Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
6 mai 1823
Voici d'abord ma lettre datée, pour éviter les reproches, que je conçois, car de loin on aime à savoir le jour où l'on vit, et même de près c'est assez agréable. Cepenfant mon oubli a dû moins vous impatienter que ne le fut ce pauvre duc de Laval qui réçut t en Amérique une lettre de son objet qui ne voulant manquer à rien avait mis au haut de sa lettre le mercredi, et pas davantage.
Papa a reçu une lettre de son fils du 19 avril de Bagnesa, c'est une petite ville d'Espagne entre nous deux cette lettre a mis pauvre papa en fureur, d'abord parce qu'il ne lui rend point compte de sa position, ni de ses intentions, seulement il dit : qu'il a pris pour devise, fais ce que dois, advienne que pourra, qu'il se porte très bien, et que son seul regret est de ne pouvoir avoir de longtemps des nouvelles de son père ; en tout, il y a un ton résolu, délibéré, dans cette lettre qui me paraît à moi d'un homme sachant fort bien la position fâcheuse où il s'était mis, mais voulant la soutenir et surtout qu'on ne lui fasse pas de reproche. Cette lettre a consterné pauvre papa, et en trois jours, il est maigre affaibli, au point qu'il peut à peine se soutenir.. Moi j'insiste beaucoup sur ce qu'en temps de révolution, il ne s'agit que de vivre et que peut-être ce qu'on blâme cette année sera un droit l'année suivante et que dès que Louis se porte bien, il faut nous réjouir. Ce qui indigne papa c'est que Louis se soit mis à la suite du d'Amarantes ; dans ces choses-là, dit-il, on doit se présenter bravement le premier mais quand on a une grande existence dans son pays, il faut rester tranquille si l'on n'est pas à la tête. Enfin, il ne prend à aucune consolation, quoiqu'il ait sujet d'en avoir que je n'aurais même pas osé espérer. D'abord il y a des nouvelles de Thérèse qui sont bonnes, pas de sa main à nous, mais par une lettre de la comtesse de ... à la comtesse de Linhares son autre ... ici. Rego a été voir Thérèse et a écrit à plusieurs personnes à Lisbonne qu'il avait été la voir à Matteus, qu'il en avait été fort bien reçu, et qu'il l'avait trouvée très polie et très aimable, c'est beaucoup en guerre civile, que le chef victorieux et seul espoir du parti opposé se prononce ainsi. Ensuite, quant à leurs biens, il paraît qu'ils n'ont perdu que la récolte de blé, celle des vins et la majeure partie des revenus. Voilà tout ce que j'ai dit de la lettre à papa, et loin de le consoler, je n'ai fait que l'irriter car son ... a été si angoissé. Depuis deux mois que tout l'irrite, qu'aurait-il dit si je lui avais raconté la fin de la lettre ; la comtesse d'Alva ajoute en parlant de Thérèse : "Son beau-père doit regretter à présent d'avoir exigé qu'elle restât à Matteus". Il est vrai que ce qu'il y a de curieux, tant les conseils de loin sont téméraires, c'est que M. de Souza n'avait tant prêcher pour le séjour à Matteus que parce qu'il croyait toujours que les fausses tentatives de soulèvement auraient fini à Lisbonne et que l'expérience de tous les pays a bien prouvé que les premières tentatives ne réussissent jamais. La comtesse d'Alva ajoute qu'une des filles de Thérèse a été si frappée de frayeur qu'elle qu'elle en est assez malade, ses nerfs paraissent fort attaqués.
Adieu, mon cher Charles, je finirai ma lettre demain car j'espère avoir encore quelques nouvelles. Dites-moi donc comment on met votre adresse à Tullyallan, je vous ai écrit bien des lettres Charlotte Square, persuadée que de là on vous les renverrait réclamer ici.
Je suis enchantée que vous soyez fixés dans cette terre car Meiklour me paraissait bien mauvais pour vos dents et votre disposition à avoir des rhumatismes dans la tête. Ce confluent des deux rivières devait, je crois, répandre beaucoup d'humidité dans l'air ; mais je me trompe peut-être ; quoiqu'il en soit, cet arrangement de Tullyallan me paraît très bon.
Je vous prie le 16 de mai d'embrasser deux fois Emilie de ma part et de lui dire que je porterai ma rose pompons à mon côté , en souvenir de sa naissance.
A demain, mon cher Charles.
retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut