Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
11 février 1824
Voilà j'espère une lettre datée, mais c'est que j'ai le coeur bien triste, et je marque plutôt le jour que ma lettre. Ma pauvre amie Mme d'Albany est morte, elle n'a été que onze jours malade et elle a fini avec une résignation bien digne de la force d'âme qu'elle a toujours eue. M et Mme de Lobau sont bien affligés de sa mort. C'était sa nièce favorite ; cette bonne tante était revenue à Paris il y a 18 mois, Félicité et moi nous la voyons tous les jours, et ce retour nous rend encore plus sensible le malheur de ne plus jamais la revoir. Le général Lobau m'a demandé son portrait, vous jugez que je n'ai pas voulu le lui donner (quoi que ce soit un portrait de famille), mais je lui ai promis qu'à ma mort vous le lui remettriez. Souvenez-vous en mon enfant. J'ai écrit à M. Fabre pour lui prier de me donner plus de détails sur les derniers moments de cette excellente femme, qu'elle eût mieux fait de nous rester ! au moins nous l'aurions soignée ! mais elle nous regrettait, elle était fâchée de partir, et cependant elle est partie parce que, disait-elle, son établissement était à Florence. Elle y sera donc pour jamais, et sans que ses derniers moments aient été consolés, adoucis par ses véritables amies. Je suis bien sûre que M. Fabre l'aura soigné avec un profond attachement, mais il me semble qu'elle s'accomodait mieux de notre douceur, enfin la destinée l'a voulu et je la regrette de tout mon coeur.
Ce temps-ci m'est affreux, c'est à présent que ma soeur a tourné à une fin prochaine et inévitable ; je n'avais besoin de cette seconde perte pour me la rappeler, mais je m'afflige pour deux amies sur lesquelles je pouvais compter, et que je ne verrai plus. Je suis vieille et je ne persuade pas encore comment un instant peut vous enlever à la plus ardente affection ; comment ni les cris ni les larmes ne peuvent arrêter une seconde cette âme que vous aimiez, et qui vous aimait, enfin, je suis profondément triste, mais parlons d'autre chose car je ne veux point porter dans votre solitude de si noires pensées.
Je pense qu'en effet ce grand voyage avec 4 marmots sera une chose difficile pour vous, et bien fatigante pour Marguerite ; qu'elle fasse vacciner le nouveau venu avant de l'embarquer, car je crois que le vaccin d'ici n'est pas bon. C'est étonnant ce qui est mort de la petite vérole cette année, il est vrai que le peuple ne se fait plus vacciner, et c'est donc le peuple.
Je crois vraiment Emilie un petit prodige, c'est un enfant qu'il faut élever en courant, je suis persuadée qu'elle n'aura jamais besoin d'être grondée, ni punie. Pour la pauvre Clémentine, vous devriez la laisser un an à mon entêtement, et à ma patience.
On a adouci la loi qu'on avait portée d'abord contre les petits proscrits de Louis le Grand. Ils pourront être admis dans les autres collèges. On a trouvé dans le pupitre de l'un d'eux la preuve de leur conjuration, et voici le corps du délit. Vous vous souvenez qu'ils étaient furieux contre le nouveau proviseur qu'on leur a donné et qui est lui-même un irato (?) Il y avait donc dans ce pupitre une espèce de circulaire que les enfants s'étaient fait passer entre eux ; elle était comme en ces termes : "Lorsqu'à la grand'messe on nous dira d'entonner le Domine Salvam Fac Reginam, il faudra tous nous arrêter à Fac pour faire bisquer le proviseur." Comme ils se l'étaient promis, ils l'ont fait ; et vous jugez que le voile du temple s'est déchiré ; lorsqu'après ce Fac crié du haut de leur tête, avec leurs voix pointues, il a succédé un silence à entendre une mouche voler ; certes ils méritaient d'être punis, un peu de pain et d'eau leur aurait fait du bien, mais chasser, à 9h du soir, c'était beaucoup trop.
Adieu, mon enfant, je finirai ma lettre demain.
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