Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils Hélas mon enfant, chaque jour nous amène de nouvelles peines ; papa en a une dans ce moment que son excellent esprit ne peut surmonter. Il a eu la faiblesse de faire mettre une fausse dent de devant, il y a plusieurs années ; cette fausse dent a ébranlé les autres et découvert un os de la gencive et il y a exfoliation ; enfin il paraît qu'il va perdre tout un côté de ses dents, que cela lui fera dans la figure un creux presque difforme. Eh bien cela lui cause une mélancolie qu'il ne peut vaincre et il m'a dit qu'il ne se montrerait plus, qu'il ne pourrait plus ni parler ni entendre. Je ne puis te dire l'effet que cela lui fait, et j'en ai le coeur brisé. Ne me réponds pas là-dessus car cela lui ferait de la peine que je t'en aie parlé. Mais il en est venu à une humeur noire qui m'afflige profondément car depuis toutes ces années de persécutions, de solitude, et de malheur, nous sommes unis plus étroitement que jamais et nous nous sommes devenus si nécessaires qu'en vérité la fin de l'un serait la mort de l'autre. Nous sommes deux frêles machines qui marchons en nous soutenant mutuellement, mais si l'un des appuis manquait, l'autre tomberait. Je suis encore bienheureuse qu'il ait conservé son goût du spectacle et quoique pendant ce temps je reste souvent seule à faire des patiences car on ne peut toujours lire, et je ne travaille pas à la lumière. J'éprouve toujours un sentiment de joie lorsque j'entends sa voiture s'en aller et je remercie le ciel qu'il ait encore cette distraction, enfin que de peines ! Et les grands malheurs, les persécutions, les proscriptions n'enpêcheront point les tracasseries d'affaires, les dérangements de santé, les infirmités de la vieillesse, ces grands malheurs qui paraissent surpasser les forces humaines sont par-dessus le marché. |