Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
24 juillet 1823

Voilà d'abord une lettre datée comme un papier d'importance, c'est déjà un amendement ; ensuite je vous dirai mon cher fils ce que j'écrivais ce matin à Gabriel, c'est que petit à petit vous ne m'écrivez que fort rarement, peu à peu aussi je vous écris moins et bientôt nous n'aurons de nos nouvelles que par ouï-dire. Faites cette petite réflexion qui m'a serré le coeur ; où est le temps, le bien heureux temps où lorsqu'un courrier manquait c'étaient des plaintes et des cris qui s'en allaient jusqu'en Russie. Mais revenons.
Votre coussin est fini, je vais commencer l'écran ; le plus difficile n'est point mon travail, c'est de vous le faire parvenir, je crois que j'attendrai le moment où Louis sera établi en Angleterre avec tous les privilèges que nous étendrons jusqu'aux abus, à ce que j'espère. On a écrit de Madrid au marquis Alfieri que ce Louis était fait comte de Villafranca. C'est le lieu où la constitution a été détruite, et ce nom est pour reconnaître qu'il y a beaucoup contribué. Dieu veuille qu'un jour on ne le condamne point sur ce nom dont on pourra faire ce qu'on appelle des armes parlantes, ou pièces de conviction. Le comte d'Amarante est nommé marquis de Villa Real, et Palmelle marquis de Palmella. J'aurais mieux aimé que Louis eût été tout simplement comte de Souza, et moi ! qui ai toujours été pénétrée de la grande vérité qu'il n'y a que le dîner qui recommence tous les jours, j'aurais de beaucoup préféré une bonne commanderie à ces vains titres. C'est vulgaire, je le sens, moi, à mon âge on apprécie le solide, et puis cette nouvelle qui cependant paraît rare, vient de Madrid, et n'est peut-être pas vraie. Les temps éclairent bien des choses qui arrivent de ce pays-là ; en attendant, nous n'avons pas un mot de Louis, son père en est fort choqué. Je crois que Louis a été fâché qu'il ne lui ait pas répondu à sa lettre d'Espagne et que dans ces pays de révolutions, les fils commencent à compter d'élève à maître avec leurs pères. Nous ne nous accoutumons point à cela au second étage de cette maison, d'autant que papa n'a point écrit parce que Louis lui mandait qu'il partait le lendemain et qu'on ne savait où le reprendre.
Voilà mon cher fils tout ce que j'ai à vous mander de chez nous, car de réponse il n'y a lieu puisque vous ne m'avez pas écrit.
Je vous embrasse ainsi que Marguerite et les petits enfants. Auguste se porte à merveille et ses études vont très bien. Cependant, on se plaint toujours de son bavardage pendant les classes, cela, il ne peut pas s'en empêcher ! Et dans son désespoir d'être en retenue pour cette faute, voilà que devant moi, il dit comme une trouvaille à M. Muron : "Monsieur, changez-moi de place, mettez-moi entre les deux plus bêtes et alors je ne les écouterai ni ne leur répondrai." M. Muron et moi nous avons eu peine à conserver notre sérieux. Pour Auguste il donnait ce moyen comme une ressource et la bêtise des camarades comme un fait qui arrivait quelquefois sans qu'il y eut de la faute de personne ... l'apparence de tout ce qu'il y avait de drôle dans sa demande, on l'a changé de place, et vraiment il ne parle plus.

Je vous dirai (ce qui a fait trembler papa pour les suites) que j'ai été hier chez un mde, et y ayant trouvé une personne de ma connaissance qui m'a nommé cet homme (le marchand) m'a dit : Oh ! c'est madame de Souza ! O madame, j'ai lu Mme de Fargy et vous pouvez emporter tout ce qui est dans ma boutique, vous me paierez quand cela vous conviendra. Je crois bien qu'il y avait de l'hyperbole là-dedans, mais c'est une agréable figure de rhétorique que je n'ai point voulu approfondir, et je ne l'ai point pris au mot. J'ai modestement acheté une robe à 30 sols l'aune pour m'affubler le matin ; je l'ai payé comptant, mais je n'ai pas été fâchée de prouver à papa que je pourrais trouver crédit si je voulais.
Une nouvelle encore c'est que j'ai coupé aujourd'hui la dernière rose de mon jardin. J'en suis toute triste, et voilà les grands événement qui composent ma vie ! Cela rend une lettre assez sotte, je conçois que vous ne m'attaquiez pas pour en avoir.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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