Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
8 juin 1823
D'abord je veux vous remercier de la robe de Mme Muron qui m'est arrivée hier , que je lui ai portée tout de suite et qui a eu le plus grand succès. Je pense cependant que ce n'est pas précisément celle que vous auriez choisie, mais néanmoins, elle est ce qu'on peut dire très belle, très particulière, une colonne de fleurs de toutes couleurs, et si délicates que Mme Muron et son mari en ont été charmés.
J'irai demain chez le père de famille pour votre écran et je tâcherai de choisir un fond où la fumée se mêle à la couleur naturelle. On commence à sentir beaucoup à Paris cette odeur de charbon de terre car on en brûle partout, ajoutez-y que la rage de bâtir est si générale que tous ces petits jardins qui tenaient à chaque maison disparaissent pour bâtir de mauvaises petites baraques plus convenables aux fortunes actuelles, mais qui rendront Paris une véritable ville boutiquière. On détruit tous les beaux hôtels, enfin cette maison à grandes arcades au bout de la rue d'Artois, cette maison où Charles et Marie ont passé leurs beaux jours est abbatue, vous ne la retrouverez plus !... La jolie et belle maison occupée par Mme Orloff, même rue, a été jetée en bas, pour faire de vraies bicoques, sans ..., sans jour, tout cela est horrible et toutes les maisons sont petites généralement, mais les rues sont fort larges ce qui laisse du jour, de l'air, et l'imposant d'une grande ville. Ici ce seront de petits réduits entassés, étouffés, car il n'y aura pas même l'air de l'aisance ; quant au magnifique, il n'en est pas plus question que de gaieté ni de brillance à la cour. Voilà ce qui ne vous intéresse guère dans votre château qui domine la mer, où l'étendue doit faire respirer plus à l'aise. J'aurais pu me passer de vous conter tout cela mais je suis indignée du mesquin qui s'établit. Il faut que ma colère se passe sur vous qui n'êtes point là pour me faire taire ou pour prendre votre chapeau et me laisser finir un long discours toute seule.
Ce pauvre Horace Vernet a été hier à toute extrémité des suites d'un ... de cheval , ce n'a pas été sa faute, mais le cheval lui a fait une si grande blessure à la tête que Dupuytrain l'a ... comme sans ressources ; aujourd'hui il est un peu mieux, c'est à dire qu'il a un peu dormi cette nuit, c'est un maudit chien qui est venu se jeter dans les jambes de son cheval comme Horace était retourné pour parler à son père, le cheval ayant eu peur et M. ne le tenant pas dans ce moment, il a été jeté par terre, et si prêt de son cheval qui fuyait qu'un des fers lui a emporté presque toute la peau du front et de la tête, d'abord tout un sourcil. S'il en revient, je crois que sans le dire, il regrettera un peu sa jolie figure. N'êtes-vous pas frappés comme la mort plâne sur tout ce qui tient à cet excellent Gabriel ? Il semble que le malheur lui ait dit je ne te laisserai pas un jour de paix, tu n'auras pas un sommeil tranquille, et je crains bien qu'il n'ait bientôt à s'inquiéter ou à regretter Mme Vernet car elle m'a paru avant hier d'un changement affreux, et avant hier elle était calme, c'est hier matin que le danger s'est manifesté.
Voilà M. Law Lauriston maréchal de France, sans quoi le nom de Law ferait trembler. Ce que je remarque, c'est ce corps de réserve pour mener une campagne qui ne devait être qu'une pointe.
Papa a gagné un peu plus de force depuis quelques jours, mais c'est grâce au quinquina dont il prend tous les matins un peu. Vous le trouverez bien changé, il a depuis cette ... inquiétude l'air d'un vieillard qui succombe à l'âge et aux chagrins. Sa maigreur est inconcevable ; il se voûte et décline, et sa faiblesse est extrême. Je vois ce dépérissement sans pouvoir lui donner une seule consolation qui le persuade, et ce m'est un genre de douleur dont je ne m'étais fait aucune idée. Louis est retourné avec le d'Amarante et les portugais d'ici prétendent que ce dernier est rentré en Portugal avec ses troupes. D'un autre côté, Guilleminot, dans sa batterie, dit : on dit le comte d'Amarante à Salamanque, c'est la première fois je crois qu'un major général répète des on dit sans le souci de paraître mieux instruit.
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