux informations de l'homme que Guys a dit d'attendre à St-Denis, mais autant qu'elle peut s'en souvenir, elle le croit un intriguant , cependant elle n'en est pas sûre. Je t'en écrirai par la première poste.
M. de ... perd beaucoup dans l'opinion, il avance à contre-temps des opinions intempestives, il ne prouve pas ce qu'il avance , enfin il fait beaucoup de mal à son parti pour un peu de peine à l'autre.
A présent je reviens à ma fille. De grâce, ma chère fille, envoyez-moi cett aune de pascale que je vous ai demandée. Le courrier prochain vous portera le reste des petites affaires de mon petit enfant.
L'a. Flemming est arrivé avant-hier, il est venu hier chez moi, je ne l'ai pas vu, mais il m'a remis à ma porte le plus joli sac que j'aie vu de ma vie. Quel ouvrage ! C'est fait comme par la main des fées. Je serais incapable d'une pareille patience et d'autant d'adresse. Je le garderai toute ma vie, les glands sont trop magnifiques pour une vieille infirme comme moi, enfin je vous remercie de tout mon coeur.
Je suis bien triste, M. de Souza prétend qu'il souffre des douleurs dans l'os de sa mâchoire supérieure et c'est (entre nous) tout ce que les chirurgiens craignaient, enfin je suis frappée de terreur sur ce mal, car on m'a dit de cruelles vérités, si cette exfoliation ne tombe pas d'elle-même, mais mon excellent ami ne le sait pas.
Ah ma chère fille, dans quelle triste maison vous tomberez auprès d'un père et d'une mère si malades et si mélancoliques ; mais la vue du petit enfant vous consolera de tout. Vous serez bien étonnée que cet enfant ne sera pas plutôt né de vous trouver à votre premier regard, à son premier cri, embrasser tout son avenir.
Gabriel vient tous les jours demander si vous avez reçu son tableau ? J'en ai un désir, une anxiété que je ne puis vous dire. Où le placerez-vous ?
Adieu mes chers enfants, je vous quitte pour monter chez papa car Manuel vient de me prévenir qu'il était bien souffrant et bien triste. Cependant, il doit t'écrire aujourd'hui ; à moins que sa tête qui lui fait beaucoup de mal ne l'en empêche. Moreau lui-même veut que je commence le calomel, mais moi qui aime la procrastination par-dessus tout, je crois que je remettrai à votre arrivée à rien faire et qu'alors je donnerai toute ma confiance au docteur Marguerite. En attendant je l'embrasse ainsi que toi de toutes les forces de mon âme, et je bénis ma petite fille.
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