Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
18 janvier 1821
J'ai reçu ta lettre du 1er de janvier le 16, et jusque là, sans rien dire, sans former une plainte, je m'affligeais profondément de n'avoir pas le plus petit souvenir de vous ; enfin cette lettre est arrivée, elle est bien bonne et m'a fait du bien. Sais-tu ce que c'est que le malheur, Charles ? C'est lorsque tout cause des larmes. Je pleurais chaque jour d'être négligée, oubliée par le fils que j'ai si tendrement aimé depuis qu'il existe, et j'ai pleuré quand j'ai cru retrouver, reconnaitre quelques expressions d'autrefois, et je pleure encore en t'écrivant ceci, mais ... me soutient.
Je suis bien triste aussi, ma soeur est presque aussi grosse qu'auparavant l'opération, et son calme est admirable elle va toutes des poudres d'Aillhand , c'est un secret comme les poudres de James, moins bien faite, mais quand les médecins assurent qu'il n'y a aucun remède, il faut bénir les charlatans. Elle commence aujourd'hui.
J'ai été l'autre soir chez Mme de Plaisance. Le maréchal Soult y était et m'a demandé de tes nouvelles, celui d'Albufera aussi et de celles de ma fille. Ce dernier en me parlant du duc de Case, son beau-frère m'a dit : " C'est un événement affreux et puis cette mort inespérée !" Il voulait dire inattendue, mais l'autre s'est présenté par l'habitude d'y penser, car il était fort mal avec son beau-frère, cependant inespérée n'a pas été plutôt lâché qu'il en a senti l'inconvenance, et s'est jeté dans les phrases et circonlocutions pour rattraper inattendue, il était bien en peine. J'ai gardé un sérieux imperturbable, et ce qu'il y a de plus beau c'est que je n'en ai ri avec personne. J'ai si peu envie de rire qu'on peut tout risquer avec moi, rien ne reste.
Tout le monde est revenu de la campagne et tout le monde demande de vos nouvelles. Il n'est personne qui ne voudrait que ma fille vint accoucher à Paris. Mme de Rumford a repris ses concerts. Pellegrini y brille.
Je viens à vous ma chère fille pour vous dire que le comte et la comtesse Orloff sont ici, et parlent de vous comme la plus aimable, et du meilleur et plus bel esprit qu'ils aient vu en Angleterre. Ils me paraissent fort libérals. (sic)
Votre coussin sera fait le 26 et très beau ; il partira par le 1er courrier et coûtera tout fait 60 francs. Mme Perrigaux change à vue d'oeil. Je ne sais pas ce qu'elle a, mais ce n'est plus qu'une ombre. J'enverrai à ma petite fille deux jeux de cartes, dont une des procès. Il n'est remarquable que par la figure que l'on a faite à M. Brougham.
Adieu mes chers amis, je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur. Lord et lady Gwydir sont excellents pour Auguste et très aimables pour nous. Si cela vous fait plaisir, dites-leur que nous y sommes fort sensibles.
Gabriel a donné à Auguste un vrai fusil de Lepage pour ses étrennes, ce qui a tellement ravi Auguste que pendant trois jours il a voulu le coucher sur son lit afin de le voir en ouvrant les yeux le matin.
Adieu encore, j'embrasse bien tendrement Emilie. M. de Marey qui est ici me charge de mille choses pour vous. La seule nouvelle que nous ayons est que Pozzo qui est allé au congrès a écrit ici de vendre ses chevaux, et de renvoyer une partie de son monde. On suppose qu'il sera commissaire à Naples lors de la conquête de ce pays dont la Sainte Alliance ne doute pas.
Adieu encore. Croyez tous deux à mon profond attachement.
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