Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 août 1820
D'abord, mon cher Charles, et comme la plus importante affaire, prenez votre ex. de Mlle de Tournon et page 199, dernière ligne, grattez le "p" de ressentit dont ils ont fait pressentit , ce qui est un contresens .
Voici un bel ex. que je vous prie de donner à lord Holland, je vous garde ici le vôtre pour que vous le fassiez relier comme ceux de la petite boîte car Horace Vernet m'a promis deux dessins que j'y joindrai quand ils seront finis.
Nous sommes fort occupés ici de l'abbé de Pradt qui va comparaître sur la sellette devant les juges ; chose qui n'était jamais arrivée à un archevêque, chose dont Rome refusait le droit à toute espèce de juridiction hors un tribunal ecclésiastique, chose enfin qui aurait fait excommunier toute la France dans un autre temps ; et que ce soit un ministère amoureux des anciennes us et coutumes qui la permette . C'est ce qui prouve bien l'aveuglement des passions. M. de Ségur, le père, disait hier chez moi à Mme de Nansouty, l'amie intime de M. Pasquier, : "Je voudrais que l'abbé de Pradt se rendît au tribunal en rachat et en piété " Tu seras peut-être étonné que ces deux personnes se soient trouvées chez moi, c'est Mlle de Tournon qui m'a procuré ces visites. Elle a contre elle de paraître le même jour que le livre de M. Clausel de consigne contre M. de Case, et pour elle de servir de moyen d'attaquer Mme de Genlis à qui les libéraux, les gens d'esprit ne pardonnent point d'avoir corrigé l'article en disant des injures grossières à J.J.R. Je serai fort innocemment la main avec laquelle on la frappera ; je prévois cela.
Il y a aujourd'hui un terrible article contre elle dans le courrier.
As-tu vu M. de Case ? On se réjouit ici qu'il ait donné un dîner au général Foy et à M. de Polignac. Il reviendra un bien meilleur ministre lorsqu'il aura un peu goûté de la liberté d'esprit et de conversation dont on jouit en Angleterre, et de cet amour de justice qui y anime toutes les classes de ce règne de la loi que nous ne connaissons pas jusqu'ici, du moins la loi est une barrière qui n'a jamais arrêté personne, les puissants la franchissent et les petits se glissent par-dessous.
Toi qui es devenu tout d'une pièce, et qui t'indigne et te mets en sévérité depuis le regard jusqu'à la pointe des pieds, tu trouveras cela affreux et tu auras raison ; cependant tu en aurais ri autrefois ; tu es meilleur par tes principes, mais tu étais bien aimable par tes défauts. Et il y a du bonheur à se pouvoir coucher sur l'une et l'autre oreille, certain d'être content de soi, ou d'avoir enchanté les autres.
Gabriel me dit que M. de Montrond est revenu de Valençay ennuyé à tel point qu'on baille rien qu'en en entendant parler. Mme Dorothée est devenue mystique ; pauvre Edmond, considérer petitement cette grossesse qui est venue de Dieu grâce ; il craint que son oncle ne le force pas à garder le lit quand Dorothée accouchera. Il voit les esprits si disposés à croire aux miracles qu'il ne sait pas si on ne lui proposera point d'allaiter l'enfant. En attendant, l'oncle a défendu à Brunot de Boisgalin de venir à Valençay parce que la jeune dame avait été si émue des soins qu'il avait rendus à Mme Aimée de Coigny qu'elle éprouvait un entraînement, un penchant ; enfin l'oncle craignait tout cher Abner.
Voilà bien du bavardage mais je ne veux plus laisser échapper aucune des idées qui oppressent mon pauvre coeur. Le temps me rendra ton affection, et un travail constant et forcé me sauvera la vie. Regarde bien Mlle de Tournon et sois sûr que sans elle, je serais morte.
Je veux dire un mot à ma fille. Votre lettre, ma chère fille, m'a fait un sensible plaisir, je vous en remercie de tout mon coeur. Songez que toutes les fois que vous m'écrirez, vous me ferez du bien. Mon mari et moi nous avons été charmés de tout ce que vous nous dites de l'Angleterre et de votre éloge de la duchesse d'York. C'est si simple, si bien écrit, que nous l'avons d'abord lu tout haut, et puis chacun de nous l'a lu seul tout bas. Enfin, nous sommes deux à vous remercier. Je vous supplie, Charles et vous, que j'aie souvent de vos nouvelles et de celles d'Emilie. Je vous promets de rechercher tout ce qui pourra vous amuser dans ce Paris que vous connaissez si bien, et pour vous un seul mot qui me dise comment vous êtes tous trois et je vous en remercierai de tout mon coeur.
M. de Bourke est fort malade dans son lit. On dit la goute, mais je sais par Dupuytrain que c'est un catharre à la vessie. Brûle ce vilain mot et n'en parle point car ils s'en cachent comme si en Dannemark un ambassadeur ne pouvait avoir ce mal.
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